La rappeuse Tierra Whack raconte sa dépression dans un premier album
Cinq ans après l’EP explosif “Whack World”(2018), la rappeuse de Philadelphie Tierra Whack dévoile son alter ego en version animée et présente “World Wide Whack” un premier album profondément sombre sur la dépression et l’anxiété dans lequel elle déploie encore un peu plus sa trap minimaliste et son R’n’B sidéral.
Par Alexis Thibault.
En 2018, Tierra Whach débarque avec un EP concept
15 titres, 15 clips, 15 minutes… En un seul opus – l’EP Whack World en 2018 – la jeune prodige Tierra Whack réinventait le concept de l’album studio. Son imagerie surréaliste se déployait alors au rythme d’une trap minimaliste et d’un R’n’B sidéral. À l’époque, Tierra Whack semble résister à l’ouragan Ye de Kanye West, sorti à la même période et au retour tonitruant du couple Carter (Jay-Z et Beyoncé).
Si elle ne boxe a priori pas dans la même catégorie, son projet surpuissant est pourtant l’un des meilleurs de l’année 2018. Un vent de fraîcheur souffle sur la planète hip-hop, et la jeune héroïne de 22 ans est à l’origine de cette bourrasque. Pour son premier album, Whack World, Tierra Whack propose un album-concept constitué de quinze titres d’une minute chacun. Et pour satisfaire les générations qui ne jurent que par l’image, elle accompagne ce premier opus d’un court-métrage sensationnel qui compile quinze clips de soixante secondes, révélant ainsi son univers fantastique.
Une artiste adoubée par Solange et Missy Elliott
Déjà adoubée par Solange Knowles et la reine aux cinq Grammy Awards Missy Elliott, c’est pourtant par la plus petite des portes que Tierra Whack a fait irruption dans l’industrie musicale. À Philadelphie, sa ville natale du nord-est des États-Unis, elle s’essaye au rap avec nul autre qu’A$AP Rocky lors de battles enflammées. À l’époque, elle n’a pas encore 16 ans et son pseudonyme s’écrit “Dizzle Dizz”. Mais à l’aube des années 2000, ce sont finalement les extravagances d’Outkast et la verve furieuse d’Eminem qui la galvanisent.
Partagée entre mille influences, Tierra Whack se forge autant de personnages et distribue des psaumes ciselés sur des sarabandes ultra contemporaines. Telle une gigantesque fresque sonore surréaliste, Whack World rappelle les élucubrations du sale gosse Tyler, The Creator, sa nonchalance déroutante et son rap pétaradant. Au sein des toiles abstraites de la Walkyrie afro-américaine : un R’n’B éthéré en guise de fond, des lignes de fuite doo-wop excentriques et, au premier plan, un rap qui se mue en trap percutante. Ainsi, l’ardent Hookers propose un gangsta funk arrosé de vocodeur tandis que l’excentrique Fuck Off parodie l’accent redneck sur une mélodie vidéoludique entêtante. Tout un programme.
Dans Whack World, c’est avec une partie du visage tuméfiée que Tierra Whack s’exprime, comme fracassée à coups de poing rageurs. Tierra chante en sortant d’une caravane, lunettes de soleil sur les yeux et manteau de fourrure sur les épaules. Tierra pleure son chien entre les tombes d’un cimetière devenu théâtre de marionnettes. Tierra s’amuse dans un cube de papier bulle empli d’étranges machines composées de loupes… Entre fantaisies bizarroïdes et tableaux dérangeants, l’imagination débordante de Tierra Whack l’a menée à présenter un produit culturel novateur voué à être consommé de façon fulgurante.
Son “clip-album” réalisé par le studio Gentilhomme – le duo qui a dirigé le clip Blue Wonderful d’Elton John et les vidéos promotionnelles du Cirque du Soleil – a tout d’une friandise. Un enrobage rose vif trompeur qui révèle une acidité explosive. Car la musicienne se joue de notre frustration avec ses titres éclair. Entre délires et songes terrifiants, fantasmes et hallucinations, hip-hop minimaliste et soul aérienne, Tierra Whack nous entraîne dans une course contre la montre à la fois addictive et éreintante. Avec sa farandole de titres multicolores, et son éventail de personnages, elle n’a que soixante secondes pour convaincre.
Il aura fallu cinq ans à l’artiste pour revenir sur le devant de la scène. Cette fois, c’est un album de quinze titres qu’elle défend, World Wide Whack, une odyssée aussi sombre que spectaculaire à travers ses angoisses. L’artiste américain Alex Da Corte, un compatriote de Philadelphie, signe la pochette de ce disque qui présente l’alter ego de la rappeuse – inspiré par Pierrot le clown, Donna Summer et la tradition Yoruba. Un double fictif à la fois intouchable et vulnérable, surhumain et douloureusement humain, dont l’histoire surprenante se déploie en images tout au long de l’album. Dans ce nouvel opus, l’artiste narre sa dépression et ses pensées suicidaires…
World Wide Whack (2024) de Tierra Whack, disponible.