Paris 2024 : comment Aya Nakamura a embrasé (et politisé) la cérémonie d’ouverture
La chanteuse franco-malienne Aya Nakamura, artiste francophone la plus écoutée dans le monde, a embrasé la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ce vendredi 26 juillet 2024, à Paris. Une performance intense et hautement politique, pour de multiples raisons…
par Violaine Schütz.
En quelques années, la chanteuse franco-malienne Aya Nakamura, 29 ans, est devenue un phénomène national (et mondial). Une star qui n’a rien à envier aux étoiles américaines de la pop et du R’n’B.
Depuis son premier album, Journal intime, en 2017, certifié disque de platine, Aya Coco Danioko (de son vrai nom), a séduit le mainstream comme des sphères plus pointues ainsi que l’univers de la mode et de la beauté (Lancôme, Mac, Balenciaga, Jacquemus). Lors de la Fashion Week de Paris 2024, qui s’est terminée le 5 mars 2024, elle était de tous les défilés (Balmain, Schiaparelli, Alexander McQueen).
Aya Nakamura a enflammé la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024
La nouvelle aventure prestigieuse de la star de la musique ? Aya Nakamura a chanté (en playback) lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques le vendredi 26 juillet 2024, sur le ont des Arts. Accompagnée de la Garde républicaine, elle a enchaîné deux de ses tubes (Pookie et Djaja) ainsi que le titre de Charles Aznavour For me formidable (1963). On a ainsi pu l’entendre chanter : “Je ferais mieux de choisir mon vocabulaire / Pour te plaire / Dans la langue de Molière.” Des mots hautement symboliques, tout comme sa tenue de gladiatrice couleur or (signée Dior) qui entre dans l’arène et le fait qu’elle sortait de l’Institut de France (le lieu des élites).
Flashback… En février dernier, Aya Nakamura rencontrait le président Emmanuel Macron, qui lui aurait suggéré de chanter un morceau d’Édith Piaf, une artiste qu’Aya Nakamura adule.
Mais dès l’annonce de la possible participation de la jurée de la saison 3 Nouvelle École par L’Express, les commentaires sexistes et racistes, dénotant une misogynoir (forme de misogynie envers les femmes noires) ont été légion sur les réseaux sociaux.
De nombreux internautes et éditorialistes (proches de l’extrême-droite) ont reproché à l’artiste sa vulgarité et ses paroles incompréhensibles, qui ne reflèteraient pas, selon eux, la richesse de la langue française. Un collectif identitaire s’est même fendu d’une banderole raciste affichée dans Paris (on pouvait y lire : “Y’a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako”). Sur X, la chanteuse a répondu : “Vous pouvez être racistes mais pas sourds. C’est ça qui vous fait mal! Je deviens un sujet d’État numéro un etc. Mais je vous dois quoi en vrai? Que dalle.”
Des commentaires racistes inacceptables
Pourtant, en réinventant le langage, la star fait ce que les artistes pop ont toujours fait, depuis les Beatles qui, eux aussi, imaginaient des mots (“Ob-La-Di, Ob-La-Da“). Un argument d’autant plus fallacieux qu’Aya Nakamura pourrait chanter aux JO un titre d‘Édith Piaf qui ne comporte pas de jeux avec la langue (des rumeurs évoquent La Vie en rose, déjà repris élégamment par Grace Jones).
N’en déplaisent aux penseurs aux relents réactionnaires, le choix d’Aya Nakamura pour chanter lors de cette cérémonie est plutôt brillant, et pas seulement pour signifier avec éclat que la France est un pays riche qui doit être fier de sa diversité (ce qui est déjà essentiel)… Dans le New York Times, on peut lire quelques jours après sa performance à la cérémonie d’ouverture : “Aya Nakamura, la chanteuse franco-malienne, a fait plus qu’inaugurer les Jeux. Elle a redéfini ce que ça signifie être française.”
En 2018, la chanson Djadja d’Aya Nakamura se hissait en tête des charts dans l’Hexagone mais aussi aux Pays-Bas, ce qui lui permettait d’égaler un record réalisé jusqu’ici seulement par Édith Piaf, en 1960. Comme la chanteuse française à la vie tragique, la star du R’n’B est une star qui séduit à l’étranger et dont les morceaux s’exportent très bien, dépassant la barrière de la langue.
Aya Nakamura, une artiste impressionnante en live
Une autre raison pour laquelle Aya Nakamura était parfaite pour les Jeux olympiques de 2024 ? Sa présence scénique intense. Flashback. En février 2023, Beyoncé annonçait sa tournée mondiale avec deux dates en France, et laissait ses fans face à un choix cornélien. En effet, l’une de ses dates était le 26 mai à Paris, soit le même soir que le concert d’Aya Nakamura dans la même ville.
Sur les réseaux sociaux, les réactions étaient vives et nombreuses face à ce choc de titans. Les fans de musique pop-R’n’B-hip-hop devaient alors trancher entre aller voir Queen B au Stade de France à Paris le 26 mai, ou Aya Nakamura, que certains considèrent comme la Beyoncé d’Aulnay-sous-Bois, à l’Accor Arena. Évidemment, les billets se sont envolés en quelques minutes. Heureusement, l’auteure-compositrice-interprète franco-malienne a ajouté deux dates parisiennes : le 27 et le 28. Et le concert du 26 mai était diffusé en direct, gratuitement, sur le service de streaming vidéo Twitch.
Une star aux tubes fédérateurs, de Djaja à Pookie
Pour notre part, nous étions présents le samedi 27 mai 2023 à l’Accor Arena parisien pour constater à quel point Aya Nakamura est une artiste à voir en live. Ce soir-là, elle apparaît sur scène comme sortant de terre, sur une estrade, dans un ensemble scintillant, acclamée par un public en surchauffe essentiellement composé de filles vêtues et coiffées comme elle. La diva, en plein « DNK Tour » (du nom de son quatrième album, DNK), va alors enchaîner les tubes, tels que Copines, Djaja, Pookie, Doudou, Baby et Dégaine, sans temps mort.
Alors que quelque jours auparavant, elle commettait une erreur remarquée en clamant « Ça va Bordeaux ? » en plein concert à Lyon, ce soir de mai, Aya Nakamura ne commet aucune faute. Celle qui a été sacrée artiste féminine de l’année, lors de la cérémonie des Flammes 2023 et des Victoires de la musique 2024, n’était pas montée sur scène depuis trois ans, mais sa voix, puissante et semblable à celle de ses enregistrements est intacte, tout comme son charisme.
Entourée de danseurs, choristes et musiciens, ainsi que de pyrotechnie et de confettis, elle assure un show lascif et généreux, qui rend son public extatique. Dans l’audience, beaucoup de jeunes femmes se filment, en mode selfie, en train de chanter et danser ses hits. D’autres sont venues profiter entre copines, hurlant en chœur ses morceaux qui parlent souvent de trahison amoureuse. Aya Nakamura invite dans ses paroles à quitter cet homme toxique, ce « gangster » ou ce « voyou », pour reprendre le pouvoir sur sa vie. Un message qui semble unanimement célébré ce soir-là.
Aya Nakamura en concert à Paris
On se rend aussi compte, devant la fièvre provoquée par la chanteuse dans l’assemblée, au milieu des corps moites, que sa musique inspirée par l’afrobeat, le zouk et le R’n’B fait partie des plus fédératrices de France. À la fin du concert, après avoir porté des looks Paco Rabanne et Jacquemus, ainsi que des bottes argentées Pierre Hardy custom, la chanteuse débarque en robe haute couture cut out Stephane Rolland, aussi sexy que symbolique.
En effet, la création en soie lamée or brodée de nacre et de cristal et accompagnée d’une cape, qui a nécessité 200 heures de travail, lui donne des airs de déesse. Car si les thématiques de ses chansons parlent aux autres comme s’il s’agissait des leçons d’une grande sœur, Aya Nakamura a déjà atteint une autre sphère.
Celle qui a vendu en 2023 plus de 50 000 billets de concerts parisiens en quelques minutes est désormais une superstar de la musique, une icône générationnelle et un phénomène socio-culturel qui, au moindre déhanché provoque l’hystérie. Elle était donc la chanteuse parfaite pour réconcilier tout le monde, lors d’une cérémonie d’ouverture des JO d’été 2024 qui a été très scrutée par delà les frontières.