Rencontre avec Thomas Jolly et Victor Le Masne, chefs d’orchestre des cérémonies des JO 2024 et de Starmania
Réinventé à l’aide d’une scénographie futuriste, Starmania, l’opéra rock de Michel Berger et Luc Plamondon présenté pour la première fois en 1979 à Paris, passionne les foules alors qu’il tourne en France, en Belgique et en Suisse. Mais son metteur en scène, Thomas Jolly, et son directeur musical, Victor le Masne, ont d’autres raisons de se réjouir. Ils sont en effet derrière (avec d’autres talents) les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques de Paris 2024. Confessions de deux artistes majeurs, appelés à ne plus rester dans l’ombre.
par Violaine Schütz.
Thomas Jolly et Victor Le Masne : les talents derrière la cérémonie d’ouverture pharaonique des Jeux Olympiques de Paris 2024
Une durée de 3h45, 12 tableaux, un décor de rêve (la Seine et de nombreux monuments de la capitale), des milliers défilant en bateaux, 2000 artistes… La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 qui a eu lieu le vendredi 26 juillet 2024 s’est avérée épique, théâtrale et pleine d’audaces.
Côté auteurs ? Ce sont Patrick Boucheron, Fanny Herrero (Dix pour cent), Damien Gabriac et Leïla Slimani (prix Goncourt 2016) qui étaient aux manettes.
Et pour les costumes, c’est Daphné Bürki qui a été nommée directrice du stylisme des cérémonies des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. L’une de ses missions ? Penser aux looks de près de 2000 artistes, danseurs et performeurs qui ont tout donné, ce vendredi 26 juillet.
Mais le grand manitou de la cérémonie reste son directeur artistique : l’acteur et metteur en scène de théâtre et d’opéra Thomas Jolly, âgé de 42 ans. Ce dernier a défendu l’idée d’une France ouverte, queer, cultivée et fière de sa diversité et de ses minorités lors d’un show spectaculaire aux allures de doux rêve. Sans se laisser abattre par la météo…
Alors que plusieurs tableaux (Marie-Antoinette décapitée, un banquet de drag queens évoquant, pour certains, la Cène) ont choqué l’extrême droite et les chrétiens, Thomas Jolly a expliqué sur BFMTV : “Vous ne trouverez jamais chez moi une quelconque volonté de moquerie, de dénigrer quoi que ce soit. J’ai voulu faire une cérémonie qui répare, qui réconcilie. Aussi qui réaffirme les valeurs de notre République .”
Quant au talentueux Victor Le Masne, compositeur et musicien français âgé de 42 ans ayant travaillé – dans l’ombre – avec Juliette Armanet, Woodkid et Philippe Katerine, il officie en tant que directeur musical des quatre cérémonies. De quoi laisser présager une excellente programmation sonore tout au long des événements.
Avant les JO 2024, le spectacle Starmania, une œuvre culte
Si le talent – mixant références populaires et ambitions artistiques élevées – de Thomas Jolly et de Victor Le Masne a explosé lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024, leur collaboration ne date pas d’hier. En effet, les deux artistes avaient travaillé main dans la main sur la relecture de l’une des comédies musicales les plus mythiques, troublantes et étranges de tous les temps.
Un spectacle que le regretté Michel Berger, son créateur (avec Luc Plamondon qui en a réalisé le livret), préférait la qualifier d’opéra rock plutôt que de comédie musicale.
Starmania a été présenté pour la première fois le 10 avril 1979 au Palais des Congrès de Paris et a fait l’objet de multiples adaptations en anglais et en français.
C’est aussi, avant d’être un spectacle, un album studio qui date de 1978 et s’est vendu à plus de 2,2 millions d’exemplaires rien que dans l’Hexagone. Aujourd’hui, on connaît tous les tubes qui en sont tirés. Quand on arrive en ville, Besoin d’amour, Le monde est stone, Le Blues du businessman… Pourtant, beaucoup ont oublié l’histoire de cet opéra baroque, pop et politique, à la fois complexe et prophétique.
Un spectacle prophétique
L’action de Starmania – actuellement en tournée en France, en Belgique et en Suisse – se situe dans un futur proche, dans la capitale de l’Occident (qui est unifié en un seul État), nommée Monopolis. Un décor effrayant où, à l’aube d’élections présidentielles, tout le monde rêve d’être une star. On y rencontre la bande des Étoiles Noires qui terrorisent la ville, dont fait partie le charismatique Johnny Rockfort (incarné en 1979 par Daniel Balavoine), une serveuse timide amoureuse d’un jeune homme gay nommé Ziggy, une présentatrice télé solaire (Cristal qui dans la version originale est jouée par France Gall) ou encore un milliardaire, Zéro Janvier, qui veut devenir président (et y parvient).
Victor le Masne, directeur musical de la nouvelle version de Starmania lancée en 2022, initiée par Raphaël Hamburger, fils de Michel Berger et France Gall et validé par Luc Plamondon, qui se joue en ce moment à La Seine Musicale, à Boulogne-Billancourt, revient sur la portée prémonitoire du spectacle : “En 1979, le spectacle était une dystopie mais aujourd’hui, presque tout est devenu réalité, malheureusement. Le spectacle avait prédit les Black Blocs, l’éco-anxieté, le terrorisme avec la Tour Dorée du milliardaire Zéro Janvier (un mélange de Trump et de Poutine avant l’heure) qui est détruite dans une attaque, ce qui évoque quarante ans auparavant les attentats contre les Tours jumelles du 11 septembre 2001, la question du genre…).”
Certains commentateurs voient aussi dans l’opéra des années 70, qui imagine la révolte des pauvres contre les riches, les prémices du mouvement des Gilets Jaunes.
Un opéra rock sur la quête de sens de l’être humain
Mais pour le metteur en scène du nouveau Starmania, Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, ce n’est peut-être pas l’aspect prophétique du spectacle qui est le plus spectaculaire. Il nous confie : “Ce qui m’a frappé, d’abord, c’est que nous présentons la première mise en scène post 2001 du spectacle et que Starmania avait vu juste avec la Tour Dorée de Zéro Janvier attaquée par des dissidents. Les créateurs de l’opéra rock avaient déjà imaginé que pour lutter contre la décadence de l’Occident, des terroristes pourraient attaquer la plus grande tour trônant comme un symbole du capitalisme. Et j’ai également été bluffé par la façon dont Starmania prévoyait l’information en continu avec des bulletins médiatiques tout au long du show. Mais cela m’agace qu’on insiste trop sur son aspect futuriste. Car pour moi, le show aborde des thèmes intemporels.”
Célébrité, argent, pouvoir… Tous les sujets abordés par Starmania sont en effet des questionnements qui traversent les décennies. “Ce qui me fend le plus le cœur, analyse Thomas Jolly, c’est que la solitude des héros du spectacle, leur isolement et leur incapacité à se sentir exister dans leurs vies soient autant d’actualité aujourd’hui que dans les années 70. Les personnages se demandaient : “À quoi bon ? À quoi je sers ? Qu’est-ce que je fais là ? » Ce dont parle réellement cette œuvre, c’est du sens de l’existence et de notre difficulté de projection dans l’avenir. Au-delà de thèmes qui collent avec l’actualité et des prophéties, Starmania évoque l’errance de l’être humain et nos questionnements les plus profonds. Tout le monde, dans le show, teste une voie de sortie, cherche une réponse et va finalement se brûler les ailes.”
Thomas Jolly va jusqu’à comparer l’opéra rock à une version moderne du mythe d’Icare. “En plus de la métaphore des héros se brûlant les ailes, il y a aussi le symbole du dédale. Icare essaie de s’échapper d’un labyrinthe tout comme les héros de Starmania cherchent une façon de sortir de leurs interrogations par la politique ou l’envie de devenir une star de la musique.” Victor le Masne ajoute : “On pourrait résumer l’histoire ainsi : « Au sein d’une société individualiste, plusieurs personnages s’entrechoquent. Chacun se retrouve dans sa solitude et ça finit mal. Starmania, c’est une véritable tragédie en réalité...” Mais une tragédie magnifiée par des tubes indémodables, qui donnent envie de chanter en chœur et de danser.
Les tubes de Michel Berger modernisés par Victor Le Masne
Victor le Masne, directeur musical de la nouvelle mouture de Starmania, qui a également signé des arrangements pour le nouveau show présenté à La Seine Musicale dès le 14 novembre 2023, est bien connu de l’industrie du spectacle. Ce batteur, compositeur et producteur français a réarrangé, en 2021, l’hymne La Marseillaise, ré-interprétée avec l’Orchestre National de France pour la cérémonie de passation entre les Jeux Olympiques de Tokyo et de Paris.
C’est à lui que l’on doit les versions modernisées des tubes indémodables de Michel Berger, dont les nouvelles sonorités funk et électro rappellent parfois Daft Punk. “Je me suis replongé dans les pistes de l’album de 1978, se souvient Victor le Masne, arrivé sur le projet en mars 2022, ce qui était très émouvant car on entendait Michel Berger diriger tous les instruments. Je voulais vraiment retrouver l’esthétique musicale de ces années-là que j’adore : les années 70 et 80. Je me suis ensuite enfermé de nombreux mois avec les musiciens pour trouver une patte qui sonne actuelle sans perdre l’ADN de Michel Berger. J’ai notamment rajouté des cordes.”
Le musicien ajoute : “Je ne me suis pas dit que j’allais réinventer un mythe, car c’était impossible ou alors, ça aurait été beaucoup trop vertigineux. J’ai juste voulu jouer les morceaux à ma manière (presque artisanale) pour que les gens aiment encore plus ces tubes. Ce n’est que lors des dernières répétitions, à Nice, que je me suis rendu compte de l’enjeu presque patrimonial que cela représentait de « toucher » à Starmania.”
Certaines paroles des chansons ont également été modifiées et les noms de Britney Spears et Madonna ont été ajoutés dans l’un des morceaux, pour mieux coller à notre époque. On déplorera le casting inégal. Les chanteurs choisis pour ce nouveau Starmania sont en effet loin d’être aussi talentueux et passionnants que les interprètes (Daniel Balavoine, France Gall, Diane Dufresne et Fabienne Thibeault) de la toute première version de l’opéra rock.
Une scénographie futuriste, sombre et puissante signée Thomas Jolly
L’une des grandes forces de la version 2022 de Starmania ? La mélancolie et la violence de l’œuvre originale de Michel Berger et Luc Plamondon sont formidablement retranscrites par la scénographie imaginée par Thomas Jolly. Des éléments architecturés sombres, un fond noir, des jeux de lumière frénétiques (ile ne faut pas être épileptique), des projecteurs entamant une danse, une voiture couverte de graffiti…
Autant de choix de mise en scène qui valorisent l’aspect tragique et urbain de Starmania. “Je crois que c’est une chance qu’il n’y ait pas de captation vidéo officielle du spectacle de 1979 car ça permet de laisser l’opéra dans une sorte d’abstraction, qui laisse la liberté de réinterpréter scéniquement l’œuvre. Du point de vue graphique, j’ai inventé un espace à la fois matériel et immatériel dans lequel luttent des forces lugubres et dures (symbolisées par les structures monolithiques comprenant des escaliers) et des forces plus lumineuses. Sur scène, les lumières encerclent les personnages, les attirent et finissent par les aveugler et les consumer.”
À cette scénographie spectaculaire, s’ajoutent les chorégraphies du Belge Sidi Larbi Cherkaoui et les costumes scintillants de Nicolas Ghesquière, directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton. Tout concourt à faire de ce nouveau Starmania – qui a attiré Brigitte Macron, Thomas Bangalter de Daft Punk et Clara Luciani à La Seine Musicale (à Boulogne-Billancourt) – un spectacle appelé à durer. Le show est d’ailleurs en tournée actuellement en France, en Belgique et en Suisse.
Le spectacle Starmania est actuellement en tournée en France, en Belgique et en Suisse. La cérémonie de clôture des JO de Paris 2024 aura lieu au Stade de France, à Saint-Denis, le 11 août 2024.