30 mai 2018

“Les chansons qui ont vraiment de la gueule, il faut les prendre par la main et ne pas les lâcher.” Rencontre avec Juliette Armanet

Sa voix cristalline, ses mélodies pop et ses textes ciselés ont fait de Juliette Armanet une artiste accomplie, saluée aux Victoires de la musique 2018 pour son premier album “Petite Amie”. Accompagnée de quatre musiciens, elle a fait danser les festivaliers des 3 éléphants le week-end dernier. Rencontre avec celle qui donne un nouveau souffle à la variété française.

Juliette Armanet © Erwan Fichou et Théo Mercier.

Depuis son titre phare L’amour en solitaire (2014), Juliette Armanet a conquis le cœur du public et donne un nouveau souffle à la variété française. Propulsée sur le devant de la scène depuis que son premier album, Petite amie, a été sacré “Révélation” aux Victoires de la musique 2018, elle est aujourd’hui en tête d’affiche de nombreux festivals. Sur scène, quatre musiciens transforment ses morceaux acoustiques et leur apportent une saveur groovy. Mission accomplie, le public danse sur L’Indien, A la folie ou Un samedi soir dans l’histoire… Voix cristalline et regard audacieux, elle chante l’amour, ses désillusions, ses folies, sans perdre son humour féroce. Lors du festival Les 3 Éléphants, à Laval, Numéro a rencontré cette artiste exigeante. 

 

Numéro : L’amour, partagé ou non, déchirant ou heureux, est au cœur de votre album… Ce thème si intime et inexplicable, vous arrivez à le raconter, à lui donner des mots justes. Comment allez-vous chercher ces mots ?

 

Juliette Armanet : Je crois que j’ai un amour profond pour les lettres, les mots, la langue française. J’ai fait des études de lettres, mais aussi du théâtre et j’aime beaucoup lire. J’adore m’amuser à faire sonner les mots ensemble, à donner forme à des sentiments parfois nébuleux. Écrire permet aussi de prendre de la distance par rapport à des émotions trop lourdes. Un peu comme des petites sculptures surréalistes dans lesquelles on colle un nez à un saucisson ou des yeux à une banane, j’aime associer les mots les uns avec les autres avec humour, là où on peut réagir au premier degré avec ses émotions. Il y a certains sentiments inaltérables, dans lesquels on peut puiser toute une vie, comme les désillusions amoureuses, qui sont un terreau fertile. Je pourrais écrire encore 40 albums sur ce sujet, même si je suis au top du bonheur avec un mec génial.

           

 

“Pourquoi on s’accroche à une chanson plus qu’à une autre ? On le sait, comme on sait quand on tombe amoureux.”

 

 

À quel moment vous dites-vous que la chanson est finie ?

C’est très instinctif et assez mystérieux. Pourquoi on s'accroche à une chanson plus qu’à une autre ? On le sait, comme on sait quand on tombe amoureux. On fait des chansons d’abord pour soi, c’est une évidence, on est son premier spectateur. Il faut avant tout se faire rire, se faire pleurer… Certaines chansons sont des brouillons d’autres, on sent qu’elles ne sont pas assez bien. D’autres ont vraiment de la gueule, et quand elles sont ardues il faut les prendre par la main et ne pas les lâcher.

 

 

“Pour moi, la fiction est tout aussi autobiographique que le récit réel de notre vie.”

 

 

Comment faites-vous pour composer un morceau ? Par quoi commencez-vous ? Le texte, ou la mélodie ?

C’est important pour moi d'écrire le texte en même temps que la mélodie pour qu’on ne soit pas dans un truc trop français, trop littéraire. Il faut que le texte soit complètement mélodique, pour que l’on puisse presque l’oublier parfois. On commence par faire du yaourt et puis après, il se passe quelque chose de mystérieux… Je crois que c’est Étienne Daho qui disait ça, et c’était très juste : “Il y a une sorte d’amnésie à partir du moment où une chanson est finie, on ne sait plus jamais vraiment ce qu’il s’est passé, comment ça s’est fait.” On se met derrière son instrument et quelque chose se passe, on est saisi par l’émotion qui nous envahit. Et deux, trois jours plus tard, on tient une chanson. Il y a un temps de la création qui est assez court, qui est assez fugitif, et qu’il faut saisir au vol.

 

Étienne Daho disait aussi qu’une bonne chanson, c’était la B.O. de sa propre vie… Est-ce votre cas ?

Oui, bien sûr, totalement, même si la fiction et la réalité sont emmêlées. D’ailleurs, j’ai fait mon mémoire de lettres sur le rapport entre l’autobiographie et la fiction, et j’ai travaillé sur un auteur, Romain Gary, qui a passé sa vie à raconter, à mentir, à inventer la sienne. Je trouvais ça passionnant qu’il mette tout sur le même pied d’égalité. Pour moi, la fiction est tout aussi autobiographique que le récit réel de notre vie. Inventer sa vie en chanson ou que la chanson soit le reflet de sa vie, c’est à peu près la même chose. Ça n’est pas moins sincère si c’est fictionnel. 

 

 

Vous avez été journaliste pendant sept ans à Arte avant de sortir le morceau L’amour en solitaire en 2014. À quel moment vous vous êtes dit : “Ça y est, je me lance entièrement dans la musique” ?

J’étais très satisfaite de mon boulot quand j’étais chez Arte les premières années, et puis j’ai changé de boîte, et je me suis retrouvée propulsée dans d’autres façons de faire qui ne me plaisaient pas : des documentaires qui manquaient de fond, moins intéressants à faire. On me réécrivait le moindre mot que je faisais… Je perdais ma liberté d’auteur et j’ai commencé à me sentir moins bien dans ce métier, que j’adore pourtant, et qui m’a vraiment façonnée. J’ai alors réalisé qu’il était peut être temps de mettre de l’ordre dans toutes les chansons que j’avais écrites et de commencer à me faire confiance sur un truc viscéral chez moi qui est la musique. J’ai rencontré la directrice artistique Flavie Jaubert, qui est la manageuse de Christine et nous nous sommes très bien entendues. C'est elle qui m’a donné envie de signer en maison de disques, et qui m’a accompagnée, aussi, dans l’écriture de la fin de l’album et dans toute la production du disque.

 

 

“J’aimerais bien travailler avec Sébastien Tellier qui est pour moi l’un des plus grands musiciens de notre génération.”

 

 

On vous a beaucoup comparée à Véronique Sanson, avez-vous eu l’occasion de la rencontrer ?

Véronique Sanson, elle, c’est vraiment une pianiste de blues, ce qui n’est pas du tout mon cas, et elle joue du piano 175 000 fois mieux que moi. Moi, j’ai une façon naïve de jouer du piano. Je ne sais pas lire la musique, je fais tout à l’oreille. Je n’ai jamais pensé à Véronique Sanson en faisant ma musique car je ne l’avais jamais vraiment écoutée. Mais oui, on a fini par se rencontrer et on a même enregistré un duo ensemble. Je trouve cette femme exceptionnelle, généreuse, elle prend totalement possession de la scène… C’est un phoenix car elle a été proche de la mort, elle s’est infligé un truc très violent, l’alcool, la drogue…

 

Quels artistes de la jeune scène française admirez-vous aujourd’hui ?

Je suis complètement hypnotisée par Clara Luciani, que j’adore. Je la trouve absolument iconique, avec une voix exceptionnelle. Je lui ai proposé de faire ma première partie à l’Olympia, j’étais très heureuse qu’elle dise oui. Et je trouve qu’Eddy de Pretto a aussi vraiment son truc à lui.

 

Avec quels musiciens aimeriez-vous écrire ou composer un morceau ?

J’aimerais bien travailler avec Sébastien Tellier qui est pour moi l’un des plus grands musiciens de notre génération. C’est quelqu’un d’insolent, de borderline, de pas politiquement correct. Il fait de ses concerts des sortes de one man show… Il a ce côté gainsbourien qui dérange, et je trouve ça extrêmement rare maintenant d’avoir des artistes qui osent sortir des clous.

 

Pensez-vous que c’est important de déranger pour être un bon artiste?

C’est une bonne question. Ce n’est pas du tout ce que je recherche mais j’admire cette façon de faire. Orelsan a par exemple provoqué un raz-de-marée scandaleux avec ses chansons qui sont loin d’être féministes ou dans l’air du temps.

 

Vous avez longtemps été seule sur scène avec votre piano, vous êtes aujourd’hui cinq musiciens. Comment s’est passée l’adaptation de l’album sur scène ?

On a réarrangé Petite Amie avec un musicien que j’adore, qui s’appelle Victor le Masne, qui a fait trois albums avec Housse de Racket. Il a compris ma musique et m’a aidé à transposer l’album sur scène et à lui donner une dimension plus dynamique, adaptée au live. J’ai réussi à passer certains caps, à me lever de mon piano, à danser sur scène… Partager cette aventure avec eux est devenue indispensable maintenant.

 

Avez-vous toujours autant le trac avant de monter sur scène ?

Avant j’étais pétrifiée, je le suis moins aujourd’hui.

 

Avez-vous des astuces pour vaincre le stress ?

Non, je cherche vainement des façons de sortir de cette impasse… Je parle, je boxe, je fais des blagues avec mes musiciens !

 

Gardez-vous en mémoire un souvenir de concert particulièrement marquant ?

C’est un peu idiot à dire mais sincèrement la première fois à Olympia c’était extraordinaire… Je n’ai jamais ressenti ça de ma vie, j’étais submergée d’émotions. C’était même dur parfois d’aller au bout des chansons. Le public était déchaîné, toute ma famille était là… J’avais l’impression de vivre un rêve.

 

Et d'où vous est venue l'envie de jouer de la musique ? 

J’ai appris à jouer parce que tout le monde jouait à la maison. Mes parents sont pianistes amateurs. Ils ont fait pleins de trucs différents, ils ont été libraires quand je suis née, ensuite ils ont monté des boutiques, ils ont fait de la papèterie, ils ont vendu des fringues, après ils ont fait du documentaire… Aujourd’hui, mon père se consacre vraiment à sa musique. Il a mis je pense 60 ans de sa vie à assumer qu’il était musicien. Il compose, il joue un peu partout et ma mère s’occupe de faire vivre sa musique et l’aide à trouver des dates. C’est un couple fusionnel, des gens hors-normes.