Mac Miller : découvrez enfin Balloonerism, l’album perdu du rappeur
Tiraillé sans cesse entre une euphorie candide et un spleen ultra moderne Mac Miller, disparu tragiquement en septembre 2018 à l’âge de 26 ans, a été célébré récemment lors du festival Camp Flog Gnaw Carnival, à Los Angeles. Son disque Balloonerism, sur lequel figure une collaboration avec la chanteuse SZA, est enfin disponible
Par Alexis Thibault.
Mac Miller : de l’euphorie candide au spleen ultra moderne
Les portraits photographiques de Mac Miller qui constellent Google sont à l’image de sa discographie. La maladresse innocente de ses pauses se reflète dans ses six albums spontanés et libérés des contraintes de style. Ses yeux tantôt écarquillés, tantôt mi-clos, comme fermés par un énième pétard, évoquent à la fois la surprise d’avoir accédé si vite au statut de star du rap US et sa poursuite de la quiétude.
Ses sourires narquois et ravis illustrent les morceaux survoltés – de Donald Trump à Knock Knock –, entre ego trip racoleur et narcissisme goguenard (peut-être) pas assez satirique. Quant à l’expression triste qu’il adoptait en écrasant sa lèvre supérieure avec son poing, le regard rivé au sol, elle demeure symptomatique de son œuvre : des poèmes en clair-obscur tiraillés sans cesse entre une euphorie candide et un spleen ultra moderne.
Malcom James McCormick, dit Mac Miller, a été retrouvé inanimé à son domicile de Studio City, à Los Angeles, en septembre 2018. Il n’avait que 26 ans. Trop humble pour accepter les louanges, trop blasé qu’il n’y ait qu’une seule place de rappeur blanc, il avait toujours refusé son statut de “nouvel Eminem”.
Balloonerism, les chansons noires perdues du rappeur américain
Ce week-end, à Los Angeles, les spectateurs du Camp Flog Gnaw Carnival, un événement musical initié en 2012 par le génial Tyler, the Creator, ont découvert, entre le concert du pianiste britannique Sampha et celui du producteur The Alchemist, un mystérieux teaser sur les écrans géants du festival. Une vidéo qui s’achève par une illustration de l’artiste américain Alim Smith représentant le visage déformé de Mac Miller et prenant la forme d’un ballon de baudruche.
Le public comprend rapidement. Le projet Balloonerism, enregistré en quelques jours aux côtés du bassiste Thundercat est sur le point d’être dévoilé. On l’appelle souvent “l’album perdu de Mac Miller”. Un disque intense et profondément personnel. Un disque qui lorgne le cloud rap, la nu-soul, le hip-hop abstrait et s’autorise des vers déchirants sous psychotropes. Collection de morceaux plus qu’un album à proprement parler, Balloonerism a été initié à la fin de l’année 2013 puis sera rapidement mis de côté par le label Rostrum Records. Ce projet est bien trop expérimental pour le public à l’instant T.
Un court-métrage d’animation disponible sur Amazon Prime
Balloonerism est enfin disponible sur les plateformes. Ce jeudi 16 janvier, devant la salle parisienne Le Grand Rex, la jeunesse de la file d’attente témoigne de l’héritage musical de l’artiste. Si l’on découvre une collaboration avec la chanteuse SZA, on suit également le court-métrage d’animation signé Sam Mason (disponible sur Amazon Prime) et inspiré de la phrase suivante, prononcée par Mac Miller : “But do you feel as big as your shadow ?”
Un film dans lequel des enfants sont transformés en rongeurs par un phénomène inexplicable qui traite principalement de la course effrénée contre le temps et la lente disparition de l’innocence…
En 2020, l’héritage de l’album posthume Circles
Jon Brion, son coproducteur, avait parachevé Circles, album posthume et première salve du “pack héritage” de tout artiste disparu. À l’époque, on connaissait déjà la chanson, sachant pertinemment que d’autres titres délibérément oubliés resurgiraient ici et là car la mort n’arrête jamais le capitalisme. Encore moins dans l’industrie culturelle.
Pensé comme la suite logique de l’album Swimming sorti quelques semaines avant sa disparition, et conçu comme l’épilogue d’une vie trop courte, l’album Circles se dégustait, en janvier 2020, avec beaucoup d’amertume. Une pâtisserie gorgée de souvenirs que l’on n’osait pas vraiment engloutir, sachant pertinemment qu’elle serait alors la dernière du paquet… Mais nous l’avons tous dévoré d’une traite, finalement, pour retrouver la saveur “Mac Miller”.
Une voix écorchée qui colporte la rumeur d’un mal-être grandissant, des productions récréatives et hallucinées qui mêlent la ferveur d’A Tribe Called Quest à la fantaisie d’Outkast, les salves crépitantes d’un Logic et le débit lancinant d’un Kendrick Lamar… Mac Miller était tout cela à la fois. Depuis un moment déjà, le natif de Pittsburgh avait délaissé le rap explosif pour des morceaux downtempo un peu plus soul, un peu plus acoustiques, un peu plus noirs.
Circles est à la fois sombre et lumineux sans vraiment que l’on comprenne à quel moment il est l’un ou l’autre. Un opus introspectif, rétrospectif par moment, qui invite enfin l’auditeur dans la tête de Mac Miller – un monde que l’on croyait hermétique. En filigrane, un mal-être inconscient qui persistait depuis la sortie de son tout premier album Blue Slide Park (2011), pulvérisé par le magazine Pitchfork à l’époque : “1/10, une version incroyablement fade et intolérable de Wiz Khalifa.” Le journaliste Jordan Sargent exècre alors ce jeune homme qui court après la gloire, l’argent et les femmes de petite vertu entre quelques fêtes enfumées par le cannabis… Mac Miller aura beaucoup de mal à se remettre de cette critique acerbe. Comme si la constitution d’un alter ego faisait office de gilet pare-balles dans le milieu du rap.
Autrefois Easy Mac dans les soirées de freestyle, le rappeur se fait repérer à 18 ans par le label Rostrum et sort dans la foulée la mixtape K.I.D.S puis explose sur YouTube un an plus tard. En novembre 2011, Blue Slide Park se classe directement numéro un du Billboard – pour le plus grand plaisir de Pitchfork – et braque les projecteurs sur le jeune rappeur qui semble avoir le monopole du cool. Suivront des collaborations à n’en plus finir : Tyler, The Creator, Kendrick Lamar, Bilal, CeeLo Green, Flying Lotus, Blood Orange, Anderson .Paak, ou encore Ariana Grande dont il s’éprend. Avec Circles, opus de rap alternatif minimaliste aux productions soignées et efficaces, la chanson remplace souvent la prose. Une mélancolie longue de 48 minutes et une jaquette sobre et élégante qui cristallise nombre de ses portraits photographiques. Les yeux rivés au sol, la main couvrant son œil gauche et une partie de son front, Mac Miller semble regretter son ultime dose, au sommet de son art.
Balloonerism, album disponible sur les plateformes et court-métrage de Sam mason disponible sur Amazon Prime.