3 déc 2021

Que vaut Nonante-Cinq, le nouvel album d’Angèle ?

Après un premier album, Brol (2018) écoulé à plus d’un million d’exemplaires, un documentaire sur Netflix, un film avec Leos Carax et un rôle d’égérie et d’ambassadrice pour Chanel, Angèle sort son deuxième disque, Nonante-Cinq. Mais cet objet vulnérable et confessionnel parvient-il à combler les attentes reposant sur les frêles épaules de la pop star belge ?

Dans le documentaire sans fard qui lui est dédié sur Netflix, Angèle lit à haute voix son journal intime, écoute un message vocal où elle est en train de pleurer et avoue qu’une grande mélancolie parcourt sa vie. Elle aurait aimé qu’on ne lui vole pas son coming out, a souffert, parfois, d’avoir des parents connus et confie s’être déjà perdue en chemin, la célébrité monstre arrivant rapidement. Avec ses confessions douces-amères, la chanteuse belge Angèle nous touche, rejoignant l’attitude de stars comme Lady Gaga et Selena Gomez, qui avant elles, ont aussi révélé la vérité parfois moins rose derrière les paillettes. Alors qu’elle vient de fêter ses 26 ans, la compositrice peut pourtant se targuer d’avoir écoulé son premier album, Brol (2018) à plus d’un million d’exemplaires, d’avoir posé pour Chanel et d’avoir tourné dans une série hilarante (La Flamme) ainsi que dans un excellent film (Annette de Leos Carax). Pourquoi donc, alors, cette jolie jeune fille à frange à qui tout semble sourire a-t-elle le regard si triste ?

 

Les réponses à ce mystère existentiel se trouvent en grande partie dans ce deuxième album, dévoilé ce jeudi 2 décembre à minuit, alors qu’on ne l’attendait que le 10 décembre. Angèle Van Laeken y apparaît beaucoup plus fragile que le personnage effronté et engagé qui se dessinait sur Brol. Agacée par les haters et marquée, devine-t-on entre les lignes, par sa rupture avec l’humoriste et comédienne Marie Papillon, l’auteure-compositrice-interprète semble ne pas très bien vivre son existence de star solitaire sans cesse projetée sous la lumière comme elle l’avoue sur les mélancoliques Libre, Solo, Tempête et Taxi. Même si elle sait aussi se montrer plus optimiste sur les enjoués Bruxelles je t’aime et Pensées positives, le ton est globalement aux remises en question.

Si on retrouve tout le long du disque la touche « Angèle« , avec des textes dans l’air du temps (le titre Plus de sens qui évoque la pandémie), des pianos qui chialent et une voix too cute, Nonante-Cinq renouvelle quelque peu la formule. Comme dopée par son duo tube avec Dua Lipa (Fever, l’un des hymnes de 2020), elle apparaît plus pop que jamais et sa voix est désormais souvent  modifiée par l’utilisation de l’auto-tune. La production est léchée et les mélodies, des ritournelles entraînantes, restent dans la tête. Et certaines chansons semblent taillées pour passer à la radio (Libre, Solo, Bruxelles je t’aime).

 

Angèle possède également un véritable talent pour accoucher de textes émouvants et poétiques qui parleront aux jeunes filles et aux jeunes garçons de son âge (et aux plus jeunes qu’elle). Mais pas seulement… Pourtant ce second album pourrait ne pas autant convaincre le mainstream que les tubes d’autrefois car ils s’avèrent plus intimistes que fédérateurs. Alors que Brol surfait sans cesse sur les thèmes d’actualité (le mouvement #MeToo abordé au premier degré sur Balance Ton Quoi), ce deuxième essai, moins universel, se recentre sur le moi d’une jeune fille surexposée qui a atteint bien trop vite des sommets.

 

On a souvent l’impression d’écouter sur Nonante-Cinq un journal – très – intime. Comme Angèle le confesse elle-même sur l’une de ses chansons : “D’ailleurs, je ne peux pas m’empêcher/De composer comme exutoire/Racontant ma vie privée/Et puis ensuite de m’en vouloir.” Impudiques, ces douze titres en forme de montagnes russes (la pochette où Angèle se dédouble sur un manège nous avait prévenu), nous ramènent à nos propres démons. On noue une sincère affection pour celle qui a accouché de ce drôle d’objet vulnérable aux allures thérapeutiques.

 

Dans cette veine cathartique, on retiendra le sublime Profite, le percutant Démons sur lequel apparaît Damso ou le nostalgique On s’habitue, sorte de relecture du grand classique Comme d’habitude à l’usage de la génération TikTok. On y entend d’ailleurs la plus belle phrase du disque : “On s’habitue à tout/Sauf peut-être à perdre ce qu’on aime”. On entend même du Satie (durant quelques secondes) et du Charles Aznavour dans le magnifique Mots justes où la voix d’Angèle n’a jamais été aussi sensible et troublante.

 

Nonante-Cinq d’Angèle, VL/Romance.