Jean-Pierre Bacri en 3 rôles cultes
Dramaturge, comédien sur les plateaux et sur les planches, Jean-Pierre Bacri a marqué le cinéma français à travers le duo qu’il a formé avec Agnès Jaoui, qui a donné naissance à une dizaine de films et de pièces de théâtre toujours grinçants, narquois et profondément tendres avec leurs personnages d’antihéros. Il est décédé hier, à 69 ans, des suites d’un cancer.
Par Chloé Sarraméa.
Il y a des visages marquants, qui se sont souvent affichés à la télé et dont on a l’impression qu’ils nous ont accompagné toute notre vie – surtout lors de soirées films en famille. Puis ils se fixent un jour sur nos téléphones, tantôt rieurs, colères ou tout simplement beaux, signe que l’on ne les reverra plus jamais. C’est désormais comme ça que l’on apprend la mort des icônes : en voyant défiler une ribambelle de photos d’elles, accompagnées de petits symboles de cœurs brisés, sur nos fils d’actualité Instagram. C’est ce qui s’est passé hier, quand la France a appris le décès d’une figure qu’elle aimait depuis plus de trente ans, Jean-Pierre Bacri. Éternel bougon, râleur, misanthrope et libertaire au crâne dégarni, le comédien aux soixante films et à la vingtaine de pièces de théâtre – dont il fût, avec son ancienne compagne Agnès Jaoui, parfois l’auteur et l’interprète principal – avait insufflé dans le cinéma d’auteur français une vague de je-m’en-foutisme jouissive et avait fait d’une mine exaspérée sa marque de fabrique.
Né le 24 mai 1951 à Castiglione (une ancienne ville d’Algérie), Jean-Pierre Bacri rejoint la métropole à 11 ans avec pour ambition de devenir professeur. À la place, il est engagé à la Société Générale et doit porter tous les jours le costard-cravate de rigueur à la banque. Une torture pour celui qui, 40 ans plus tard, revêtira à merveille cette tenue pour son rôle de croque-mort dans Grand Froid (2017). Ce sera donc « non » au sourire forcé mais « oui » aux grimaces sur les planches : dès le début des années 80, on le remarque sur scène, après qu’il ait suivi les Cours Simon et été embauché à l’Olympia pour payer ses factures.
Après avoir enchaîné des petits rôles à droite à gauche au cinéma, écrit pour le théâtre et accédé à la notoriété en 1985 grâce à Luc Besson dans Subway, aux côtés d’Isabelle Adjani, le futur acolyte d’Alain Chabat fait une rencontre qui changera sa vie (privée comme publique), celle d’Agnès Jaoui. Avec elle, il construira une histoire d’amour et écrira une dizaine de films et de pièces de théâtre toujours grinçants, narquois et profondément tendres avec leurs personnages d’antihéros. Parfois simplets (Le Goût des autres) et souvent routiniers (On connaît la chanson), les personnages écrits par Jean-Pierre Bacri sont ancrés dans l’ordinaire, dans la tristesse et l’aigreur. Ceux qu’il a joué aussi, avec une touche d’autodérision et de résilience en plus (Le Sens de la fête).
1. Jean-Pierre Bacri dans le rôle d’un propriétaire d’un café familial, pudique et mal aimé
Avant d’incarner un agent de joueurs de football qui voit son chien prendre l’apparence d’un humain dans Didier (1997) d’Alain Chabat, Jean-Pierre Bacri fait une incursion (et non des moindres) dans l’univers de Cédric Klapisch. À l’époque, le cinéaste français a déjà réalisé trois longs-métrages, dont Le Péril jeune (1994), qui l’a fait accéder à la reconnaissance. Pour Un air de famille, sorti en 1996, celui qui a découvert Romain Duris réunit un casting mémorable : les deux Jean-Pierre les plus charismatiques du cinéma français, Darroussin et Bacri, mais aussi Agnès Jaoui et Catherine Frot. Mais le tandem “Jabac” (comme Jaoui-Bacri) n’est pas là par hasard : c’est lui qui a écrit l’histoire, une comédie amère inspirée de sa deuxième pièce de théâtre (après Cuisine et Dépendances) dans laquelle le couple avait réuni exactement les mêmes acteurs. Ici, le comédien qui cultive déjà son image de mauvais coucheur incarne Henri, le propriétaire d’un café familial, pudique, mal aimé et constamment exaspéré par ses pairs.
2. Jean-Pierre Bacri dans le rôle d’un “type mal embouché”
Premier film réalisé par Agnès Jaoui – qui l’a aussi écrit, toujours en collaboration avec Jean-Pierre Bacri –, Le Goût des autres offre une nouvelle fois à l’acteur l’occasion d’exceller dans le rôle d’un “type mal embouché”. Vainqueur de quatre César, dont meilleur film et meilleur scénario original, et nommé à l’Osacr du meilleur film en langue étrangère, cette fable sociale sur fond d’histoire de tromperie – Castella (Jean-Pierre Bacri), industriel mal dégrossi marié à une bourgeoise rencontre Clara (Anne Alvaro), une comédienne de répertoire, tombe amoureux et se passionne d’un coup pour le théâtre – révèle une nouvelle fois la personnalité de l’acteur à travers le personnage qu’il incarne : un beauf ronchon dont la grosse moustache ne fait que cacher le cœur d’or.
3. Jean-Pierre Bacri dans le rôle d’un maire ultra cynique
Le film qui a révélé Arnaud Valois avant qu’il ne quitte les plateaux pour se consacrer à la sophrologie a permis a Jean-Pierre Bacri de monter les marches de Cannes (ville où il d’ailleurs passé une partie de son enfance) en 2006, aux côtés d’autres immenses acteurs français, comme Benoît Poelvoorde, Vincent Lindon et Benoît Magimel. Cinquième long-métrage de Nicole Garcia (qui a, comme Bacri, travaillé avec Alain Resnais), Selon Charlie raconte de façon chorale les hommes, leurs faiblesses et leurs rapports aux femmes. Là, Jean-Pierre Bacri incarne Jean-Louis, un maire ultra cynique et bourré de principes où il semble encore “faire du Bacri”, c’est-à-dire jouer l’aigri et le pince-sans-rire. Mais c’est sans doute parce qu’il était tout l’inverse, un gars pacifiste qui “déteste les avis tranchés” et préfère “le juste milieu” – la seule position, selon lui, “qui permette de vivre en paix” – qu’il excellait tant à incarner des personnages sans concession.