Qui est Jayda G, la DJ et biologiste marine adoubée par Taylor Swift et Dua Lipa ?
L’an dernier, la productrice, DJ et chanteuse canadienne Jayda G, auteure de l’irrésistible tube house Both of Us, sortait un album disco-house-R’n’B vivifiant, Guy, dédié à son père et aux opprimés. Alors qu’elle se produira en DJ set ce vendredi 5 avril 2024 à Paris, on a discuté avec une artiste passionnée qui, en plus de faire danser les foules, se montre très engagée face à la crise climatique.
par Violaine Schütz.
Parfois la vie est particulièrement généreuse envers certains d’entre nous. C’est le cas pour la Canadienne de 35 ans exilée à Londres (après un détour par Berlin) Jayda Guy alias Jayda G. L’artiste charismatique et solaire originaire de Vancouver est en effet à la fois productrice, DJ, biologiste marine, militante et animatrice radio. Et cette fan de house et de Jimi Hendrix a déjà quelques beaux faits d’armes à son palmarès. Une nomination aux Grammy Awards pour son tube house irrésistible Both of Us, des remix pour Taylor Swift et Dua Lipa, des prestations remarquées à Glastonbury, à Coachella et pour Boiler Room ainsi que de nombreuses collaborations (Aluna, Fred Again, Lisa-Kaindé Diaz d’Ibeyi…).
Rencontre avec Jayda G, nouvelle figure solaire de la house adoubée par Taylor Swift et Dua Lipa
L’engouement entourant la productrice prodige n’est cependant pas près de s’arrêter, notamment grâce à la sortie de son second album, Guy, en juin 2023. Mêlant house, disco, R’n’B, pop et soul, ce disque vivifiant est un hommage au père disparu de Jayda G, nommé William Richard Guy. Coproduit par le musicien anglais Jack Peñate (qui a déjà travaillé avec Sault et Adele), ce disque à la fois mélancolique et dansant laisse entendre plusieurs fois la voix paternelle. La productrice canadienne nous explique : « Mon père est décédé quand j’avais 10 ans. Il a été malade pendant de nombreuses années, alors, avant sa mort, sachant qu’il allait mourir, il a pris le temps de s’enregistrer en train de raconter sa vie. Il a ainsi filmé 11 heures de VHS compilant des moments de sa vie, ce qui constitue la principale influence de cet opus. »
Un album introspectif et politique dédié au père de Jayda G
Alors que les mélodies de l’album Guy, en apparence hédonistes et estivales, invitent à se déhancher, Jayda G conte des choses souvent plus difficiles comme l’enfance de son père dans un quartier pauvre et violent du Kansas, ses interactions musclées avec la police, son passé de DJ d’une radio la nuit ou la fois où il s’est retrouvé dans les émeutes raciales de 1968. Jayda G avoue : « Les chansons parlent de diverses histoires folles qu’il a vécues depuis son enfance (comme être victime d’intimidation ou fuir les flics) jusqu’à la fin de son adolescence et le début de la vingtaine. Il a fait la guerre du Vietnam en étant basé en Thaïlande puis en rentrant aux États-Unis, il a découvert qu’il se trouvait dans un pays très différent de celui qu’il avait laissé et il a vraiment changé à cause de ça. » Jayda G poursuit : « Il a vraiment changé sa vision du monde et des systèmes qui étaient en jeu aux États-Unis – et qui sont toujours en jeu. Ces systèmes ne sont vraiment pas faits pour les gens, en particulier pas pour les Noirs et les autres personnes de couleur. Ces systèmes sont destinés à aider un type de personnes, et non le plus grand nombre. D’autres morceaux parlent du moment où mon père est retourné à l’école au milieu de la quarantaine (pour devenir travailleur social) ou de mes propres réflexions sur le fait de parcourir ces cassettes vidéo et d’en apprendre plus sur sa vie. »
Si le matériau de l’album Guy qui regorge de tubes (Blue Lights, Circle Back Around) s’avère des plus intimes, l’artiste y voit aussi des ramifications plus larges politiques. Jayda G a pensé ce disque signé sur le label Ninja Tune (Kelis, Róisín Murphy, Kamasi Washington, Peggy Gou) comme « un mélange d’histoires sur l’expérience afro-américaine, la mort, le deuil et la compréhension » évoquant des « personnes qui voulaient plus pour elles-mêmes et qui ont cherché à le trouver. Cet album est fait pour les personnes qui ont été opprimées et qui n’ont pas eu une vie facile. » La DJ qui a joué au dernier festival de We Love Green et qui se produira en DJ set à Paris le 5 avril 2024, entend faire « comprendre l’expérience de l’homme noir, l’expérience des Noirs en Amérique, et s’élever au-dessus de ce que la société vous dit que vous êtes censé être. »
Jayda G, une artiste engagée contre la crise climatique, aux côtés de Bon Iver et RZA
Habituée des soirées en club et des évènements mondains, Jayda G garde les pieds sur terre. Et pour cause, la productrice a fait des études de biologie, a travaillé dans un aquarium, et obtenu un master en ressources et management environnemental, avec une spécialisation en écotoxicologie. Elle se sent donc très concernée par le sort du monde, une fois le jour levé. L’artiste a participé à l’exposition Undercurrent (en juin 2021 à New York), sensibilisant à la crise climatique, aux côtés d’artistes tels que Bon Iver ou Khruangbin. Elle est aussi la présentatrice plus qu’éclairée du documentaire Blue Carbon de Nicolas Brown, qui devrait sortir cette année et dont la BO est signée RZA, du Wu-Tang Clan.
« Étudier la biologie et l’écologie de manière académique et obtenir mon diplôme ont pris 10 ans de ma vie, note Jayda G, donc cela représente une grande partie de mon existence. Mes deux passions sont la musique et la nature. Et j’utilise ma plateforme en tant qu’artiste musicale pour promouvoir cet amour pour la nature. Je pense que tous les artistes devraient utiliser leur voix pour promouvoir les choses qu’ils aiment. Peu importe ce qui les intéresse profondément, ils devraient se servir de leur plateforme pour en parler davantage et sous un jour positif. C’est ce que j’essaie de faire – parler de l’environnement et de la crise climatique pour sensibiliser davantage les gens à tout cela. Et c’est le sujet du documentaire Blue Carbon. Le carbone bleu est un terme inventé par le GIEC et qui fait référence au CO2 encapsulé par les écosystèmes océaniques (comme les mangroves, les herbiers marins ou les marais salés) qui sont vraiment bons pour lutter contre le changement climatique. »
Très engagée, Jayda G va plus loin dans sa réflexion écologique pour évoquer un problème social de grande ampleur. « Le documentaire parle également des personnes qui vivent dans ces écosystèmes, les intendants de la terre en quelque sorte, donc les peuples autochtones qui y vivent, ou les personnes qui viennent y grandir et y vivre, et des institutions impliquées dans ces écosystèmes telles que les institutions gouvernementales et de recherche. Il y a une question de justice sociale. Nous devons changer nos systèmes afin d’avoir un effet durable en matière de lutte contre le changement climatique. »
Guy (2023) de Jayda G, disponible. L’artiste se produira en DJ set le 5 avril 2024 à Paris, sous le pont Alexandre III, avec Haïku.