23 mar 2020

L’interview FaceTime avec… Jimmy Whoo

En période de confinement, Numéro continue à s'intéresser aux musiciens qui accompagnent nos journées avec leurs morceaux. Aujourd’hui, le producteur Jimmy Whoo, dont l’excellent album “Basic Instinct” est sorti en novembre dernier sur le label Free Hand Records. Il en a profité pour révéler sa passion pour la série culte “Les Soprano”, évoquer son rapport à la culture américaine, au rap et même dévoiler ses secrets de composition.

Propos recueillis par Chloé Sarraméa.

De son premier EP, Chambre 51 – sorti en 2013 et sur lequel figure notamment la chanteuse Bonnie Banane –, au triptyque Motel Music (dont il sortira bientôt le dernier opus), Jimmy Whoo semble être mû par une certaine idée de l’Amérique, celle qui relie les highway interminables et désertiques aux plus grands shows télévisés et les chefs-d’œuvre du cinéma indépendant aux diner un peu miteux. En confinement, le producteur de musique électronique ponctue ses journées de sessions des Soprano (une série qu’il connaît déjà par coeur), d'interludes cinéma avec les grands films de John Cassavetes, de répliques de Robert De Niro et Al Pacino dans le cultissime Heat de Michael Mann – dont la BO, sa référence absolue, est signée Moby –  et de séances de synthé, dans son salon. Rencontre en FaceTime avec un musicien autodidacte qui a appris le piano en n’appuyant que sur les touches noires, et s’est plus tard illustré en tant que DJ – notamment pour les défilés du label parisien Pigalle –, producteur de rap et aujourd’hui, de musique électronique.

 

 

Numéro : Vous ouvrez votre album, Basic Instinct, par un sample de la voix de Tony, le personnage principal de la série culte Les Soprano. Pourquoi?

Jimmy Whoo : Je suis un grand fan de cette série. Il y a quelques années, j’ai fait un road trip aux États-Unis et j’ai même visité la boîte de nuit gérée par Tony Soprano, je la pensais fictive mais elle existe vraiment ! Idem pour la pizzeria où les mafieux se retrouvent pour manger. C’était un pèlerinage sur les traces de la pègre italienne la plus connue de la télévision [Rires]. Quant à l’ouverture de mon album, ce n’est pas vraiment un sample : un jour, j’ai découvert le compte Instagram d’un certain Craig Cassano, qui imite toutes les voix des personnages des Soprano et produit de petites vidéos depuis sa chambre. Je lui ai donc demandé s’il pouvait reproduire les voix avec un texte que j’ai écrit moi-même. Je trouvais ça marrant de lui faire dire ce que je voulais avec la voix de Tony. 

 

 

Tous les personnages de cette série sont géniaux. J’avoue avoir un faible pour Chris Moltisanti, qui est un peu l’artiste de la famille de mafieux… Et vous?

Moi aussi, je dirais Chris Moltisanti parce que j’aime bien son style ou Paulie Gualtieri, parce que c’est le mec le plus drôle de la série. Un jour, l’acteur qui joue le personnage de Vito Spatafore [Joseph R. Gannascoli] m’a contacté sur Internet en me disant qu’il aimait bien ma musique. Je lui ai répondu directement que je voulais faire un clip avec lui et d’autres acteurs de la série. C'est un projet sur lequel je travaille actuellement et j'espère être le premier à mettre les acteurs des Soprano dans un clip !

 

 

Avant de ne plus pouvoir sortir de chez vous, vous étiez en tournée aux États-Unis…

Sur les réseaux sociaux, des américains me demandaient souvent quand est-ce que je venais jouer chez eux. Alors j’ai tenté un truc : je leur disais que s’ils me bookaient, je viendrais. Et certains l’ont fait. Au début, c’était juste de la spéculation, je voulais venir mais je n’avais rien planifié. J’ai dit à mon ami Yann – qui joue de la guitare et de la basse en live avec moi – qu’on allait faire une tournée aux États-Unis mais je n’avais aucune date. Et petit à petit, tout s’est mis en place. J’ai commencé par faire trois dates à Los Angeles – dont une à The Echo, une très bonne salle sur Sunset Boulevard – ensuite je suis allé à Salt Lake City, où je n’étais jamais allé, et à New York. On devait jouer à Paris le 2 avril, au Point Éphémère, mais je suis confiné, et le public aussi…

 

 

Vous avez commencé par produire pour les rappeurs, dont Jazzy Bazz ou Myth Syzer, avec qui vous ne travaillez plus aujourd’hui. Vous êtes-vous lassé du rap?

À mes débuts dans la musique, j’ai créé mes propres studios et notamment Grande Ville [en 2012] à Montreuil dans une ancienne salle de stockage d’imprimantes. Le loyer n’était pas cher, donc j’ai investi le lieu et géré le studio pendant plusieurs années. Mes amis font du rap et j'ai fait des instrus pour eux mais j’ai eu envie d’aller vers autres chose : mon propre son. Aujourd'hui je ne produis plus vraiment de rap mais je m'inspire beaucoup du hip-hop pour faire de la musique électronique, je ne veux pas d’influences pop, j’aime quand il y a un un côté plus “sale” on va dire.

 

 

Produisez-vous uniquement depuis chez vous désormais ? Ce n’est pas le temps qui manque en ce moment…

[Il montre son appartement parisien]. Voilà, il y a même une petite vue sur la mer ! [Rires] Je sors un single cette semaine sur le label Cracki Records. C’est une reprise d'un morceau de Lucien & The Kimono Orchestra, un pianiste. Sur son dernier album, Piano Matinée, il a sorti un morceau du même nom, et le label m’a demandé si je pouvais le revisiter, ce que je ne fais jamais normalement. C’est un morceau magnifique. J’en ai profité pour inviter Alsy, une artiste chilienne avec qui je travaille souvent [et notamment sur les titres Still Cruisin’ et Bingo Bingo sur l’album Basic Instinct] qui chante en espagnol.

 

Vous avez aussi collaboré avec Chilly Gonzales pour le morceaux Blue Orange Green sur Basic Instinct. Dans le documentaire consacré à sa vie, Shut up and Play the Piano, il paraît assez mégalomane, et on le voit, comme à son habitude, toujours en pantoufles. En portait-il aussi lorsque vous l’avez rencontré?

C’est lui qui est venu vers moi, il voulait qu’on travaille ensemble dans le cadre de la Gonzervatory, le conservatoire qu'il a créé. Et je n'ai pas vu ses pantoufles. Quant à son côté mégalo, je ne sais pas… Disons qu’il est “mégalo marrant”, et s’il est drôle, moi je suis client !

 

 

En ce moment, tout le monde se rue sur les plateformes de lives musicaux en ligne telles que Boiler Room ou Arte Concert. En 2017, vous avez justement joué pour Boiler Room, et cette année aussi, en direct sur les ondes de la radio Rinse. Comment accepte-t-on, en tant qu’artiste, le fait qu’un concert ne puisse jamais disparaitre de Youtube et qu’on ait encore moins le droit à l’erreur?

Boiler Room, c’était mon premier concert, donc je me suis forcément mis la pression ! On m’avait un peu forcé à le faire : moi qui n’aime pas me montrer, quand je l’ai fait, je n’étais pas très serein… Mais maintenant, c’est fini, je suis guéri depuis que je suis parti aux États-Unis. On a tous ce petit truc de trac, c’est même nécessaire. Et quand c’est en live, bien sûr que c’est pire. J’en ai fait assez maintenant, sur Radio Nova, Rinse… Je peux dire que je suis rodé maintenant !

 

 

En parlant de Radio Nova, sur Youtube, je vous ai vu en interview dans une voiture. Comme dans une version cheap du Carpool Karaoke de James Corden…

[Rires] C’était une publicité pour la voiture, en fait. Ils m’ont proposé deux heures de balade dans Paris. Et la fille de l’interview, Sophie Marchand, je la connais depuis l’école, donc c’était marrant. 

 

Dans votre Intro de Basic Instinct, on entend des bruits d’aéroport, des bruits de grillons, c’est un voyage… Comme dans le film du DJ Paul Kalkbrenner, Berlin Calling – où il enregistre le “bip” des portes du métro berlinois – on vous imagine avec votre magnétophone en main, en train d’enregistrer les bruits d’un avion au décollage ou une voix qui annonce l’annulation d’un vol. Est-ce réellement ce que vous faites?

Oui, mais je n’ai pas de matériel ultra sophistiqué, juste un petit enregistreur ou un iPhone et j’ai plein de notes sur mon téléphone. Comme je ne fais jamais mes disques totalement à Paris et que je pars souvent à l’étranger pour le faire, j’aime capter toutes les ambiances : du métro, d’un aéroport, de la rue… Pour moi c’est comme un chemin. Quand on écoute l’album, on se rend compte de mon trajet, des États-Unis à la France, en passant par l’Amérique latine.

 

Je suppose que Jimmy Whoo n’est pas votre vrai nom.

J’ai choisi ce nom parce que j’aime tous les personnages de films qui s’appellent Jimmy, et c’est souvent dans les classiques comme les Coppola, les Scorsese et les Cassavetes. Pour le “Whoo”, j’aimais bien le côté interrogation… La vérité c’est que je ne sais pas trop pourquoi j’ai choisi ce pseudonyme, j’aimais sa sonorité. 

 

 

Basic Instinct (2019) de Jimmy Whoo, disponible.