4 sept 2021

Mostra de Venise : le western renversant de Jane Campion, entre homoérotisme et masculinité toxique

Premier long-métrage de la cinéaste néo-zélandaise depuis 2009, ce western adapté d’un roman de Thomas Savage (1967) se dirige vers là où on ne l’attend pas : un homoérotisme pudique dénonçant les injonctions à la virilité. Il concourt pour le Lion d’or.

Les longues minutes de standing ovation à la fin de la projection officielle de The Power of the Dog sont-elles dues au retour tant attendu de Jane Campion à la réalisation (douze ans après Bright Star), à son aura de rockstar intello ou à la virtuosité de son dernier film ? Sûrement un peu des trois. Venue défendre sur le Lido son premier long-métrage depuis 2009, la première femme lauréate de la Palme d’or (en 1993, pour La leçon de piano) qui avait, ces dernières années, travaillé à l’écriture d’une série stupéfiante (Top of the Lake), a été accueillie en héraut d’un nouveau cinéma mondial. Il récompense les femmes – Julia Ducournau vient tout juste de lui succéder en remportant la récompense suprême à Cannes –, travaille main dans la main avec Netflix et dynamite les codes poussiéreux de représentation à l’écran.

 

Pour le géant du streaming, la Néo-zélandaise aux éternelles lunettes à montures noires a réalisé The Power of the Dog, un western flamboyant qui exacerbe les attributs du genre pour mieux les renverser. En 1925, Phil Burbank (Benedict Cumberbatch) est un cowboy inspirant la crainte à tous ceux qui l’entourent, y compris son frère, George (Jesse Plemons). Humiliant sans cesse les femmes, le rustre vit seul, avec pour seul but de rendre fière sa mère, dont le mari est mort alors que ses deux fils étaient enfants. Lorsque Phil terrorise Rose, la responsable d’un saloon, et son fils Peter, George console la mère de famille, tombe amoureux d’elle et l’épouse, s’attirant les foudres de son frère aîné.

D’une ambiguïté assumée, le film dessine, une heure durant, la cruauté d’un homme – qui va jusqu’à castrer un taureau à main nu – et sa masculinité toxique, sans jamais en dévoiler les causes. Phil est-il simplement jaloux de son frère ? Est-il lui aussi amoureux de Rose ? Sa brutalité est-elle due à l’alcool ? Le personnage scrute longuement la nouvelle femme de son frère, n’hésitant pas à lui rappeler que son premier mari s’est pendu, et l’humilie lorsqu’elle s’exerce au piano. Pourtant, l’arrivée au ranch du fils adolescent de Rose va tout bousculer. Ce qui jusqu’ici pourrait être un western sans violence ni coups mais où règnent tension extrême et ultra virilité se mue en un film délicat, où la suggestion est reine.

 

Délaissant le bush néo-zélandais qu’elle a maintes fois sublimé, Jane Campion braque sa caméra sur les montagnes de l’Île du Sud de son pays natal, pour une danse macabre et élégante avec la roche et les épis de blé. À la croisée du Secret de Brokeback Mountain (la réalisatrice a d’ailleurs rencontré la romancière dont le film d’Ang Lee est tiré), d’un film de Terrence Malick et de Beau Travail de Claire Denis, cette adaptation d’un roman de Thomas Savage (1967) se dirige vers là où on ne l’attend pas : un homoérotisme pudique dénonçant les injonctions à la virilité. Une histoire de cowboy basée en 1925 mais qui fait plus que jamais écho aux questionnements contemporains.

 

The Power of the Dog (2021) de Jane Campion, en compétiton à la 78e Mostra de Venise. Sur Netflix le 1er décembre.