Pourquoi les disquaires et les vinyles sont-ils autant à la mode ?
Ces derniers mois, les maisons Saint Laurent, Courrèges et Stella McCartney ont toutes mis en lumière le disque vinyle et le métier de disquaire. Une mélodie qui traduit un phénomène de fond : le retour en grâce d’un format longtemps jugé désuet, désormais devenu objet de luxe et acte de foi contre un monde prônant le tout-digital.
par Violaine Schütz.
Depuis quelques années (et le tempo s’accélère depuis quelques mois), la mode s’entiche d’un métier qui semblera à beaucoup désuet : celui de disquaire. En octobre 2023, Stella McCartney dévoilait un marché artisanal eco-friendly ouvert au public à Paris durant la Fashion Week printemps-été 2024. Sur ce Stella’s Sustainable Market, on pouvait découvrir une vingtaine de stands dont l’un présentait des vinyles.
Quelques mois plus tard – du 6 janvier au 25 février 2024, la maison Courrèges s’associait au disquaire indépendant Dizonord (basé à Marseille et à Paris) pour ouvrir un pop-up dans le Marais, l’un des quartiers les plus prisés de la capitale française. Entre magazines underground et livres pointus, on pouvait trouver des disques de musique électronique et expérimentale.
Les disquaires plus que jamais à la mode
Enfin, la maison Saint Laurent a ouvert cette année un lieu hybride, entre librairie, galerie et disquaire, dans le VIIe arrondissement. Baptisé Saint Laurent Babylone, le superbe espace culturel propose des disques vinyles triés sur le volet.
Toujours en 2024, l’Américain Henry Levy, créateur du label Enfants Riches Déprimés (ERD), a ouvert une boutique appelée Anti Public Library à Paris, où l’on trouve à la fois des livres rares et des vinyles pointus (plutôt rock, indus, gothique et punk) et un bar à saké/café/cavia. Enfin, en novembre 2024, Adidas et JD Sports ont installé un pop-up au sein du disquaire parisien A-One.
Saint Laurent, Courrèges et Stella McCartney mettent en lumière le disque vinyle
La tendance n’est pas une mélodie anodine. Elle entérine un phénomène de fond : le retour du vinyle. Depuis quelques années, le format, beau et fragile, a la cote. y comprix chez ceux qui n’ont pas de platine vinyle. On ne cesse de parler de lui dans la presse (notamment lors du Disquaire Day), les versions colorées se multiplient et les ventes ont grimpé.
Jusqu’à 2021, le 33 tours était en hausse depuis dix-sept ans aux États-Unis, selon Billboard, et les ventes de vinyles ont dépassé celles des CD en 2022 en Angleterre (selon The Guardian). Même s’il faut noter une décélération des ventes de 33 tours à partir de 2022, aux États-Unis (selon l’institut Luminate).
Les vinyles très tendance : une réaction aux plateformes de streaming
Nicolas, fondateur du disquaire et label parisien Music Fear Satan (qui s’était vu proposer de participer au marché Stella McCartney mais a décliné par manque de temps) explique : “La plupart des disquaires avaient fermé dans les années 90 et 2000. Et avec l’arrivée des CD puis du streaming, le format vinyle avait périclité. Il n’est redevenu à la mode qu’aux alentours de 2015, comme un antidote à l’ampleur prise par le streaming. C’est une réaction à la dématérialisation de la musique, à la puissance des plateformes de streaming et une façon de se démarquer dans un monde du “tout-digital”. Cela va aussi avec la tendance du rétro et du vintage, qui ne cesse de prendre de la place. C’est aussi à partir de 2015 que des disquaires indépendants ont rouvert un peu partout, y compris dans des villes moyennes…”
Pour Vincent du magasin de disques Dizonord, qui a déjà collaboré plusieurs pour la mode (notamment avec Acne Studios), “le vinyle est devenu un objet cool car il matérialise notre rapport à la musique tout en enrichissant l’expérience d’écoute : il stimule les sens (en particulier le toucher et la vue) et s’impose comme un objet fétiche, recherché et chéri. La dimension visuelle est aussi essentielle. Derrière les pochettes, il y a l’histoire du graphic design, des typographies, le travail de grands photographes…”
Bella Hadid et Lana Del Rey, clientes des disquaires
Cet engouement, porté par des références précises (comme les vinyles de Taylor Swift qui représentent à eux-seuls une grande partie du marché), s’accompagne par une mise en lumière du métier de disquaire indépendant. La plupart des festivals (Coachella et Rock en Seine en tête) se sont dotés de corners de 33 tours. Et des stars comme Bella Hadid, Lana Del Rey et Rosalía sont des clientes du magasin de disques Village Revival à New York. Et la chanteuse Tyla a été filmée en train de digger chez un disquaire pour faire la promotion de son nouveau disque, sorti en 2024.
Pour Vincent de Dizonord, “le disquaire, par sa connaissance fine des cultures underground et des différents courants culturels, peut devenir un prescripteur pour la mode. Lorsqu’on s’intéresse aux différents courants musicaux des 50 dernières années, on est témoin de faits culturels spécifiques, des cycles de mode, des mélanges d’influence et de genres, et des liens interculturels (exemple : les samples de jazz dans le hip-hop ou la house).”
Selon Nicolas de Music Fear Satan, la hype entourant son métier : “Un disquaire indépendant offre une vraie expérience en magasin, avec des disques difficiles à trouver et une sélection unique. On peut se prendre en photo dedans, tourner des vidéos, discuter avec des passionnés. On ne trouve pas du tout la même chose lorsqu’on commande sur Internet ou dans une grande surface.” Certains magasins de disques, à l’instar de ceux des chaînes Rough Trade (en Angleterre) et Amoeba Music (en Californie) sont de véritables lieux de vie, avec un coin café, des concerts, un photomaton et des séances de dédicaces.
Liés à la contre-culture et à l’underground, les disquaires représentent aussi une certaine éthique et un retour à quelque chose d’authentique. En effet, en choisissant d’acheter local et de payer pour de la musique (plutôt que de l’écouter en streaming gratuitement), on donne une grande importance à cet art.
Derrière la hype, un métier précaire
Pour autant, il ne faut pas croire que tout tourne rond au pays du vinyle, malgré les notes médiatiques mélodieuses. Le marché a notamment souffert de la pénurie des matières premières. Nicolas de Music Fear Satan rappelle que “le 33 tours coûte cher. Son prix est passé de 15 euros, pour un LP simple, à 30 euros (notamment en raison des coûts de production qui ont augmenté), en quelques années. C’est devenu un objet de luxe. Et c’est aussi pour ça que la mode s’y intéresse.”
Cette hausse du prix des disques n’est pas anodine : elle dissuade en effet une partie des acheteurs et rend le métier de disquaire plus compliqué et précaire (leurs clients réduisent le nombre de disques achetés face à l’augmentation des prix). Sans compter que le marché du vinyle est devenu ultra concurrentiel (des grandes surfaces commercialisent aujourd’hui des disques, tout comme les géants de la vente en ligne). Beaucoup de petits commerces ferment, faute de volume de ventes et de chiffres.
Vincent de Dizonord : “La réalité de ce métier reste celle des commerces culturels de quartier qui ont plus que jamais besoin du soutien du public. Face à la forte concurrence des grands groupes mais aussi du e-commerce, nos structures restent fragiles et ont besoin d’être soutenues sur le plan national, au même titre que les libraires, mais aussi par la clientèle. “Support your local record shop”” !”