Kiddy Smile : “Pour moi le voguing était une danse efféminée, je n’avais pas conscience de sa force politique.”
Ceux qui ne connaissaient pas Kiddy Smile ont eu vent de son existence lors de la Fête de la musique de l’Élysée en 2018. Héraut de la cause LGBT et figure de proue de la scène voguing parisienne, le DJ et producteur a créé le buzz avec un simple tee-shirt revendiquant sa conscience politique. Rencontre.
Numéro Homme : On dit souvent que la mode est un milieu qui accueille toutes les créatures rejetées par le commun des mortels. Qu’en pensez-vous ?
Kiddy Smile : Je ne trouve pas que ce soit un monde inclusif, même si ce milieu m’a accepté et m’a permis de m’exprimer. Pour commencer, la mode ne s’adresse qu’aux classes sociales les plus privilégiées. Avant de pouvoir se payer les produits de cette industrie, on est souvent obligé de se contenter de ses contrefaçons. D’autre part, lorsqu’on est une personne de couleur, projetée hors de son élément, on a tendance à regarder autour de soi pour évaluer la diversité ethnique environnante. J’ai longtemps navigué dans les fêtes de la mode. Il y avait un peu de diversité, mais pas énormément. D’ailleurs, pour être inclusif, il ne suffit pas de mettre des Noirs partout, il y a d’autres gens que les Noirs ! Mais, bien sûr, je constate qu’un effort a été fait sur les podiums, dans les campagnes de publicité et dans les magazines. Et je suis beaucoup plus optimiste à ce sujet que les gens qui y voient une tendance éphémère. Une fois qu’on a ouvert cette discussion, on ne peut pas revenir en arrière, de même qu’on ne pourra plus agir comme si le mouvement #MeToo n’avait jamais existé. Certains s’offusquent de tant de précautions, mais c’est un changement pour le meilleur. Il faut bien refléter la société telle qu’elle est.
Vous avez déclaré dans une interview que le fait d’être noir était plus stigmatisant en France que celui d’être homosexuel, car on vous rappelle toujours à votre différence en vous interrogeant sur vos origines.
C’est le cas. Personnellement, je fais toujours l’idiot quand on me demande d’où je viens. Aujourd’hui, je vous répondrais : “Eh bien, je viens du défilé Iris van Herpen, j’en sors à l’instant.” Si on insiste, je finis par dire que je suis né à Rambouillet. Mais souvent, la question est répétée encore une fois. Alors là, je mets les pieds dans le plat : “Tu es en train de me demander comment il se fait que je sois français et noir ? Tu n’as pas l’impression que ta question est problématique ?” Je refuse de répondre à cette question, sauf si elle
est émise par une personne également racisée, et qui essaie de se trouver des points communs avec moi. Tous les autres feraient mieux de demander : “Connais-tu l’origine de tes ancêtres ?” Je suis passé en conseil de discipline quand j’étais en classe de troisième pour cause de bavardage dans un cours d’histoire- géographie sur la décolonisation. Le professeur m’a dit : “Vous devriez vraiment écouter ce cours car il vous concerne puisque vous êtes noir.” Je suis allé lui parler à la fin du cours, ce qui m’a valu une exclusion. Lui n’a pas été condamné, alors qu’il aurait dû dire : “Écoutez, car cela concerne tout le monde.” C’était la première fois qu’à Rambouillet une réflexion raciste m’était adressée frontalement.
Quand avez-vous connu la scène voguing ?
J’auditionnais pour une tournée de Madonna, quatre ans plus tard, et on ne m’a pas gardé faute de budget. Je me suis donc demandé pourquoi je voulais tant être sur scène… Je me suis alors tourné vers la musique car j’ai pris conscience que j’avais toujours voulu chanter. J’ai vite commencé à avoir des résidences dans des clubs en tant que DJ, et j’ai été approché par Lasseindra Ninja et Steffie Mizrahi qui m’ont expliqué qu’elles créaient une communauté de danse pour permettre aux gens de pouvoir vivre leur identité en tant qu’homosexuels de couleur. Je me suis impliqué de plus en plus dans cette scène pour propager ce mouvement au-delà de Paris, car en dehors de la capitale, les gens se sentent vraiment seuls avec leur homosexualité. Si ce type de soirée avait existé quand j’étais adolescent, je ne me serais pas imaginé que j’avais contracté une “maladie” ne touchant que les Blancs. Bien sûr, l’homosexualité n’est pas une maladie, mais à l’époque j’avais l’impression que c’était comme la varicelle…
Aviez-vous entendu parler du voguing auparavant ?
Pour moi, c’était juste une danse efféminée, je n’avais pas conscience de sa dimension politique. Si tout le monde connaît la salsa, les gens ignorent que ces deux danses sont afro-descendantes, résilientes, et ont été créées par des esclaves. En faisant des recherches, en regardant Paris Is Burning (1990), j’ai compris ce qu’était le voguing.
Quelle est votre position sur l’appropriation de cette danse par des artistes tels que Madonna ou, plus récemment, FKA Twigs ?
Je suis contre l’appropriation culturelle quand il n’y a pas de retour sur investissement pour la communauté qui vit ce mouvement. La musique pop relève d’une activité capitaliste, donc, même si les artistes ont le désir de mettre le voguing en valeur, c’est problématique car ce sont bien eux qui en retirent profit et prestige, et non les acteurs de cette communauté.
Découvrez l’interview de Kiddy Smile dans son intégralité dans le Numéro Homme 37, disponible en kiosque et sur iPad.