“Garçon Chiffon” de Nicolas Maury : autoportrait fragile d’un acteur hypersensible
L’acteur français Nicolas Maury, connu pour son rôle d’Hervé dans la série “Dix pour cent” – dont la saison 4 est actuellement en cours de diffusion sur France 2 – a réalisé son premier long-métrage, “Garçon chiffon”. Un autoportrait tendre mais parfois un peu caricatural d’un acteur hypersensible en mal d’amour.
Par Chloé Sarraméa.
À l’automne 2020, l’autofiction est plus que jamais en vogue. Entre Yoga, le roman de la superstar de la littérature française Emmanuel Carrère (en librairie depuis la fin de l’été), le film ADN de Maïwenn (en salle aujourd’hui) et le premier long-métrage de l’acteur Viggo Mortensen, Falling, dont la sortie est prévue le 4 novembre… à croire que les artistes ont eu envie de parler d’eux. Au milieu de tout cet imbroglio de mises en scène de soi, on retrouve celle de l’acteur français Nicolas Maury, qui réalise – après avoir sorti le moyen-métrage “Virginie ou la capitale” en 2010 – son premier long, Garçon Chiffon.
Ce film, le comédien de 40 ans travaille dessus depuis 7 ans, entre ses rôles au cinéma mais aussi au théâtre – notamment dans Notre Faust de Robert Cantarella en 2013, date à laquelle il a commencé l’écriture de son long-métrage. Son travail de metteur en scène a dû aussi s’adapter à ses tournages pour la télévision, puisque depuis 2015 il y incarne Hervé, un agent de stars railleur et ultra attachant dans la série Dix pour cent… Tandis que les inconditionnels du show le revoient dans son ultime chapitre, diffusé depuis le 21 octobre sur France 2, les amateurs de son jeu si particulier – caractérisé par un ensemble de mimiques, une voix délicate (presque fragile) et des attitudes désinhibées – assistent dès aujourd’hui à son retour sur grand écran dans Garçon Chiffon, où il tient donc le rôle titre, celui d’un acteur à fleur de peau, jaloux en amour et irrémédiablement malheureux.
Un premier film pour se raconter
Le fait est étonnant mais Nicolas Maury a fait ses débuts dans le cinéma il y a plus de vingt ans. En 1998, Patrice Chéreau lui offre un petit rôle dans Ceux qui m’aiment prendront le train et lance sa carrière qui poursuivra dans ce même registre : des apparitions, certes nombreuses mais toujours à travers des personnages de second plan chez des auteurs reconnus du cinéma français (Philippe Garrel, Emmanuelle Bercot et Riad Sattouf pour n’en citer que quelques uns). Garçon Chiffon pourrait être la synthèse de ce passé : Jérémie, l’alter ego du réalisateur, enchaîne les castings d’où il est toujours congédié, faute d’hypersensibilité. C’est là où le récit de Nicolas Maury s’inspire (sans doute) de son propre vécu… il met en scène un acteur aussi ambitieux que talentueux mais rejeté pour les grands rôles. Parfois appelé par des metteurs en scène – notamment lors d’une séquence hilarante où une réalisatrice, interprétée par Laure Calamy, a besoin de lui non pas pour un rôle mais pour qu’il l’aide à préparer son film – le personnage imaginé par Nicolas Maury est certes un comédien aguerri mais pas tout à fait un acteur, dans le sens où il n’agit pas, puisqu’il n’est maître de rien, ni de sa vie professionnelle régie par les directeurs de castings, ni même de sa vie sentimentale qu’il sabote lui-même par excès de jalousie.
Entre les scènes de ménage avec Albert, son compagnon – interprété par Arnaud Valois –, Jérémie n’a qu’un souhait : décrocher le rôle qui pourra lancer sa carrière, celui de Moritz dans une adaptation de L’Eveil du printemps. Cette audition là pourrait, dans la vie de Nicolas Maury, représenter celle qu’il a passé pour le personnage d’Hervé dans la série Dix pour cent – salvateur en terme de notoriété – ou plutôt les castings pour ses deux rôles chez Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit et Un couteau dans le coeur), qui lui ont offert une légitimité dans le milieu du cinéma expérimental à travers des personnages de premier plan, bien écrits et à la hauteur de son jeu.
“Garçon Chiffon”, un film touchant mais parfois caricatural
Hormis l’histoire centrée sur un acteur parisien largué, triste et talentueux et la dénonciation très juste de l’hypocrisie du cinéma, Garçon Chiffon se déploie sur d’autres axes, parfois très caricaturaux. D’abord le rapport mère-fils, où la mère de Jérémie – campée par une Nathalie Baye qui semble habituée à ce rôle de matriarche provinciale depuis Juste la fin du monde (2016) – l’accueille dans la maison familiale du Limousin afin qu’il prépare son audition. Là, il assiste à un hommage à son père décédé, rencontre les nouveaux amis de sa mère (dont un jeune homme interprété par Théo Christine, très beau mais très hétéro), doit composer avec les invités de cette dernière qui accueille des Danois en maison d’hôte… Le réalisateur déploie une multitude de situations parfois burlesques mais qui rappellent tristement la condescendance qu’à souvent Paris pour la province – ou, à l’inverse, l’incompréhension de cette dernière vis à vis des préoccupations citadines.
Multipliant les clins d’oeil – au cinéma, avec notamment une apparition d’Isabelle Huppert à la sortie d’une projection, à la propre filmographie de Nicolas Maury, avec la ritournelle Marilyn & John (1988) de Vanessa Paradis, avec qui il a tourné pour Yann Gonzalez et au burlesque dépressif allénien, lorsqu’au début du film, le GPS de Jérémie lui indique d’aller à gauche, puis à droite, ce qui a le don d’exacerber les névroses de ce dernier et de faire sourire celui qui l’observe – le film au narcissisme assumé, à l’humour appréciable mais au côté trop drama, fait passer un agréable moment de cinéma mais permet de conclure une chose : Nicolas Maury est un acteur brillant mais un réalisateur balbutiant.
“Garçon chiffon” (2020) de Nicolas Maury, actuellement en salle.