1 juin 2020

“Fauda” : rencontre avec Laëtitia Eïdo, personnage principal féminin de la série

Personnage féminin principal des deux premières saisons de la série Netflix Fauda, la Française Laëtitia Eïdo illumine cette fiction qui explore avec réalisme la complexité du conflit israélo-palestinien. Numéro a interviewé l'actrice qui sera également à l'affiche du prochain Terrence Malick.

[Attention ! l'interview contient des révélations sur la série.]

Propos recueillis par Léa Zetlaoui.

En 2016, Netflix ajoutait à son catalogue la série israélienne Fauda (“chaos” en arabe), qui plonge le spectateur au sein du conflit israélo-palestinien. Écrite par le journaliste Avi Issacharoff et Lior Raz, qui interprète aussi le personnage principal de la série Doron Kavillio, tournée en arabe et en hébreux, la série nous plonge dans le quotidien d’une unité spéciale israélienne infiltrée dans les communautés arabes du pays et Cisjordanie. Le 16 avril 2020, alors qu’une grande majorité de la population mondiale se retrouve confinée, la troisième saison de Fauda sort sur la plateforme de streaming (excepté en France où elle sera disponible le 3 juin 2020) et offre à cette fiction, déjà acclamée par la presse, un regain de popularité méritée. Réaliste, sans parti pris et surtout dénuée de pathos, Fauda explore la complexité d’un conflit qui embrase quotidiennement certaines régions d’Israël et de Palestine. Et au milieu des tirs croisés incessants, certains personnages, à l’instar de Shirin, médecin franco-palestinien, aspirent à éteindre les feux. Numéro a interviewé son interprète, la Française Laëtitia Eïdo.

 

 

Dans les deux premières saisons de Fauda, vous incarnez un médecin qui se retrouve au milieu du conflit israélo-palestinien, Comment avez-vous rejoint la série ?

J’ai joué dans le film Mon fils du réalisateur Eran Riklis, que j’avais contacté sur les réseaux sociaux car je me sentais proche de son univers multiconfessionnel. Les producteurs de la série Fauda ont vu les rushs de ce film – qui n’était pas encore monté – et ont dit à Lio Raz [créateur de la série] : “Je crois que l’on a la comédienne qu’il vous faut.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer ce rôle ?

Il me semblait que ce rôle permettait d’introduire de l’empathie et de la compréhension envers les deux camps représentés dans cette histoire. Les scénaristes ont eu assez d’ouverture d’esprit pour modifier le personnage tel qu’il était écrit au départ. Ils en ont fait une Franco-Palestinienne, et, comme moi, Shirin a un pied en dehors du conflit et elle peut comprendre, a fortiori en sa qualité de médecin, les êtres humains qu’elle rencontre. Pour moi, ce rôle peut être un lien entre ces deux cultures qui sont très proches à de nombreux égards.

 

Les équipes de tournage mêlaient-elles également différentes confessions?

En effet, les équipes étaient mixtes. Pour être clair, je dirais qu’elles englobaient des juifs israéliens et des arabes israéliens de culture palestinienne. C'est une bonne façon d'expliquer à ceux qui ne sont jamais allés en Israël. Et sans y être allé, c'est difficile de comprendre ce mélange.

 

Les équipes avaient-elles l'habitude d'être mélangées ?

Juifs Israéliens et arabes Israéliens de culture palestinienne vivent déjà ensemble dans le pays. La cohabitation n’est pas forcément aussi harmonieuse dans tous les quartiers mais là c'était une équipe mixte qui avait l'habitude de travailler dans ces conditions. Ce qu'il faut savoir aussi, c'est qu'en Israël, l'industrie du cinéma est toute petite. Quasiment tout le monde se connaît et les équipes de tournage se croisent, se retrouvent… On est loin de la grosse production américaine. C'est comme une petite famille qui tourne ensemble et tout le monde se côtoie de manière très naturelle.

 

Votre personnage est assez singulier dans cet univers, un médecin franco-palestinien plutôt en dehors du conflit.

Pour mon personnage, je dois beaucoup à la scénariste Leora Kamenetzky, qui était la seule femme au départ dans une équipe de quatre. Elle a dit : “C'est quoi ce personnage de vendeuse de légumes? Ce n'est pas possible, il faut qu'elle ait fait minimum quatre ans d'études supérieures, qu'elle ait un poste à responsabilité.” Donc grâce à elle, le personnage de Shirin, que j'interprète, est passé de vendeuse de légumes à cheffe de clinique.

 

Cette évolution du rôle de Shirin était importante pour vous ?

Oui c'était important de montrer une femme forte et avec un poste à responsabilité dans la société musulmane. Ces femmes existent mais elles sont peu représentées. Leora Kamenetzky a élevé ce personnage, puis tous les autres personnages féminins ont également été enrichis. Et comme les équipes de réalisation et de production étaient extrêmement ouvertes et très à l'écoute de ce qu'on pouvait leur apporter, elles ont accepté que Shirin, grâce à ses études en France, ait une culture mixte et ne s'habille pas de la même manière. Cela offre un angle plus intéressant à la série, je pense.

 

D'autant plus qu’à certains moments Shirin est voilée, pour montrer le respect qu'elle a pour sa famille et les traditions. Et puis, il y a cette scène où elle se découvre en disant qu'elle n'est pas pratiquante.

Oui, la scène où j'enlève mon voile et où je dis que je ne suis pas religieuse est importante pour moi. Elle a donné lieu à des discussions et j’ai dû négocier, mais j’y tenais pour montrer – sans jugement – qu'il y a des femmes fortes, des femmes, dans la société arabe, qui ont des postes à responsabilité et qui peuvent être non religieuses et l'assumer.

 

D'une manière générale, j'ai trouvé que dans Fauda, les femmes sont très dignes et fortes, sans forcément avoir des rôles que l’on pourrait qualifier de masculins, c’est un exploit dans le cinéma et les séries télévisées.

Les femmes de la série, pour moi, sont vraiment les personnages qui portent l'émotion. Dans la saison 2, la mère de l'opposant Nidal El-Makdessi encourage son fils à trouver une fin pacifique pour éviter – et surtout ne pas entretenir – un cycle de vengeance. J'ai trouvé que c'était beau. D'une manière générale, toutes les femmes dans cette série sont nobles, fortes, dignes et émouvantes.

 

Photo Boaz Konforty, Doron Ben-David, Lior Raz, Rona-Lee Shim’on, Tomer Capon. Copyright Tender Production

La série a eu un énorme succès grâce à Netflix, cela a-t-il changé les choses pour vous?

La série nous a ouvert énormément de portes aux États-Unis, et aussi en ce qui me concerne, en France. Ça c'est grâce à Netflix qui diffuse dans 180 pays, et c'est finalement une sorte de mouvement mondial. Parce qu'on en parle aux États-Unis et partout, et ça finit par toucher la France, toujours à la traîne. Mais c'est ça qui est bien avec la France, certes on fait les choses plus lentement, mais quand on les fait, c'est à fond.

 

À sa sortie, la série a été accusée de racisme et de parti pris, que pensez-vous de ces critiques ?

Il faut nuancer les choses car la première vague de réactions a été de dire que la série était très équilibrée car on montre l'humanité et les souffrances des deux camps. Concernant les critiques que vous évoquez, certaines personnes s'attendent à voir un documentaire sur la situation géopolitique de cette région alors que c'est une fiction avec un axe d'écriture israélien – c'est d'ailleurs ce que disent les auteurs eux-mêmes – et dans toute fiction, il faut qu'il y ait une sorte de ping-pong entre le bien et le mal, sinon il n'y a pas d'histoire. C'est déjà un premier pas très positif et un effort d'avoir voulu montrer les deux camps avec le plus d'objectivité possible. Je tiens à souligner, une fois de plus, que la série Fauda n’est pas un documentaire et n’a rien à voir non plus avec d’autres séries situées dans le même contexte, comme Le Serment, qui revient sur les origines du conflit israélo-palestinien. Ici, ce n’est absolument pas le sujet. Fauda traite d'une unité d'élite spéciale israélienne qui remplit son devoir.

 

Vous jouez dans des productions de tous horizons, États-Unis, France, Algérie… qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer autant de cinémas différents ?

Oui c'est vrai, d’ailleurs mon prochain projet m’emmène en Italie, et je viens d'être contactée par une agence indienne. J'ai de la chance et cela vient probablement de ma double culture franco-libanaise ce qui m’a énormément apportée à la tolérance, à dépasser complètement le concept d'appartenance à un groupe en fonction d'une religion ou d'une ethnie. Mais c’est aussi lié à mon physique qui me permet d'interpréter des personnages du bassin méditerranéen, surtout aux États-Unis où ils n’ont aucun problème à créer une Américano-ce que l'on veut. Ils ont un rapport à l'intégration très différent du nôtre et moi, ce qui m'intéresse, c'est vraiment de découvrir les humains dans toute leur diversité.

 

C'est ce qui vous encouragée à faire le métier d'actrice ?

Oui j'ai choisi d'être actrice car j'avais vraiment envie d'étudier l'humain. J'hésitais entre diverses carrières : biologiste, sociologue, architecte – discipline que j'ai étudiée car le sujet de l’habitat humain m’attirait beaucoup. Et j’ai finalement choisi de devenir actrice car ainsi, je suis moi-même mon propre laboratoire. On joue au petit chimiste avec ses émotions et on comprend mieux les autres donc c'est pas mal.

 

Quels sont vos prochains films qui sortiront au cinéma ?

Il y a le premier long-métrage de Pierre Filmon Long Time No See avec Pierre Rochefort [fils de Jean Rochefort] qui a été tourné en plan-séquence. C'est une histoire d'amour qui se déroule en temps réel sur 1h10, une durée qui correspond au temps d'attente entre deux trains. C'est un petit film que l'on a réalisé en cinq jours.

 

Vous avez débuté votre carrière par le théâtre, avez-vous prévu de remonter sur scène bientôt ?

Je devais jouer au Festival d'Avignon cet été une adaptation du roman d'Anny Romand Ma grand-mère d’Arménie, mais finalement c’est annulé. Je suis aussi présente dans l’adaptation par Yann Samuell du Journal d’un vampire en pyjama. Ce roman de Mathias Malzieu, le chanteur du groupe Dionysos, raconte la maladie du sang dont il a souffert et sa greffe de moelle osseuse. Un très beau projet dans lequel je joue aux côtés de Fred Testot.

 

La saison 3 de Fauda sera disponible le 3 juin 2020 sur Netflix.

The Last Planet, de Terrence Malick, date de sortie inconnue. 

Long Time No See de Pierre Filmon, date de sortie inconnue. 

Journal d’un vampire en pyjama, de Mathias Malzieu, adapté par Yann Samuell.