26 juil 2019

Hommage à Pina Bausch en 5 moments marquants

2019 marque les dix ans de la mort de la chorégraphe qu’on appelait “la dame noire”. Longue silhouette aux cheveux effilés, qui se déplaçait dans l’espace telle une ombre bienveillante, une figure de l’élégance filiforme. Pina Bausch fut sans conteste l’une des plus grandes chorégraphes de son vivant, ce que ses danseurs lui rendent bien alors qu’ils continuent de performer dans le monde entier les 53 pièces qu’elle a conçue au sein du Tanztheater Wuppertal. Hommage à Pina en 5 événements qui portent son héritage.

Avec une technique aussi particulière et brillante que celle de Pina Bausch, il est compliqué pour une compagnie de danse devenue orpheline de trouver de nouvelles pistes à explorer. Dans le documentaire L’héritage de Pina Bausch (diffusé sur Arte depuis le 30 juin dernier), les danseurs se questionnent : comment la compagnie va pouvoir progresser ? doit-elle faire appel à de nouveaux chorégraphes, ou continuer à jouer le riche répertoire laissé par Pina Bausch ? Ce n’est alors qu’à partir de 2018, sous la direction d’Adolphe Binder, que la compagnie s’engage dans de nouvelles créations, celles de Alan Lucien Øyen (Bon Voyage, Bob, jouée au Théâtre de la Ville du 29 juin au 3 juillet dernier) et de Dimitris Papaionnou (Since She, à La Villette du 8 au 11 juillet dernier).

 

 

Café Müller (1978) dans le cinéma d’Almodóvar

Au début de ce film du réalisateur espagnol, un rideau s’ouvre sur un spectacle de danse. Dans la salle, deux hommes assistent à une représentation du Café Müller, une des seules pièces où Pina Bausch dansa elle-même des années durant. Ils ne se connaissent pas, mais l’un d’eux, Benigno (Javier Cámara) remarque que son voisin, Marco (Darío Grandinetti), est ému aux larmes. Après cette représentation, Benigno, aide-soignante dans un hôpital, raconte à sa patiente (plongée dans le coma) la beauté du spectacle, cet épisode avec Marco, et lui montre-même l’autographe que la célèbre chorégraphe lui a signé. Sensible aux créations de la chorégraphe allemande, Almodóvar a cherché à retranscrire dans Parle avec elle cette émotion particulière qui caractérise les spectacles de Pina, où des moments de grâce hors du commun peuvent amener un sentiment de complétude chez l’individu, pouvant l’amener jusqu’aux larmes. Sur cette force étrange des pièces de Pina, Julie Shanahan (danseuse du Tanztheater Wuppertal) raconte dans le documentaire L’héritage de Pina Bausch combien les œuvres de la dame en noir exaltent les émotions de ses spectateurs, et peuvent perturber le cours de leur vie. 

 

Nelken (1982), et le “Nelken Line Project by Pina Bausch”

La vidéo a toujours eu une grande place dans la conception des pièces de Pina Bausch. Aujourd’hui encore, les jeunes danseurs de la compagnie se nourrissent des vidéos des collections de sa fondation à Wuppertal. C’est par ce même médium que la compagnie propose aujourd’hui d’apprendre une de ses chorégraphies célèbres, celle du spectacle Nelken (Les Œillets). À travers une vidéo tutoriel présentée par la danseuse Julie Anne Stanzak, un des premiers rôles de cette pièce, chacun peut apprendre la “séquence des quatre saisons”. Il s’agit du Nelken Line Project, où jusqu’à la fin du mois de mai, il était possible d’envoyer des vidéos de partout dans le monde. Dansée partout dans le monde, cette séquence mythique du travail de Pina a été rejouée de l’Irlande à l’Iran, du Chili à Chypre, du Brésil à l’Espagne, et véhicule dans le monde l’héritage de cette pièce enjouée.  

 

Kontakthof (1978) par des adolescents

Sorti en 2010, le documentaire d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, Les Rêves dansants. Sur les pas de Pina Bausch, dévoile dans une intimité des plus touchantes comment un groupe d’adolescents amateurs apprennent la célèbre chorégraphie Kontakthof (1978) de Pina Bausch. Âgés entre 14 et 18 ans, chacun de ces jeunes Allemands sont originaires de Wuppertal sans avoir eu auparavant aucune expérience de la scène. Ils sont formés par les deux danseuses de longue date Josephine Ann Endicott et Bénédicte Billiet, et Pina Bausch elle-même qui assistera, lors de la dernière année de sa vie, aux répétitions. Kontakthof désigne en allemand le lieu de la rencontre, le lieu du contact. Dans cette pièce, les corps des danseurs s’entrechoquent, se touchent, se montrent et interrogent ainsi les codes sociaux et les gestes propre à la séduction, la tendresse, l’amour ou, à l’inverse, la gêne, la violence et l’inconfort. Dans ce documentaire la danse et la vie se joignent pour créer l’émotion. Suivant le parcours de certains de ces jeunes adolescents ayant répondu à une annonce laissée dans les collèges de Wuppertal, on en apprend mieux sur l’impact de cette pièce célèbre, et laisse place à des témoignages bouleversants sur la vie de certains de ces adolescents.

 

Au Sénégal, Le Sacre du Printemps de Pina Bausch

“Le Sacre du Printemps”, Pina Bausch, Opéra de Paris

Un an après son entrée à la tête de la compagnie au centre artistique de Wuppertal, Pina Bausch livre une de ses pièces fondatrices : sa version du Sacre du Printemps, le célèbre ballet qui avait créé le choc en Russie en 1913. S’inspirant de la poésie de Vaslav Nijinski pour la danse et gardant intacte la puissance de la musique de Stravinsky, Pina Bausch renouvelle et rend hommage à une des pièces les plus connues de la danse. Le Sacre du Printemps narre l’histoire d’un rite païen se passant à l’orée du printemps où une jeune fille, l’Élue, doit être sacrifiée. Dans la version de Pina, la danse se joue sur un sol de tourbe et de terre. Ce fût l’idée de Rolf Borzik (le conjoint de Pina Bausch jusqu’à sa mort en 1980) : faire danser la troupe sur un sol qui rappelle les rites sacrificiels de l’Antiquité. En 2019 – et c’est la première fois dans l’histoire des pièces de Pina Bausch –, la compagnie du Tanztheater Wuppertal s’allie avec l’École des Sables au Sénégal pour que les danseurs du continent africain apprennent cette œuvre et élargisse ainsi l’héritage de Pina Bausch.

 

Since She (2018), le Tanztheater Wuppertal invite Dimitris Papaioannou

En 2018, neuf ans après la mort de Pina Bausch, la compagnie ajoute à son répertoire une pièce d’un nouveau chorégraphe, Since She de Dimitris Papaioannou. Présentée pour la première fois à La Villette du 8 au 11 juillet dernier, la pièce divise autant qu’elle plait. Dans un décor où se rencontraient l’univers de Dimitris Papaioannou et celui de Pina Bausch – soit, un mixte d’éléments vieille-Allemagne dans un décor sombre et épuré –, les danseurs rejouaient les saynètes propre aux œuvres de Papaioannou. Dans ce spectacle, qui alterne moments burlesques et contemplatifs, l’absence de Pina Bausch ne peut qu’être remarquée et l’hommage que lui rend le chorégraphe grec prend parfois le pas sur l’œuvre elle-même. Diriger une troupe en deuil de sa chorégraphe est une tâche des plus délicates. Arriver à en créer une pièce ingénieuse l’est encore plus. Mais si certains spectateurs quittent la salle avant la fin de la représentation, Since She promet de faire date et insuffle un nouvel élan créatif au Tanztheater Wuppertal.

 

Depuis la mort de Pina Bausch, les danseurs de sa compagnie étaient dans une période de grand flou à ne savoir quelle piste prendre pour assurer l’héritage de Pina. En 2009, la chorégraphe meurt d’un cancer. Le réalisateur allemand Wim Wenders, dans la hâte, reprend le tournage de son documentaire Pina qu’il avait laissé de côté pendant un certain temps. Il termine le film, et fait voir au monde les créations de la dame en noir, portées aux nues par l’esthétique de Wenders.

 

Avec l’ouverture de sa fondation, regroupant une collection de plus de 38 000 photographies et 3 900 vidéos portant sur chacune des 53 pièces de Pina Bausch, à Wuppertal, une chose reste sûre : l’empreinte de la chorégraphe dans la danse contemporaine sera toujours fondateur, et à jamais inoubliable. Après l’implantation de deux nouvelles pièces au répertoire de la compagnie, les danseurs du Tanztheater Wuppertal semblent vouloir être prêts à s’engager vers un nouvel horizon, ouvert aux créations de jeunes chorégraphes. Continuer à danser, Pina l’aurait souhaité.