“Le Traître” : l’homme qui a tué la mafia
En compétition au dernier festival de Cannes et sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger, “Le Traître”, nouveau long-métrage de Marco Bellocchio, revient sur l’histoire de Tommaso Buscetta, un repenti de Cosa Nostra qui dénonce ses pairs pour sauver sa peau. À l’instar de Martin Scorsese ou de Francis Ford Coppola, le cinéaste italien s’aventure pour la première fois sur le terrain du film de mafia. Une réussite.
Par Chloé Sarraméa.
Dans une villa perchée sur les hauteurs de Rio de Janeiro, chaque pièce est truffée d’armes Berretta et de mitraillettes en tout genre. Sur le king size de la suite parentale, une femme sublime se réveille avec son nouveau-né alors que, dans les autres chambres, dorment des enfants tous nés de mères différentes. Soudain, la police brésilienne enfonce la porte et braque un pistolet sur la tempe du patriarche ripou, Tommaso Buscetta. Pas de doute : l’ouverture du Traître de Marco Bellochio est bien celle d’un film de mafia.
Comme l’ont fait Scorsese dans Les Affranchis (1990), Francis Ford Coppola dans la trilogie du Parrain (1972, 1974 et 1990), David Chase dans la série Les Soprano (1999-2007) et plus récemment Matteo Garrone dans son adaptation de Gomorra (Grand Prix à Cannes en 2008), avec Le Traître, Marco Bellocchio s'attaque pour la toute première fois au cinéma centré sur Cosa Nostra, le réseau criminel italien le plus connu au monde.
L’Italie de Marco Bellocchio
L’auteur de Vincere (2009) – film biographique sur la vie du fasciste italien Mussolini – n’a eu de cesse pendant toute sa carrière de cinéaste de se confronter à ce qui fait l’histoire de son pays, l’Italie. En 2002, il dérange le Vatican avec son film Le Sourire de ma mère ; un an plus tard, il met en scène l’assassinat de l’homme politique Aldo Moro dans Buongiorno, notte, voire n’hésite pas à parler d’euthanasie dans La Belle Endormie (2012) alors que son pays d’origine vit sous l'influence historique du catholicisme. C’est en 2016 que l’homme aux vingt-six longs métrages songe à réaliser son film le plus politique : Le Traître.
Le Traître, l’anti-film de mafia
Tourné en Italie, aux Etats-Unis et au Brésil, le dernier film de Marco Bellocchio (dont le budget avoisine les 10 millions d’euros) relève avant tout d’un travail d’enquête : il s’appuie sur les nombreux ouvrages sur la mafia et sur des documents ultra confidentiels de la justice italienne. Car l’histoire de Tommaso Buscetta est avant tout celle d’un héros repenti, et c’est ainsi que Le Traître diffère des autres films de mafia, érigeant les héros en “parrains” prêts à tout pour protéger (des condamnations et de la mort) les membres de leurs familles criminelles.
Ceux qui respectent la sacro-sainte omerta n'ont pas pour habitude de vendre leurs secrets pour sauver leur peau : alors que Tony Montana protège son empire jusqu'à trouver la mort dans Scarface (1983), la fiction de Martin Scorsese et que Michael Corleone (interprété par Al Pacino) meurt seul après avoir exterminé tous ses ennemis dans Le Parrain 3 de Francis Ford Coppola, Tommaso Buscetta (interprété par Pierfrancesco Favino) dénonce l'ensemble de son réseau mafieux dès le début du film.
Inspiré par l’histoire vraie de celui qui a dénoncé Totò Riina (le malfrat sicilien le plus violent de l'histoire), le film de Marco Bellocchio est construit selon l'ordre chronologique des évènements : le clan Corleone massacre ses rivaux, dont les deux fils de Tommaso Buscetta, qui quant à lui échappe à la tuerie. Entre-temps, le héros est arrêté et torturé, il tente de se suicider et finit par passer aux aveux. Le film de Bellocchio dépeint le destin d'un homme monstrueux, le transforme en un sublime personnage de tragédie shakespearienne et offre à Pierfrancesco Favino (Romanzo Criminale) son plus grand rôle de cinéma.
Le Traître (2019) de Marco Bellocchio, actuellement en salles.