Festival Circulation(s) 2022 : au Centquatre une sélection de photographes engagés
Jusqu’au 29 mai prochain, le festival Circulation(s) met en avant la jeune photographie européenne au Centquatre-Paris. Découvrez notre sélection de huit artistes à suivre.
Par Chloé Bergeret.
Fondé en 2011, le festival Circulation(s) a été créé pour promouvoir la jeune création photographique européenne, et constitue le seul évènement de ce type en France. Après douze éditions, l’exposition prend une nouvelle fois place dans le vaste espace du Centquatre pour promouvoir une sélection plus éclectique que jamais. Un total de trente artistes de quinze nationalités différentes, choisis par le jury, abordant des thèmes aussi variés que l’intégration, l’identité de genre, l’écologie ou encore la consommation de drogue. Parmi la sélection du Festival, voici les huit photographes que nous avons retenus.
Le pouvoir politique de l’illusion chez Alexandra Dautel
1989. Israël. Le kibboutz de Neot Semadar est autoproclamé dans le désert du Néguev en Israël. Entre idéologie et religion, Neot Semadar est comparé par beaucoup à une secte aux dérives violentes. C’est par la recherche documentaire que la jeune photographe parisienne Alexandra Dautel, s’est penchée sur ce lieu de vie aux airs d’utopie. Elle utilise le collage, la photographie et la superposition d’images et de mots pour livrer un travail sur le pouvoir politique de l’illusion. Ce kibboutz aux airs de lieu idéal reposait en fait sur le maintien dans l’illusion de ces habitants et la force de leur conviction. En travaillant sur des images que le collage ou la superposition a transformées, l’artiste donne à voir une réalité biaisée : une illusion aux airs du kibboutz Neot Semadar.
May You Continue to Blossom, Alexandra Dautel
Les idoles d’Elisabeth Gomes Barradas
On croit voir Aaliyah, Beyoncé, Ashanti ou Alicia Keys, sur les clichés de la photographe d’origine cap-verdienne Elisabeth Gomes Barradas. Ce sont ces artistes qui ont influencé le travail de l’artiste. Fascinée par la « black culture », le « glitter » des années 2000 et passionnée par le R’n’B, la photographe rend hommage à toutes ces inspirations dans sa série Covers : de larges portraits de femmes qui brillent de milles feux. Inspirée de l’esthétique bling-bling, l’artiste a su transformer ses amies et sa famille en véritables icônes, des divas du R’n’B. A grands renforts d’artifices et d’accessoires, Elisabeth Gomes Barradas créé des portraits aux allures de pochettes d’albums, réalisant ainsi son rêve d’enfant.
Covers, Elisabeth Gomes Barradas
Imagerie thermique et approche multisensorielle : le travail de Lotta Blomberg
L’oeuvre de la photographe finlandaise Lotta Blomberg reste de loin le plus énigmatique du Festival Circulation(s). Au mur des vidéos et des tapis ultra-colorés où se mêlent l’art ancien finlandais du ryijy (tapisserie à noeuds) et l’imagerie thermique. Lotta Blomberg utilise cette technique afin de révéler ce que nous percevons grâce à d’autres sens que la vue. L’imagerie thermique repère les sources de chaleur et les déclinés de couleurs sur les tapis représentent les différentes températures observées. La frontière entre le corps vivant et la matière a toujours intéressé l’artiste qui souffre depuis son enfance de troubles dissociatifs et a appris à en gérer les symptômes en se concentrant sur les mouvements de sa respiration. La méditation joue donc un rôle important dans sa pratique artistique. L’influence de cette technique se retrouve dans ses vidéos, où l’on observe des boules de pâte mystérieuses qui semblent respirer.
Fever Weaver, Lotta Blomberg
Humains-machines : les dérives de la biopolitique présentées par Agata Wieczorek
Un accouchement sur un grand écran : voilà ce qui clôt les premières salles du Festival Circulation(s). Mais ce n’est pas un accouchement humain, le corps est en fait une sorte de robot. La série photographique Artefacts et le court métrage Growing d’Agata Wieczorek examinent les croisements récents entre les secteurs de la médecine et de la haute technologie. La photographe propose une allégorie des régimes biopolitiques, qui contrôlerait les corps et de leurs conséquences. Ici se dresse une réalité dystopique grâce à ces photographies et ces vidéos de corps irréels si peu humains. Agata Wieczorek s’inquiète des dérives des nouvelles technologies et de la science sur la génétique humaine. Songeons par exemple aux cliniques qui proposent de choisir l’ADN de l’enfant (couleur des yeux, cheveux…). Au-delà du discours sur la biopolitique, la photographe d’origine polonaise interroge aussi le rapport entre politique et corps en aborde notamment la restriction récemment imposée du droit à l’avortement et la politique de reproduction en Pologne.
Artefacts et Growing, d’Agata Wieczorek
En Bolivie, les cireurs de chaussures incarnent les inégalités sociales pour Federico Estol
Chaque jour, 3000 cireurs de chaussures sillonnent les rues de La Paz et d’El Alto en quête de clients. Ils sont devenus un véritable phénomène social
dans la capitale bolivienne. Les membres de cette nouvelle tribu portent tous des cagoules de ski afin de conserver leur anonymat et lutter contre la discrimination dont ils sont victimes. Ni leur entourage ni leur famille ne savent qu’ils exercent ce métier. Pendant trois ans, le photographe italo-uruguayen Federico Estol a collaboré avec soixante d’entre eux, associés au journal bolivien Hormigón Armado. Ensemble, ils ont organisé des mises en scènes photographiques prenant pour toile de fond l’architecture d’El Alto. Ces cireurs-héros sont ainsi devenus à la fois producteurs et protagonistes d’un essai visuel urbain qui dénonce la stigmatisation sociale.
Shine Heroes, Federico Estol
Médias et désinformations en Pologne dans le travail d’Agnieszka Sejud
Dans le hall du Centquatre, des fresques colorées s’étalent sur des larges paravents. Lorsque le spectateur s’approche il distingue des silhouettes perdues au milieu de tissus traditionnels polonais. La photographe d’origine polonaise Agnieszka Sejud donne à voir un véritable déluge de scènes de rue et de détails folkloriques, transformés par des manipulations numériques, créant ainsi des motifs qui perdent sens. L’artiste pose la question de savoir ce qui est « vrai » et ce qui a été manipulé grâce aux nouvelles technologies. On trouve des photographies d’iconographies religieuse et nationale parmi des scènes du consumérisme quotidien aux couleurs acides – un mélange de sacré et de kitsch qui plaît particulièrement à l’artiste. Les photographies sont reproduites en pleine page sur un papier épais particulièrement brillant ce qui renforce cet aspect kitsch. HOAX est une perception subjective de la Pologne actuelle, toujours en pleine crise démocratique. L’artiste dénonce la propagande disséminée par les médias tandis qu’Internet, nouvelle plateforme bien commode pour la popularisation des mensonges, facilite la manipulation des populations.
HOAX, d’Agnieszka Sejud
Un passé colonial tragique dénoncé par Laura Quiñonez
Des portraits de femmes et d’hommes dont les tresses dessinent des paysages en référence aux esclaves de la communauté afro-colombienne qui utilisaient leurs coiffures pour communiquer secrètement les voies pour s’enfuir : tel est le projet de la photographe colombienne Laura Quiñonez. Ceux qu’on appelait les « marrons », dessinaient les repères topographiques nécessaires dans leurs coiffures. En s’appuyant sur les récits de femmes tresseuses afro-colombiennes, Laura Quiñonez convoque ces coiffures traditionnelles et les confronte aux paysages occupés historiquement par leurs communautés, aujourd’hui toujours en résistance. Ces photographies des coiffures de ces représentent à la fois les survivances d’un passé colonial tragique et le symbole d’un horizon nouveau pour ces communautés.
Accidentes geo-gráficos, Laura Quiñonez
Les expérimentations médicales sur les animaux dénoncés par le photographe Dominik Fleischmann
La série Algernon’s Flowers témoigne de la vie des souris et des rats utilisés au nom de la science. Le photographe et écrivain allemand a rassemblé des photographies d’un centre d’animaux de laboratoire et des images de fleurs fanées afin d’ouvrir un dialogue sur les problèmes éthiques inhérents à l’expérimentation animale. Le titre du projet s’inspire du roman Flowers for Algernon (1969) de l’auteur américain Daniel Keyes, où un homme et une souris subissent la même expérience pour accroître leur intelligence. Dans une société où le rationnel et l’intelligence prévalent sur l’amour et la compassion, les thèmes du livre sont plus que jamais d’actualité. Avec cette série, Dominik Fleischmann rend hommage aux animaux sacrifiés pour la recherche médicale et exprime sa conviction que toute vie est sacrée.
Algernon’s Flowers, Dominik Fleischmann
Circulation(s), le festival de la jeune photographie européenne au Centquatre, jusqu’au 29 mai 2022.