“Memoria”, le film-rêve avec Tilda Swinton qui fascine Cannes
À l’approche de la dernière ligne droite du Festival de Cannes, le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul s’est donné la mission de répondre à nos demandes parfois informulées, celle de spectateurs et spectatrices saturés de signes et d’images en tout genre.
Par Olivier Joyard.
Qui a besoin d’une dose de calme, de prendre le temps de la contemplation ? A l’approche de la dernière ligne droite du Festival de Cannes, le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul s’est donné la mission de répondre à nos demandes parfois informulées, celles de spectateurs et spectatrices saturés de signes et d’images en tout genre. Et pas seulement sur les réseaux sociaux. Même dans la bulle de la Croisette et ses films issus du haut du panier de la production mondiale, on remarque cette année de forts effets de signature, une tendance générale à remplir le vide jusqu’à l’excès. Beaucoup de films bavards et bruyants, en somme, comme s’il fallait montrer les muscles du cinéma trop longtemps empêché. Celui qui avait obtenu la Palme d’or en 2010 pour le splendide Oncle Boonmee a décidé de prendre un autre chemin, en arpentant précisément le vide, en le creusant doucement mais sûrement, jusqu’à atteindre un état proche de la lévitation.
Memoria est le premier film de l’artiste-cinéaste (dont une belle exposition a lieu actuellement à l’IAC Villeurbanne, jusqu’en novembre) tourné en dehors de Thaïlande. Le prix d’une longue maturation. Après avoir rencontré Tilda Swinton à Cannes au milieu des années 2000, Weerasethakul et l’ex-comédienne fétiche de Derek Jarman se sont promis de façonner un projet en commun, nourri par leurs expériences de vie. Voici aujourd’hui le résultat, un film conçu comme une échappée, tourné intégralement en Colombie, pays que ni l’un ni l’autre ne connaissait. Le cinéma comme dépaysement, au sens littéral du terme – le contraire du tourisme. Le cinéma comme lieu d’étrangeté, également. Tout commence ici par un boum, un bruit mystérieux que le personnage de Tilda Swinton entend dans sa tête au réveil, et que les médecins peinent à identifier. Elle en recherche patiemment l’origine. L’occasion pour le cinéaste d’inventer des images et des sons issus de son intériorité, de ses traumatismes, de sa solitude, une expérience parfois aride mais peu à peu envoûtante.
La marcheuse du film met tout le temps de la fiction à trouver du sens à son errance. De l’autre côté de l’écran, il nous est demandé le même engagement, d’accepter de plonger dans “les profondeurs de l’illusion” et de regarder peut-être nos trous noirs intimes. Il nous sera finalement donné l’occasion de toucher à l’immensité du monde, des pierres, des paysages, et de partager ni plus ni moins que les souvenirs d’autres humains autour de nous. Le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul touche en profondeur car il est un appel au partage du sensible, à l’écoute, au respect des frontières entre vie et mort, passé et présent. Memoria s’incruste longtemps dans les têtes, comme une partition douce mais entêtante, qui mérite toutes les Palmes du monde.
Memoria d’Apichatpong Weerasethakul. En compétition. Sortie en novembre.
À voir actuellement : exposition “Periphery of The Night” d’Apichatpong Weerasethakul (IAC Villeurbanne).