9 avr 2025

Les confessions de Miki, nouvelle sensation de la pop francophone 

Cela fait quelques années qu’une dénommée Miki sévit sur les plateformes de streaming à coup de chansons courtes et étranges aux paroles très personnelles, aussi bien influencées par la pop que par l’électro. En résulte un style musical unique, que l’artiste franco-coréenne condense dans un nouvel EP intitulé Graou, dévoilé le 7 mars 2025. Rencontre avec la nouvelle sensation francophone de la pop.

  • propos recueillis par Nathan Merchadier.

  • Publié le 9 avril 2025. Modifié le 13 avril 2025.

    Miki, étoile montante de la pop francophone

    12 mars 2025. Au nord de Paris, le chapiteau du Cabaret Sauvage vibre au rythme de productions électroniques sorties d’une intrigante table de mixage. Sur la scène, pas de groupe en vue. Seulement une jeune artiste à la fougue contagieuse, qui s’époumone pour le plus grand bonheur d’un petit millier de cool kids parisiens. 

    Mikaela Duplay, alias Miki, chanteuse franco-coréenne de 26 ans fait parler d’elle depuis maintenant quelques années et notamment sur le réseau social TikTok où un extrait de son titre Échec et mat (2024), posté l’été dernier, cumule plus de 2,6 milions de vues. Sur les plateformes de streaming, ses chansons de pop mâtinée d’electro ainsi que ses clips bricolés semblent également séduire un public toujours plus large, comme en témoignent les quelques 270 000 auditeurs mensuels qu’elle cumule sur Spotify. Un succès amplement mérité qui n’est pas passé sous le radar des médias qui semblent unanimes au sujet de son talent, mais qui contrarie une poignée d’internautes qui l’accusent d’être une “industry plant” [le terme désigne un.e artiste dont la carrière a été perçue comme artificiellement construite par des forces de l’industrie musicale, ndlr].

    Après avoir sorti un premier EP intitulé 4X (2023) – désormais introuvable sur les plateformes depuis sa suppression par l’artiste – Miki prouve que ces critiques (souvent misogynes) ne l’atteignent pas et revient en force en ce début d’année avec Graou (2025). Sur ce disque de sept titres, la native du Luxembourg dont le style rappelle celui de Billie Eilish, évoque son rapport à sa famille, ses relations amoureuses mais aussi la résilience, la quête d’identité et de douloureux souvenirs de jeunesse.

    Accompagnée par Tristan Salvati, producteur de renom proche de la chanteuse belge Angèle, l’artiste se dévoile (enfin) au grand jour, au gré de chansons taillées pour les clubs (Échec et mat) mais aussi de titres plus introspectifs comme le sublime Héroïne sur lequel elle chante en français et en coréen. Déjà adoubée par l’incontournable groupe britannique Metronomy avec lequel elle signait un du remarqué sur le titre Contact High (2024), Miki fait indéniablement partie des jeunes voix de la pop francophone qu’il faut connaître absolument. Rencontre.

    Miki – échec et mat (2024).

    L’interview de Miki, la chanteuse derrière l’EP Graou

    Numéro : Votre dernier EP a été baptisé Graou. Que veut dire cet étrange mot qui ne figure sur aucune page du dictionnaire ? 

    Miki : C’est probablement l’un des mots que j’utilise le plus et ce, depuis très longtemps. Je peux le dire quand il y a un truc chiant qui se passe, mais que je n’ai pas envie de m’étaler sur le sujet. Si je suis au bar et que le serveur me dit qu’il n’a plus de café, je vais dire “Graou”. Le titre de cet EP est arrivé assez tard, quand les chansons étaient déjà écrites. Mais il symbolise assez bien ce que je voulais dire à travers mes chansons. Sur ce disque, j’ai voulu parler de résilience, mais aussi de ma famille, de mon identité et enfin de la reconstruction de cette identité.

    Dans certaines de vos interviews, vous décrivez votre style musical comme “une musique de club qui fait pleurer”… 

    Ma musique est toujours la rencontre entre deux opposés. C’est cette idée du Yin et du Yang qui se rencontrent et que l’on retrouve aussi parfois dans mes paroles. J’aime sortir des phrases très violentes et ensuite dire quelque chose de beaucoup plus naïf et innocent.

    Graou marque possède des paroles très personnelles. Votre musique est-elle une catharsis ? 

    Composer cet EP a été une libération parce qu’avant ça, je n’arrivais pas à parler de sujets personnels dans mes morceaux. Je n’avais pas assez fait ce travail d’introspection pour comprendre exactement ce que je ressentais. Pendant longtemps, j’ai été perdue dans mon rapport aux gens et au monde. L’écriture a changé ma manière d’être dans la vie et dans mes relations. J’ai beaucoup plus conscience de ce dont j’ai envie. Grâce à la musique, j’ai enfin réussi à mettre fin à beaucoup de relations toxiques et j’ai changé ma manière de vivre.

    En chantant en coréen, j’ai l’impression que je vais pouvoir utiliser ma voix comme un surf sur une vague.” Miki.

    Vous avez mis en boîte ce disque avec Tristan Salvati, un producteur proche de la chanteuse Angèle. Comment s’est déroulé sa création ? 

    J’arrivais avec mes démos qui étaient souvent trop longues et je n’arrivais pas à faire du tri dans mes idées. Tristan a le bon œil pour ça et il sait quel est le bon BPM pour tel ou tel morceau. J’ai toujours le réflexe d’être dans quelque chose d’électro, à 135 BPM, avec des basses très fortes, comme dans beaucoup de chansons que j’écoute. C’est aussi très intéressant d’avoir ce regard qui veille sur moi et sur certaines de mes paroles.

    Par rapport à vos précédents EP, vous ne chantez sur ce disque presque uniquement en français…

    Quand je me suis dit que j’allais commencer à écrire en français, mes pensées se sont alignées avec la précision de la langue. C’est au moment où j’ai essayé de comprendre ce que je voulais dire dans ces chansons-là que j’ai ressenti un déclic. J’ai fait une partie de mes études en anglais et cette langue était devenue un moyen d’expression trop lâche car je pouvais me cacher derrière mes sentiments.

    Et sur le titre Héroïne, vous chantez en coréen…

    Le coréen, c’est un peu un joker. C’est une langue très agréable à chanter, qui apparaît plus douce et plus poétique. C’est aussi une grammaire différente qui se rapproche presque de l’allemand ou du japonais. Les verbes et les compléments d’objets directs ne sont pas au même endroit qu’en français. Cela change aussi ta manière de réfléchir. En chantant dans cette langue, j’ai l’impression que je vais pouvoir utiliser ma voix comme un surf sur une vague.

    Miki – cartoon sex (2024).

    99% des producteurs sont des mecs et il y a souvent ce rapport de pouvoir inisinuant qu’ils vont te révéler, comme la Vénus qui naît.” Miki

    Vous chantez parfois des paroles très crues et sexueles. Est-ce une manière pour vous d’ôter une sorte de tabou ? 

    J’ai l’impression que parler de sexe choque souvent les gens alors que pour moi, c’est juste normal d’évoquer cette thématique. Il y a des choses tellement pires qui se passent dans mes pensées. Des choses plus violentes et plus trash… Mais si cela peut permettre à d’autres personnes de se sentir moins pudiques par rapport à ce sujet, c’est super.

    Sur le titre Cartoon sex, vous évoquez une agression subie par votre prof de tennis lorsque vous étiez enfant. Le mouvement #MeToo a-t-il selon-vous eu assez de retentissement au sein de l’industrie musicale ?

    Je pense que l’on n’en parle pas assez. J’ai eu beaucoup de chance de pas avoir eu d’expériences de ce genre dans le milieu de la musique. J’ai rencontré énormément de filles pour qui il y a eu des abus de pouvoir. Quand tu es une fille et que tu vas en studio, tu es parfois simplement là pour donner ta voix. Comme une espèce d’animal rare qui vient poser sa jolie voix d’oiseau avant que le producteur ne fasse l’export final. 99% des producteurs sont des mecs et il y a souvent ce rapport de pouvoir insinuant qu’ils vont te révéler, comme la Vénus qui naît. Toutefois, je pense qu’aujourd’hui, les mecs sont hyper flippés avec tout ce qu’il se passe. Ils font attention à ne pas donner de mauvaise interprétation à un mot ou une remarque. Donc, malgré tout, j’ai l’impression que l’on peut y voir un peu d’espoir.

    La plupart des sons que j’ai découverts ont été récupérés de la BO de films.” Miki

    En 2024, vous avez collaboré avec le groupe britannique Metronomy sur le titre Contact High. Comment s’est déroulée cette rencontre ? 

    Je suis hyper fan de Metronomy et je suis allée voir le groupe plusieurs fois en concert. Notre collaboration s’est faite à distance. Ils m’ont envoyé plein de démos très primitives et j’ai essayé de topliner sur trois morceaux. Ce n’était même pas des voix définitives mais je les ai envoyées et ils ont kiffé. On ne s’est finalement rencontrés qu’au moment de la release party du projet.

    Mis à part le groupe de Joseph Mount, quelles sont les références musicales qui ont marquées votre enfance ?

    J’ai grandi en écoutant beaucoup de musique classique et le rock adulé par mon père, même si ma culture musicale, je me la suis faite toute seule. J’aime les groupes de hip-hop américain comme A Tribe Called Quest ou encore The Pharcyde, mais aussi des artistes comme Bob Dylan, Mac Miller ou encore Joey Badass. Sinon, la plupart des sons que j’ai découverts ont été récupérés de la BO de films. Je suis par exemple une grande fan de Vladimir Cosma. Et si je devais choisir de collaborer avec une personne morte et une personne vivante, ce serait Ryūichi Sakamoto et Steve Lacy.

    Graou (2025) de Miki, disponible. En concert au festival We Love Green le 8 juin 2025.