8 juin 2021

L’artiste Olivier Ratsi met le visiteur sens dessus dessous à la Gaîté Lyrique

Avec son exposition personnelle à la Gaîté Lyrique, l’artiste français Olivier Ratsi fait vivre jusqu’au 18 juillet au spectateur une expérience de visite inédite dans l’espace métamorphosé de l’institution parisienne. Qu’il soit invité à marcher sur les œuvres ou à les observer depuis une balançoire instable, le visiteur traverse des espaces lumineux et sensoriels en mettant à l’épreuve sa propre perception. Focus sur trois façons singulières de pénétrer dans cette exposition.

”Frame Perspective” d’Olivier Ratsi © Martin Argyroglo

Lorsqu’on découvre le premier espace de l’exposition-expérience d’Olivier Ratsi à la Gaîté Lyrique, difficile de savoir si l’on vient d’entrer dans une chambre noire, dans le couloir d’un club clandestin ou dans l’atmosphère interlope du quartier rouge d’Amsterdam. Plongée dans une quasi obscurité, l’entrée de l’institution parisienne est faiblement éclairée par un dédale de néons rouges, que l’on traverse accompagné de la musique méditative de Thomas Vaquié (ami et collaborateur de l’artiste français), dont le rythme et le volume augmentent au fil de notre avancée. Car pour Olivier Ratsi, le son et l’image sont les deux faces d’une même pièce : ancien VJ (video-jockey), l’homme a fait ses armes dans les clubs avant de faire voyager ses fresques digitales et ses sculptures de néons dans des lieux insolites, de l’intérieur des églises aux façades d’immeubles… Présentée jusqu’au 18 juillet, “Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière” est son exposition personnelle la plus importante à ce jour, réunissant dans l’espace métamorphosé de la Gaîté Lyrique des œuvres de mapping et des installations lumineuses réalisées au cours des dix dernières années. Regroupées par couleurs et par thématiques, celles-ci se distinguent surtout par la façon dont le spectateur est invité à les appréhender. Différents “observatoires” attendent ainsi le visiteur tout au long de sa traversée, comme autant de “points de vue” l’invitant à contempler les œuvres de façon inhabituelle : suspendu à une balançoire ou aveuglé par un épais brouillard, appelé à chasser son reflet ou à osciller aléatoirement devant leur forme en mouvement, on découvre l’exposition comme si l’on s’engageait dans un parcours d’obstacles onirique et pénétrant. Chaque œuvre est ainsi pensée pour englober le spectateur, qui doit faire corps avec elle pour s’en saisir pleinement. Parce que les œuvres d’Olivier Ratsi se vivent, Numéro revient sur trois façons insolites de les aborder dans l’espace du bâtiment.   

“Delta” d’Olivier Ratsi © Olivier Ratsi

1. Marcher sur l’œuvre

 

 

Si les musées nous ont habitués aux signes et pancartes “Ne pas toucher”, il est bien plus rare d’être invité à marcher sur les œuvres présentées. Dans “Heureux soient les fêlés”, la tactilité est au contraire fortement recommandée. Dans le premier espace investi par Olivier Ratsi intitulé “Voir Rouge”, ses œuvres de vidéo-mapping glissent le long des murs et jusque sur le sol, sans qu’aucune frontière ne vienne s’imposer entre elles et le visiteur. Qu’on décide de se fondre dans la lumière rouge des projections ou de se positionner à l’un des points d’anamorphose (point de vue permettant de reconstituer une image déformée dans sa totalité) préétablis par l’artiste, notre perception est sans cesse renouvelée au gré de notre avancée dans l’espace. Frame Perspective, l’une des installations audiovisuelles de ce labyrinthe habillé de rouge et de noir, est spécialement conçue pour être traversée. Alignés à la verticale au dessus du spectateur, formant une sorte de lustre géométrique et monumental, de larges cadres de néons rouges clignotent et se reflètent dans un miroir posé au sol. C’est sur ce miroir que le spectateur est invité à marcher et découvrir son propre reflet, comme pris au piège dans cette cage de lumière rouge qui l’amène à faire partie intégrante de l’œuvre présentée.

“Negative Space” d’Olivier Ratsi © Martin Argyroglo

2. Disparaître dans l’œuvre

 

 

Dans Negative Space, plus aucune frontière ne subsiste entre l’œuvre et l’espace dans lequel elle se déploie. Une fois passée la porte de cette pièce sombre dans laquelle glisse un brouillard enveloppant, on est immédiatement immergé dans l’installation qui ne s’observe et ne se vit que de l’intérieur, sans pour autant être tout à fait maître de son expérience. La pièce, plongée dans l’obscurité, est difficile à appréhender : des flash lumineux s’y infiltrent comme de longs tubes blancs totémiques, au rythme de la création sonore spécialement composée par Olivier Ratsi pour cette œuvre, dessinant des portes insaisissables et éphémères qui restructurent à l’envi son ossature. Dans cette architecture en perpétuel mouvement, construite comme un morceau de musique avec ses couplets, ses motifs et ses enchaînements répétés, le visiteur avance à l’aveugle sans vraiment savoir là où l’œuvre commence, ni là où elle s’arrête. Entre ombre et lumière, on disparaît et réapparaît dans la brume qui emplit la salle et semble revêtir le spectateur d’une cape d’invisibilité. 

“XYZ” d’Olivier Ratsi © Olivier Ratsi

3. Se balancer face à l’œuvre

 

 

Dans l’espace métamorphosé de la Gaîté Lyrique, le visiteur peut être aussi pris de vertige. Les notions d’envers et d’endroit sont sans cesse remises en question et l’instabilité prime, provoquée par les projections déformées qui investissent l’espace et se transforment au gré de ses pérégrinations. Pour aller jusqu’au bout de l’expérience, Olivier Ratsi a installé deux étranges balançoires dans l’espace en noir et blanc de “Voir Brut”, l’une des dernières salles de l’exposition, comme deux rocs sombres et suspendus sur lesquels le spectateur est invité à s’installer. En se balançant devant les vidéos-mapping de l’œuvre en quatre parties XYZ, il découvre l’évolution des tracés et blocs géométriques blancs projetés sur les différents murs qui l’entourent, se laisse aller à un mouvement aléatoire et flottant qui contraste avec la rigueur mathématique des images qu’il contemple. Ainsi mobile et suspendu, le visiteur découvre différents points de rencontre entre les vidéos, qui se rejoignent en certains endroits pour former ensemble de nouvelles figures. Depuis cet “observatoire” imprévisible, ce n’est plus seulement le regard du spectateur mais son corps tout entier qui s’engage alors dans la contemplation.

 

 

“Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière” d’Olivier Ratsi, jusqu’au 18 juillet 2021 à la Gaîté Lyrique, Paris 3e.