15 fév 2019

De Woodkid à Lana Del Rey, la pop baroque est-elle le bon élève de la pop ?

À contre-courant des tendances mainstream, la pop de chambre – ou pop baroque –, demeure le meilleur avocat des musiques dites “populaires”. Sous les traits d’un Perfume Genius, d’un Woodkid ou d’une Lana Del Rey, le genre s’est imposé massivement sur la scène artistique grâce à ses orchestrations sophistiquées.

 

Les lamentations austères d’un violoncelle grincent dans la pénombre. Seul le teint diaphane et les maxi créoles scintillantes de Lana Del Rey illuminent la scène. De la bouche rouge baiser de la pin-up new-yorkaise naissent les première notes de Young and Beautiful. La complainte ténébreuse regrette le temps qui passe. À ce jour, le clip vintage de 2013, tourné en 4/3, cumule près de 350 millions de vues sur Youtube. Lorsque l’interprète aux larmes tatouées disparaît de l’écran, c’est un orchestre symphonique qui prend le relais, sous des lumières dramaturgiques dignes d’une scène d’opéra. L’opulence est de mise : le titre est estampillé “pop baroque”.

 

 

La musique baroque, “perle irrégulière”, cache en vérité des compositions virtuoses, exubérantes et ardentes où le contraste est roi.

 

 

Depuis la convergence des genres musicaux, on nomme “pop” ce que l’on a du mal à définir. Capable d’évoquer des images en rafale, la pop baroque semble réconcilier les puristes et le grand public. Elle regroupe notamment Perfume Genius, Antony and the Johnsons ou Florence + The Machines… Si cette pop de chambre fascine autant le public que la critique musicale, c’est parce qu’elle oscille entre envolées lumineuses et obscurité abyssale. Évidemment, elle se retrouve rapidement sur les écrans radars du 7e art. Car le contraste des compositions confère à la pop baroque une dimension épique et grandiloquente : le Young and Beautiful de Lana Del Rey nourrit Gatsby le Magnifique, adaptation de l’Australien Baz Luhrmann, les violons et les cuivres assourdissants du morceau Iron de Woodkid (2013) servent la société Ubisoft pour la bande-annonce de sa franchise Assassin’s Creed

Une musique baroque est celle dont l’harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances, le chant dur et peu naturel, l’intonation difficile et le mouvement contraint”… à en croire Rousseau, la musique baroque n’était pas vouée à un avenir radieux. “Baroque” est surtout un mot fourre-tout – tout comme “pop” – qui désigne une période et un genre né vers 1600. Il se développe en Italie, en France et en Allemagne jusqu’en 1750 (mort de Bach). N’en déplaise aux critiques, cette “perle irrégulière” [selon son étymologie portugaise] cache en vérité des compositions virtuoses, exubérantes et ardentes où le contraste est roi. C’est pourquoi il fait son grand retour, sous une nouvelle forme, trois siècles plus tard. Des Beatles aux Beach Boys, les musiciens britanniques et américains exhument le genre dans les années 60 : il s’impose dans les années 70 comme la flamboyante alternative au punk rock.

 

 

La valeur d’un morceau dépendrait essentiellement de sa complexité interne.

Servi par des compositions élaborées, le genre musical relance également le débat qui oppose “musique savante” et “musique populaire.” Des œuvres élitistes, sérieuses, presque confidentielles face à des créations “à la recherche volontaire d’un public aussi large que possible – pour des raisons spécifiquement économiques, mais pas exclusivement,” pour reprendre les termes de la musicologue Catherine Rudent. La valeur d’un morceau dépendrait essentiellement de sa complexité interne.

 

Aujourd’hui, le terme a perdu de sa superbe : la pop baroque désigne un pop rock intégrant des acteurs de la musique classique : violons, violoncelle, clavecin, cor, hautbois… Grâce a cette orchestration inhabituelle et sophistiquée, elle se différencie volontairement de la musique mainstream.

 

Florence + The Machines en concert le 24 mars à l’Accorhotels Arena, Paris.