22 fév 2025

Les confidences d’Eloi : “Cette fois, j’avais vraiment envie d’un truc qui tape…”

Deux ans après Dernier Orage (2023), Eloi revient avec Blast, un EP electroclash aux basses féroces qui s’autorise des élans new wave et glam punk. L’artiste de 27 ans livre une œuvre explosive et résolument queer. Un exutoire jubilatoire qui évoque tout autant l’émancipation que l’identité. Rencontre.

  • Par Alexis Thibault.

  • Publié le 22 février 2025. Modifié le 24 février 2025.

    Blast, le nouvel EP explosif d’Eloi

    Cette fois, Eloi avait vraiment envie d’un truc qui tape… Quelque chose de féroce. Une détonation assourdissante. Deux ans après son Dernier Orage (2023), album électro-pop qualifié de “furieux et déboussolé” par nos confrères du Monde, la jeune artiste de 27 ans défend désormais Blast, un EP de huit morceaux qui évoque tout autant la musculature saillante d’une bodybuildeuse que les coups de gueule incendiaires de Béatrice Dalle.

    Blast est un disque construit autour des lignes de basse. Une œuvre résolument queer dans laquelle les synthétiseurs glacés de la new wave façonnent, finalement, un punk arrogant sur des rythmes binaires. Ici, les boîtes à rythme sont sèches, mécaniques, et le tout bifurque subitement vers le glam punk, ce sous genre qui fusionne l’esthétique flamboyante du glam rock et l’énergie brutale du punk rock.

    On pense évidemment à Charli xcx, à MGMT, à FischerspoonerBlast évoque la rupture. Blast évoque l’émancipation. L’exutoire jubilatoire d’une artiste qui interroge encore sa propre identité… Oui, pour cette fois, Eloi avait vraiment envie d’un truc qui tape. Rencontre.

    Bien Mérité (2025) d’Eloi.

    L’interview d’Eloi pour la sortie de son album Blast

    Vous l’avez découverte comment votre fiche Wikipédia vous ?

    C’est mon père qui me l’a envoyée ! En plus il a corrigé plein de choses dessus… Franchement, je ne saurais pas vous dire ce qui est de lui ou pas mais je trouve l’initiative assez cool.

    Quand vous étiez petite qu’aperceviez-vous par la fenêtre de votre chambre ?

    Mes parents ont divorcé lorsque j’était encore une enfant. Chez ma mère, ma fenêtre donnait sur un jardin sans aucun vis-à-vis. Ce n’était pas très passionnant… Chez mon père, en revanche, je voyais beaucoup plus de monde : ma fenêtre donnait sur un ensemble d’immeubles. Alors je passais mon temps à observer ce qui, selon moi, ressemblait à une vie d’adulte. Je trouvais ça assez cringe [embarrassant, gênant]…

    Cringe ? Pourquoi donc ?

    Je m’appuyais contre le garde-corps pour fumer des clopes. Et ce que je voyais c’était surtout des couples qui passaient leur temps à s’engueuler… Je me souviens de moments de stress intenses. Je crois que je me sentais parfois un peu coincée dans cette chambre. Donc je ne suis pas vraiment nostalgique de tout cela. J’étais heureuse de pouvoir enfin bouger même si j’ai adoré vivre chez mes parents.

    Écoutiez-vous déjà beaucoup de musique à l’époque ?

    Oui, avec mes parents, ma grand-mère, mon frère puis mes potes. J’ai longtemps été baladée entre différentes régions, entre différents établissements. Parfois, j’avais presque l’impression de devoir m’infiltrer au sein d’une nouvelle communauté. J’ai vécue en Bretagne et j’ai passé mon bac dans le XVIe arrondissement de Paris… J’ai écouté du punk, du rock, du rap… Avant cela, mon père m’avait déjà fait découvrir la chanson française et la pop des années 80. Et ma formation de piano m’a permise de découvrir la musique classique. Ensuite, j’ai rencontré Léo, qui est devenu mon meilleur ami. Nous formions un duo pendant un moment. On écoutait Rebeka Warrior, Sexy Sushi [duo formé par Rebeka Warrior et Mitch Silver], Miss Kittin et tout ce qui pouvait mélanger le rap, la musique électronique et l’écriture brute sans apparats.

    Et aujourd’hui, avec tout ce bagage musical, comment expliqueriez-vous votre musique à une petite fille de dix ans ?

    Je lui dirais que je fais de la musique sur des ordinateurs, et que j’écris dessus des textes qui racontent ce que je ressens, au moment où je le ressens… et que ça m’amuse beaucoup. Disons que je prends plaisir à construire des mini mondes sur un ordinateur avec ma voix. Je raconte ma vie quoi !

    Si vous n’aviez pas fait de musique, dans quel domaine auriez-vous sans doute excellé ?

    Je pense que j’aurais fait du dessin animé. Je produis beaucoup de bande dessinée. C’est un autre moyen d’expression qui me permet d’utiliser toute une gamme de tons, de couleurs. Et puis, je suis certainement attirée par les dessins animés parce qu’ils comportent des sons. Sans être musicien, vous pouvez tout de même incorporer des images sur de la musique ou sur des voix.

    À ce propos, si vous pouviez vivre pendant une semaine dans l’univers d’un film, lequel choisiriez-vous ?

    Franchement ? Je pense que je passerais une semaine dans  Skins [2007]. Je me refais toute la série en ce moment, !

    La série est-elle meilleure qu’Euphoria selon vous?

    Je la trouve meilleure, oui. Euphoria est trop… dramatisée. En ce qui me concerne j’ai connu un rapport à l’addiction assez intense et je trouve que ce n’est pas très bien dépeint dans ce programme. Tout est exagéré. On passe de la beuh au Fentanil en deux secondes quoi ! L’écriture de Skins est beaucoup plus fine, c’est une Madeleine de Proust.

    Est-ce un sujet que nous pouvons aborder dans cet entretien ? Votre rapport à l’addiction ? 

    Je n’en ai jamais vraiment parlé. En même temps, ce n’est pas très compliqué de le capter lorsque l’on écoute ma musique, non ? Mon rapport à la fête rejoint plein de sujets liés à ma musique et au monde dans lequel nous évoluons toutes et tous à notre manière. Pour moi, ce n’est vraiment pas un sujet tabou.

     

    Ces addictions vous ont-elles apporté quelque chose de positif ?

    Oui, parce qu’elles sont arrivées très tôt dans ma vie et qu’il a donc fallu que j’apprenne à les gérer. À devenir plus forte aussi. Cela m’a peut-être fait grandir plus rapidement. J’ai aussi eu la chance de trouver les bonnes personnes pour m’accompagner. Quand vous commencez à treize piges, disons qu’à 19 ans, vous avez déjà fait un bout de chemin. Le plus dur, c’est d’en parler finalement. Et la musique m’a beaucoup aidée aussi. Elle m’a rendu heureuse et m’a sorti de ça. Je suis un peu une vieille dame maintenant…

    Si votre musique prenait subitement la forme d’une œuvre d’art contemporain. À quoi ressemblerait-elle ?

    Je pense qu’elle changerait de forme à chaque projet, à chaque chanson même. La première chose qui me vient en tête est un poster que j’avais imaginé avec ma copine. Une sorte de patchwork avec des images de catcheuses. Un gros bordel, hyper intense. Attendez, je vais vous montrer ! Regardez ! Ça c’est ma vibe ! En fait, j’ai rencontré ma copine au Beaux-Arts et du coup, on avait fait ce poster. C’est avec elle que j’ai fait le clip de Call Me aussi. Le thème était le même : le catch. Vous y trouverez un lien direct avec la physicalité, le corps, la performance, la sensualité, la queerness, le genre…

    En quoi votre musique évoque-t-elle la performance ?

    Quand j’ai débuté la musique, ce n’était pas pour faire de la scène. Avec la tournée de mon album Dernier Orage, j’ai commencé à sentir que je pouvais transformer mon travail pour qu’elle soit performée. J’ai donc tenté d’intégrer cela dès le stade de la composition. Ce nouveau projet, Blast, je l’ai réalisé très rapidement, en profitant de toute l’expérience de scène que j’ai pu acquérir. Sur scène, les gens captent votre énergie et cela rend votre prestation deux fois plus intense. Ça m’a vraiment plu.

    À propos de Blast, votre nouvel EP, quel était votre cahier des charges ?

    J’ai lu un truc à propos de la rappeuse Doechii, que j’ai trouvé très intéressant. Elle a réalisé sa mixtape en près d’un mois.Parfois, la restriction permet d’être plus libre. Parce que vous n’avez plus le temps de douter, de repasser sur des trucs et de transformer ce que vous vouliez dire à l’origine. J’ai construit mon premier album avec des sons que j’avais depuis longtemps. C’était très lourd à porter, très intime, et tout n’était pas hyper joyeux dans le processus. Cette fois je rêvais de quelque chose de plus électronique, de plus electroclash. Un truc qui tape. J’avais une destination bien précise en tête, il ne me restait plus qu’à emprunter l’autoroute.

    Entretenez-vous cet étrange rapport à la force et à la puissance parce que vous en avez longtemps ressenti le manque ?

    Ouais… À fond… Bravo, docteur ! Mon identité queer m’a forcée à interroger mon corps, à me demander ce que je voulais être ou ne pas être. Être une femme au sein de l’industrie musicale vous oblige à vous interroger au même titre que l’addiction que nous évoquions tout à l’heure. D’ailleurs, l’addiction a, elle aussi, un rapport étroit avec le corps. Je recherchais inconsciemment une sorte d’insensibilité, d’abstraction ou, au contraire de lucidité extrême. J’ai commencé à faire beaucoup de sport car je voulais découvrir l’effet de la force physique. Et la danse me permet de performer sur scène. Avec Blast, j’ai découvert tout un nouveau champs d’expérimentation. Aujourd’hui j’aimerais transformer cette puissance…en quelque chose de bien réel.

    Blast d’Eloi, disponible.