8 oct 2024

Les confidences de Pierre de Maere : “Faire de la musique pour dix personnes, ce n’est pas mon objectif…”

Les Victoires de la musique l’ont couronné en 2023 Révélation masculine de l’année. Le prodige Pierre de Maere a fait irruption sur la scène électro pop, comme un petit prince descendant de sa planète pour illuminer la nôtre, avec son titre Un jour je mariera un ange, tube qui lui a valu un succès immédiat. Avec sa force de conviction et sa sincérité désarmante, le très talentueux jeune musicien de 23 ans s’est entretenu avec Numéro.

propos recueillis par Alexis Thibault.

Pierre de Maere © Isaac Calpe.
Pierre de Maere © Isaac Calpe.

Lorsqu’il n’était encore qu’un enfant, Pierre de Maere se rêvait déjà en prince de la pop dans sa petite chambre mansardée de Bruxelles. Un faiseur de tubes galvanisé par l’ivresse de la foule. Une star de la musique en somme. Quinze ans plus tard, le jeune homme longiligne aux airs de chérubin peine parfois à analyser clairement son succès.

Son titre Un jour je marierai un ange, extrait de son premier album Regarde-moi (2023), reste un morceau plus fort que lui. Une « locomotive » comme il aime l’appeler, véritable carton sur les ondes et la plateforme TikTok, qui lui a ouvert les portes du succès. Sacré Révélation masculine de l’année aux Victoires de la musique en 2023, Pierre de Maere suit, les yeux écarquillés, les traces de ses héros : Michel Polnareff, Stromae, Supertramp, Elton John, Lady Gaga, Alexander McQueen, Martin Margiela ou Elsa Schiaparelli.

Le chemin sera long. Mais le jeune homme de 23 ans a largement le temps d’étayer son univers électro pop bariolé, situé quelque part entre les improbables fantasmes d’un Michel Gondry et la fabrique de friandises démentielle et multicolore de Charlie et la chocolaterie. Sa signature : une voix intenable qui varie comme les ondes d’un oscilloscope. Rencontre.

Un jour je marierai un ange (2021) de Pierre de Maere.

L’interview du chanteur Pierre de Maere

Numéro : Il paraît que vous avez fini un peu tard hier… Un artiste digne de ce nom doit-il forcément écumer les soirées mondaines ?

Pierre de Maere : Je reconnais avoir poussé un peu… mais, comme vous le constatez, je suis en pleine forme! Je dois avouer que je sors d’une tournée de 200 dates qui a clairement restreint mes envies de mondanités. C’est peut-être mieux ainsi, la surexposition n’est pas une très bonne chose. Il n’y a rien de plus agaçant qu’un chanteur qu’on repère à tous les défilés, n’est-ce pas ?

En 2023, vous étiez membre du jury mode du Festival d’Hyères présidé par Charles de Vilmorin. En tant que musicien, que retenez-vous de cette expérience ?

Figurez-vous que j’y ai rencontré une certaine Babeth Djian [directrice de la rédaction de Numéro], qui faisait également partie du jury. Elle me considère depuis comme une sorte de petit ange, et j’en suis ravi. Pour ne rien vous cacher, elle m’intimidait un peu au départ. Voir surgir une grande dame de la mode, ça fait tout de suite son petit effet.

Il s’avère que c’est une femme charmante et très accessible. Nous nous sommes retrouvés sur bon nombre de sujets. Quant au festival, pas un jour ne passe sans que je ne me pose des questions de légitimité, donc j’étais très heureux d’y participer. J’ai débute par la photographie. Ma sœur et mes amis étaient mes premiers modèles. C’est en me constituant un petit pécule que j’ai pu m’offrir un appareil photo digne de ce nom.

J’ai poursuivi en capturant des new faces pour des agences de mannequins. Déjà, à l’époque, je me rêvais en photographe de mode à succès. Je n’ai jamais été un grand créatif, mais je pense pourvoir défendre une certaine vision. Je reste ce grand consommateur qui a toujours aimé s’acheter des tonnes et des tonnes de fringues… quoique je me sois calmé depuis que les impôts me sont tombés dessus…

Pierre de Maere © Isaac Calpe.
Pierre de Maere © Isaac Calpe.

Faire de la musique pour dix personnes, cela n’a jamais été mon objectif.” Pierre de Maere

La plateforme Apple Music décrit votre premier album comme suit: “Un disque pop qui mêle textes forts et synthétiseurs en cascade.Que pensez-vous de cette analyse ?

C’est un peu large. C’est un peu flou. Cela pourrait correspondre à n’importe qui. Pour autant, je ne suis pas contre non plus. Je suis très fier des morceaux comme Enfant de ou Bel-Ami, qui me semblent frais. Il n’y a pas beaucoup de titres dont je sois très fier sur ce disque… Sans doute parce que je n’ai eu que six mois pour le créer, juste après que le morceau Un jour je marierai un ange a explosé. Six mois, cela ne vous laisse ni la possibilité d’échouer ni de faire un véritable choix entre vos maquettes. Donc j’étais très frustré.

Qu’est-ce qui vous dérange exactement ?

Disons que je suis satisfait du début du disque, et puis après, je trouve que ça se casse un peu la gueule. À mesure que l’album défile, on se retrouve avec un titre comme Les Animaux, qui est une horreur absolue! Sur le moment, je le trouvais génial, ce disque. Trois mois plus tard, j’avais changé d’avis et je lui aurais flanqué un 13 sur 20. Pour le prochain, j’ai pris pas mal d’avance histoire que cela ne se reproduise pas.

Sur la pochette de votre EP Un jour, je [2022) vous reprenez les codes des late-night shows, ces émissions qui cartonnent aux États-Unis, en accueillant les plus grandes stars. Votre musique a-t-elle toujours été guidée par un besoin de reconnaissance ?

Faire de la musique pour dix personnes, cela n’a jamais été mon objectif. La question a toujours été la même: est-ce que ce morceau peut devenir un tube? Une fois la chanson achevée, je passe en mode “commercial”. Déjà, dans la cour de mon école, j’allais voir tous les élèves, un par un, pour leur demander de diffuser ma musique sur Facebook. Je ne cherchais pas les 50 ou les 100 écoutes. Non. Il fallait que ça marche ! J’ai toujours adoré impressionner mes camarades, j’ai toujours adoré surprendre ma famille.

Mercredi (2023) de Pierre de Maere.

Parfois, il m’arrive de m’emballer un peu en interview.Pierre de Maere

Vous considérez-vous aujourd’hui comme un artiste impertinent ?

Instinctivement, je dirais que non. D’abord parce que je fais de la pop et qu’il n’y a rien de plus conventionnel. Ensuite parce que je pense encore trop souvent à mes parents lorsque je fais de la musique… Cela m’empêche d’être un mauvais garçon, d’être subversif. Et la subversion n’est-elle pas la marque des génies ? Parfois, il m’arrive de m’emballer un peu en interview. J’imagine alors la réaction de mes parents. Comment réagiraient-ils si, en plein entretien, j’envisageais ironiquement de coucher avec un fan dans mon tourbus ? [Rires.]

D’après la rumeur, vous ne pouvez enregistrer vos morceaux qu’en étant complètement nu… Que se passe-t-il donc en studio ?

C’est totalement vrai ! J’aimerais sortir les vidéos, mais il y aurait trop de plans à flouter. Le studio d’enregistrement, c’est le moment où vous gravez dans le marbre toute la musique que vous avez fantasmée jusqu’alors. Donc j’ai très peur… et très chaud. Et comme je porte toujours de beaux vêtements, il est hors de question de les foutre en l’air en transpirant un peu trop ! Je suis à poil dans la cabine d’enregistrement, mais, rassurez-vous, personne ne me voit…

Combien de temps vous a-t-il fallu pour parvenir à cette signature vocale si particulière et pleine de soubresauts ?

Lors de ma première session d’enregistrement, je chantais déjà avec ces envolées aiguës à la Polnareff, en roulant parfois les “r” de façon coquette. C’était maniéré, mais naturel. Je me souviens que lorsque mon disque est sorti, le magazine Télérama y a trouvé “des idées intéressantes mais une signature vocale presque forcée qui finit par agacer à la longue”. Aujourd’hui, en concert, je m’efforce de moins chanter de la sorte.

Enfant de (2023) de Pierre de Maere.

À mes débuts, je ne chantais pas très bien. Pierre de Maere

Comment êtes-vous parvenu à survivre dans le monde impitoyable de l’industrie musicale ?

Parfois, les phrases les plus anodines peuvent vous faire tout remettre en question… À mes débuts, je ne chantais pas très bien, alors la télévision était ce que je redoutais le plus ! Comme la plupart des artistes, je trouvais l’exercice atroce et, très souvent, c’était un vrai carnage. Qu’on critique ma personne, au fond, cela ne m’a jamais dérangé, mais qu’on s’en prenne à ma musique, ça c’est pire que tout. L’industrie musicale ne m’a jamais terrifié car je suis extrêmement bien entouré, contrairement à d’autres artistes qui se sont fait berner en signant des contrats à la noix. Je ne suis pas dupe, je me rends bien compte que tout est affaire de politique : pour rester en place, il faut faire plaisir, rendre des services et accepter les invitations sur les plateaux au fin fond de la France. C’est un jeu d’échanges mais, courtoisie qui peut parfois être très moche, mais, jusqu’à présent, je n’ai pas eu à m’en plaindre. Pourvu que ça dure…

Craignez-vous que tout s’arrête un jour ? Comme si le succès n’était en fait qu’un cadeau empoisonné ?

J’y pense souvent à vrai dire. Le deuxième disque est le plus difficile, vous vous en doutez. Le morceau Un jour je marierai un ange a été une locomotive, il a permis à cet album de rencontrer le succès. Encore aujourd’hui, c’est cette chanson qui fait que je remplis mon assiette grâce aux centaines de milliers d’écoutes qu’il cumule chaque jour sur les plateformes de streaming. Mais que se passera-t-il si mon prochain projet ne reproduit pas le même schéma ? Pourrons-nous envisager une nouvelle tournée des Zénith ? Il m’est déjà arrivé de souffrir du syndrome de la page blanche pendant six mois. J’avais composé une quinzaine de maquettes et aucune d’entre elles n’était bonne… Je me suis alors demandé si j’avais perdu le “truc”. Et puis soudain, j’ai repris confiance en moi, grâce à une ou deux bonnes chansons. Dans la foulée, j’ai supprimé toutes les applications d’analyses et de statistiques de Spotify, et j’ai viré l’application X de mon téléphone.

Pierre de Maere © Isaac Calpe.
Pierre de Maere © Isaac Calpe.

Vos études aux Beaux-Arts d’Anvers ont-elles transformé votre façon de penser ? Il paraît que vous détestez le snobisme.

En réalité, le snobisme, dans la mode par exemple, m’amuse beaucoup. Il y a tellement d’idées reçues sur ce milieu. Je n’ai fait qu’une seule année aux Beaux-Arts d’Anvers, en photographie, et cela m’a suffi pour comprendre à quel point, chez les étudiants en tout cas, tout n’était souvent qu’une question de posture.

Mais, pour moi, “avoir l’air” ne suffit pas. Il faut surtout faire. Je me demande vraiment comment tous ces gens sont parvenus à vendre leurs horribles photographies de vieux puits. Il faut peut-être arrêter avec le culte du moche, non ? Je crois qu’on en a fait le tour.

Si vous pouviez dérober à un artiste ses compétences, pour quel larcin opteriez-vous ?

J’emprunterais à Karl Lagerfeld sa volonté. C’est la première figure qui me vient en tête. Lui, pour le coup, ce n’était pas quelqu’un de snob. Il a été l’un des premiers à se pointer chez Fogiel, chez Ruquier et dans des émissions bas de plafond pour vulgariser la mode.

Certains le prenaient pour une bête de foire alors que c’était l’homme le plus brillant de la pièce. J’aurais également pu dérober son talent au sculpteur italien Marino Marini. Sa technique est folle. Moi, je ne sais même pas dessiner. [Rires.]

Regarde-moi (Cinq7/Wagram Music) de Pierre de Maere disponible.