“I’ve had very, very bad trips on LSD.” The cult interview with Charlotte Rampling
Si la beauté est la somme de nos expériences, celle de Charlotte Rampling est bel et bien habitée. Quarante cinq ans après le long-métrage “Portier de nuit” de Liliana Cavani, Numéro revient sur l’interview culte de la comédienne à la voix de velours et au regard d’acier plus troublant que jamais.
Propos recueillis par Philip Utz.
Numéro: L’interview est, selon vous, la meilleure forme de thérapie. Dans ce cas, allongez-vous et parlez-moi de votre enfance !
Charlotte Rampling: J’étais une adolescente rebelle. J’ai quitté la maison très jeune, avec ma sœur. Début 60 à Londres, il y avait du travail pour tout le monde et c’était beaucoup plus facile pour les jeunes : le mannequinat, l’appart, et le tour était joué.
Les swinging sixties furent-elles psychédéliques pour vous ?
J’ai touché à la drogue, comme tout le monde. Mais j’ai toujours été trop indépendante pour en dépendre. Le LSD était très répandu. Assez radical. Vous vous retrouviez planté là dans une sorte de stupeur psychédélique. Je suis hypersensible : j’étais donc la reine du mauvais trip. Cela dit, au moins, les substances de l’époque avaient le mérite de vous assommer, pas comme ces drogues d’aujourd’hui qui vous donnent l’impression de tout contrôler.
Rassurez-vous, je ne vous demanderai pas d’éteindre votre cigarette.
A New York, c’est la prohibition. Je peux comprendre que les lois s’appliquent par souci de propreté aux espaces confinés où la fumée s’avère gênante. D’ailleurs, en théorie, je trouvais cette prise de conscience collective plutôt positive. Jusqu’à ce qu’en pratique, cela devienne une sorte de chasse aux sorcières totalement ridicule. Ce qui n’a fait que me rappeler justement ce que je n’aimais pas chez les Américains.
Les duels télévisés ne vous ont-ils pas redonné foi ?
Foi en quoi ? En Bush ? Je ne peux pas le voir. Mais je ne sais pas : je ne suis pas américaine. J’ai sillonné les États-Unis en voiture, vécu à New York et Los Angeles, tourné dans le Colorado et à Salt Lake City, me suis attardée à San Francisco. Mais je n’ai jamais vu les Etats-Unis qu’avec la distance d’une Européenne. J’ai choisi de ne pas y vivre ni y travailler. Plus j’en suis loin, moins je me sens menacée, et plus je me sens libre. New York est un monde à part, Los Angeles est un film, mais tout ce qui se trouve entre les deux, pour moi, reste du chinois.
Vous avez déjà tourné les talons à Hollywood.
Absolument. J’ai fait Orca par curiosité, pour jouer le jeu et tâter le terrain. Ça m’a suffit.
Qui veut gagner des millions ? Clairement pas vous.
Pour percer là-bas, il aurait fallu que j’aie les dents qui rayent le parquet : ce qui ne me ressemble pas. Je suis bien trop flegmatique. L’argent n’a jamais été mon ambition. Je vis très bien sans.
Mais, que voulez-vous exactement, Charlotte Rampling ?
Je veux faire les films que j’ai faits : des petites productions, du cinéma indépendant, des films qui me font réfléchir, qui touchent et interpellent le spectateur de façon, je dirais, plus intelligente. Mes projets avec François Ozon m’ont permis de bien vieillir, je pense. En glamour et en finesse. Sans en faire tout un drame.
Entre 1973 et 2001, vous n’avez pas renfilé votre string pour le photographe Helmut Newton.
J’ai toujours estimé qu’il fallait “provoquer” le glamour, ce que Helmut faisait mieux que personne. Et si mon sentiment profond par rapport aux images me demande d’être nue, alors c’est sans pudeur.
Je suis juste étonné que votre imprésario ne vous ait pas fait enfermer.
Il fut un temps où le cinéma n’était pas régi par agents et publicistes. Personnellement, j’ai toujours été un one-woman-show. Je n’ai pas besoin que l’on m’entoure et que l’on me protège, encore moins que l’on prenne des décisions à ma place. Dans une certaine mesure, je suis ce que je fais. Et ce que je suis ne concerne que moi.
Pourquoi les stars américaines ressemblent-elles de plus en plus à des poupées gonflables taillées au scalpel ?
C’est assez alarmant. Cela dit, si l’on ne peut pas se regarder en face, alors autant changer. Je n’ai jamais eu ce problème. J’ai toujours entretenu un bon rapport avec mon visage : il reste, pour moi, un repère, aussi étrange et ridé soit-il.
Le crêpage de chignon par presse à scandale interposée entre Jean-Michel Jarre et Isabelle Adjani vous laissait-il de glace ? C’est en cherchant la presse à scandale qu’on la trouve. Encore faut-il le vouloir. Ils devaient avoir leurs raisons. En France, nous sommes protégés par la loi, contrairement à l’Angleterre où ils peuvent vraiment s’inviter chez vous par la grande porte et vous briser en mille morceaux.
Vous êtes-vous déjà retrouvée en ligne de mire?
Lorsque j’ai quitté Jean-Michel, ils ont dit ci, et ils ont dit ça. Ils ont même dit que je voyais quelqu’un. Rien de grave. Rien de méchant. Rien que la vérité.
[Archives Numéro 58, novembre 2004.]