11 juin 2020

La Haine en comédie musicale : et si le genre n’était pas si gai ?

Souvent pensé comme un genre joyeux et léger, à l’image des “Demoiselles de Rochefort” de Jacques Demy – en ce moment disponible sur Netflix –, la comédie musicale est pourtant plus complexe qu’il n’y parait. Racisme, guerres, addictions ou sexualités réprimées y sont autant de thématiques faussement édulcorées par le chant et la danse. De Bob Fosse à Lars Von Trier, plongez dans les dessous sombres de la comédie musicale.

“West Side Story” (1962), de Robert Wise et Jérome Robbins.

Vendredi, Mathieu Kassovitz a annoncé qu’il travaillait sur une adaptation de La Haine en comédie musicale. Si l’information peut faire sourire, c’est bien que ce genre cinématographique particulièrement édulcoré semble être l’antithèse du film coup de poing sorti il y a 25 ans. Et pourtant, les comédies musicales ne concernent pas que les histoires d’amours à l’eau-de-rose d’adolescents inexpérimentés. À l’instar des conflits entre ethnies de West Side Story (1962) ou de la menace de la guerre du Vietnam qui pèse sur les personnages de Hair, ces dernières se parent de thématiques sociales complexes, souvent plus sinistres qu’enchantées. En ce sens, ce genre longtemps favori d’Hollywood fait office de remède indispensable au cours des périodes les plus sombres de l’histoire. Souvent, il sert même à incarner la détresse de ses personnages et leurs combats pour trouver le bonheur. Retour sur 5 comédies musicales les plus sombres.

1. Oklahoma ! de Fred Zinnemann (1955)

 

Écrite en 1943 par le célèbre duo Richard Rodgers et Oscar Hammersteinn II – à qui l’on doit notamment le scénario et la musique de La Mélodie du bonheur (1963) –, Oklahoma ! est l’une des plus célèbres comédies musicales des États-Unis, aujourd’hui encore régulièrement jouée à Broadway. En 1955, Fred Zinnemann décide de porter à l’écran cette célèbre histoire de cow-boys, qui se déroule au beau milieu du Far West. Si l’intrigue principale est basée sur un quatuor amoureux, Oklahoma ! relate en filigrane la conquête de l’Ouest et les conflits qui opposèrent éleveurs et fermiers au XIXe siècle. Bien que largement occultée par sa mise en scène enlevée, l’histoire terrible de l’État ségrégationniste américain se donne à voir tout au long du film, là où pourtant, aucun des figurants n'est noir. 

“All That Jazz”, de Bob Fosse (1972)

2. All That Jazz, de Bob Fosse (1972)

 

Quatrième film du réalisateur américain Bob Fosse, All That Jazz (Que le spectacle commence, en français) est la première comédie musicale à avoir reçu la Palme d’or à Cannes. Tourné alors que son réalisateur vient de subir une crise cardiaque, le film fait office pour lui d’un exercice cathartique, à la limite de l’autobiographie. En suivant le parcours de Joe Gideon, un chorégraphe et metteur en scène drogué aux amphétamines, All That Jazz est certainement le film musical le plus sombre qui soit, à tel point que le terme de “comédie” ne peut lui être attribué. On y voit la longue descente aux enfers d’un homme dialoguant avec sa propre mort et où le chant et la danse symbolisent toute une vie.  

“Une chambre en ville”, de Jacques Demy (1982)

3. Une chambre en ville, de Jacques Demy (1982)

 

Sous le couvert de films en apparence colorés et chantants, l’univers de Jacques Demy est hanté par des intrigues lugubres et des conclusions malheureuses. Les thèmes de l’inceste, de la prostitution, du suicide et de l’avortement s’invitent dans ce film particulièrement sombre. Tout comme Les Parapluies de Cherbourg, sorti en 1964, Une chambre en ville est entièrement chanté, ce qui n’en allège pourtant pas la trame. Sur fond de lutte des classes, Jacques Demy y raconte l’histoire terrible d’Edmond, un ouvrier qui, après avoir délaissé une jeune femme enceinte de lui, rencontre Édith, une bourgeoise mal mariée en mal d’amour. Leur idylle impossible se terminera dans un bain de sang, ce qui vaudra au film d’être un échec commercial cuisant, bien que très largement soutenu par la critique de l’époque.

“Dancer in the Dark”, de Lars Von Trier (2000)

4. Dancer in the Dark, de Lars Von Trier (2000)

 

Sixième film de Lars Von Trier, Dancer in the Dark met en scène Björk dans le rôle d’une émigrée tchécoslovaque travaillant sans relâche à l’usine. Si le film n’a rien d’une comédie musicale joyeuse, le chant et la danse y sont présentés comme un moyen d’échapper à une réalité douloureuse. Lars Von Trier y joue sur la frontière entre les genres, s’amusant d’un décalage entre le ton sérieux de son histoire et les codes de la comédie musicale. Björk livre ici une performance fascinante qui lui vaudra notamment de remporter le prix d’interprétation féminine à Cannes, tandis que le film a été récompensé de la Palme d'or. 

“Chicago”, de Rob Marshall (2002)

5. Chicago, de Rob Marshall (2002)

 

À la manière des premières comédies musicales américaines, Chicago est adaptée d’une pièce de Broadway mise en scène par Bob Fosse en 1975. Inspirée d’un fait divers qui avait fait les gros titres dans les années 1920, l’histoire relate le parcours de Roxie Hart (René Zellweger) et de Velma Kelly (Catherine Zeta-Jones), deux chanteuses de cabaret condamnées à mort pour avoir tué leur amant. Si le film est à la fois drôle, euphorique et sexy, il aborde les dessous véreux du monde du spectacle et la difficulté des femmes à faire entendre leur voix. Sous couvert de paillettes, Chicago s’intéresse en profondeur aux dessous corrompus de la justice américaine et à l’envers du décor d’une période faste rythmée par les meurtres, l’alcool et la drogue.