Mostra de Venise : Maggie Gyllenhaal pulvérise le male gaze dans son premier film
Première réalisation de l’actrice et désormais cinéaste Maggie Gyllenhaal, The Lost Daughter est un film discret, en rupture avec l’habituel grand spectacle de ses homologues hollywoodiens. Il fait preuve, malgré ses défauts, d’une extrême délicatesse. Il sera bientôt diffusé sur Netflix.
Par Chloé Sarraméa.
Dans l’imbroglio de superproductions hollywoodiennes présentées au début du festival, les organisateurs de la Mostra ont glissé un film difficile à catégoriser. Première réalisation de l’actrice et désormais cinéaste Maggie Gyllenhaal, The Lost Daughter a tout d’une œuvre de star – brillante, intrigante, attendue et scrutée. Elle opte pourtant pour la discrétion, se révélant en rupture avec l’habituel grand spectacle de ses homologues, et faisant preuve, malgré ses défauts, d’une extrême délicatesse. On n’en attendait pas moins, à vrai dire, de la part de la soeur de Jake Gyllenhaal, qui occupe depuis vingt ans une place à l’opposé de celle de son frère dans l’industrie : favorite du cinéma d’auteur.
Adapté du roman éponyme d’Elena Ferrante (2006), The Lost Daughter nous plonge dans l’intimité de Leda (Olivia Coleman), une universitaire britannique en vacances en Grèce. Chaque jour, elle s’installe sur la plage, armée de ses livres, de son calepin et d’un crayon. Elle a la ferme intention d’alterner, pendant toute la durée du séjour, farniente et labeur. Mais l’arrivée sur le sable d’une famille américaine va chambouler son programme : ils sont bruyants, parfois irrespectueux et occupent tout l’espace. Surtout, ils sont bien trop divertissants, et la vacancière ne peut s’empêcher de tendre une oreille, de profiter du spectacle et même d’y participer. Lorsque la petite fille de Nina (Dakota Johnson) disparaît après une seconde d’inattention, les souvenirs de Leda refont surface…
À travers l’histoire d’une quarantenaire célibataire hantée par ses jeunes années (elle est alors incarnée par Jessie Buckey), Maggie Gyllenhaal fait, à l’aide de flashbacks pas toujours très bien insérés, état de la difficulté d’être mère. Surtout, elle dénonce les injonctions faites aux femmes, notamment celles qui poursuivent des études supérieures. Elles doivent parfaire l’éducation de leurs enfants, être une bonne amante et mener leur carrière avec brio. Lorsqu’elle constate les conflits entre Nina et le père de sa fille, ainsi que son impuissance face aux pleurs de cette dernière, Leda se souvient des choix qui lui ont jadis été imposés. La journée, elle devait s’occuper de ses deux filles qui réclamaient sans cesse de jouer avec elle, tandis qu’il lui fallait travailler d’arrache-pied pour présenter son dernier ouvrage lors d’un colloque. Ce même colloque où elle rencontra un collègue professeur (Peter Sarsgaard), avec lequel elle entama une liaison…
À cet instant, The Lost Daughter se teinte (encore davantage) d’engagement. Il va carrément à l’encontre de schémas devenus trop banals dans la fiction. Ceux qui montrent que “la maternité c’est génial” et que “papa trompe maman et travaille tellement qu’il ne rentre plus à la maison”. Lorsque Leda rentre chez elle après des semaines sans avoir vu ses filles, qu’elle leur offre des cadeaux, et les informe qu’elle n’aura pas le temps de rester dîner, Maggie Gyllenhaal a atteint son objectif : pulvériser le male gaze.
The Lost Daughter (2021) de Maggie Gyllenhaal, en compétition à la 78e Mostra de Venise. Bientôt sur Netflix.