20 sept 2019

L’obsession du chorégraphe Steven Cohen pour… la mort

Présenté au Centre Pompidou jusqu’au 21 septembre puis repris à Bobigny en novembre, “Put your heart under your feet… and walk !” est un hommage scénique vibrant, rendu par le chorégraphe sud-africain à son compagnon Elu, mort du sida en 2016.

 

« Put your heart under your feet… and walk ! » (2019), de Steven Cohen © Pierre Planchenault

La lumière de la salle de spectacle du Centre Pompidou vient de s’éteindre. Dans une pénombre presque totale, les spectateurs aperçoivent une étrange créature montée sur échasses et des reliques déposées sur le sol. Autour de Steven Cohen, des pointes de danseur sont ordonnées en rangées parallèles, d’un alignement si parfait qu’il en est glaçant, rappelant la disposition chirurgicale des bâtiments d’Auschwitz. Sur le cyclorama (la toile tendue au fond de la scène), une vidéo se met en route. D’emblée, elle surprend. D’abord par le son : un bourdonnement sourd, qui rappelle celui d’une tondeuse qui rase un crâne à blanc, ou la musique angoissante d’une aiguille injectant de l’encre dans la peau. Put your heart under your feet… and walk ! (Mets ton cœur sous tes pieds…et marche !) est une performance d’une heure, un hymne à la vie qui commence par un tatouage sur la voûte plantaire de Steven Cohen, celui du titre de la pièce.

 

Perché sur des cothurnes en forme de cercueils, le chorégraphe sud-africain essaie de se frayer un chemin entre les souvenirs heureux qu’il a partagé avec son compagnon. Aussi éprouvante et laborieuse qu’un deuil, cette trajectoire gauche retentit comme un rappel au caractère éphémère de la vie.

« Put your heart under your feet… and walk ! » (2019), de Steven Cohen © Pierre Planchenault

Une salle de spectacle comme sanctuaire

 

Créée en 2017, Put your heart under your feet… and walk ! est une personnification du deuil. Dans cette création, performance choc souvent difficile à regarder, Steven Cohen joue avec les ambivalences. Les traits du chorégraphe sont méconnaissables, recouverts d’un maquillage d’une douceur virginale. Visage blanc, strass sur le crâne, plumes sur les yeux et ailes de papillon sur les oreilles : Steven Cohen embarque son public dans le pays des rêves, là où on ne se réveille pas.

 

Avec la grâce d’un cygne, l’ombre du chorégraphe se reflète sur le plateau. Son doux visage apparaît au fond de la salle, filmé en gros plan dans un abattoir où le Sud-Africain prend un bain de sang. Cette vision est insoutenable : s'infiltrer dans ce lieu est interdit, perdre l’amour de sa vie devrait l’être aussi. Dans Put your heart under your feet… and walk !, le performeur se souvient d’Elu, son partenaire à la vie comme à la scène, mort du sida en 2016. Sur les planches, il tente de faire son deuil, jouant la pièce une fois par mois depuis deux ans, comme un cycle lunaire. En 2009, le danseur sud-africain (qui se définit comme homosexuel, blanc et juif) tentait déjà d’exhumer le suicide de son frère, Mark. Dansant sur des crânes en porcelaine, emporté par la mélodie des os humains brisés, Steven Cohen poussait un cri étouffé. Dans Put your heart under your feet… and walk !, ce hurlement silencieux retentit encore : la vie, comme le trajet vers l’abattoir, n’est qu’un ballet funeste.

 

Put your heart under your feet… and walk ! de Steven Cohen, au Centre Pompidou du 19 au 21 septembre, puis à la MC93 de Bobigny les 28 et 29 novembre, dans le cadre du festival d’Automne.

Put your heart under your feet… and walk ! de Steven Cohen, au Centre Pompidou du 19 au 21 septembre, puis à la MC93 de Bobigny les 28 et 29 novembre, dans le cadre du festival d’Automne.