24 mai 2022

En direct de Cannes 2022 : avec Léa Seydoux, Kristen Stewart et Viggo Mortensen, David Cronenberg explore des beautés intérieures dans Crimes of The Future

Annoncé comme un scandale, le nouveau film de David Cronenberg, en compétition officielle au festival de Cannes et qui met en scène Léa Seydoux, Kristen Stewart et Viggo Mortensen, se révèle à la fois primitif et d’une extrême sophistication.

Léa Seydoux, Viggo Mortensen, Kristen Stewart dans Crimes of the future

Il y a quelques mois, Léa Seydoux nous décrivait Crimes of The Future quelques mois après le dernier clap : “Le film a été tourné en Grèce et se passe dans un univers dystopique où il n’y a plus de maquillage, les gens se nourrissent de plastique et ils ont des organes qui poussent. C’est assez farfelu. Dans le film, j’opère Viggo Mortensen qui a ce problème… C’est du pur Cronenberg. En tant que personne et comme cinéaste, il est très intelligent, mais pas acide ni cynique : plutôt drôle et doux.” Farfelu, drôle, doux… Les mots de la comédienne française pour décrire l’auteur de Scanners et son cinéma avaient de quoi intriguer. Mais après 1h45 de lacérations consenties et d’explorations internes vécues intensément, d’humour à froid et de saillies existentielles, on ne peut pas vraiment lui donner tort. Annoncé comme un scandale qui ferait fuir un public choqué, le dernier film du réalisateur canadien est d’abord une ode à des personnages perdus dans les affres de leur désir insatiable, regardés avec un mélange de distance légère amusée et d’amour sans conditions. 

 

Léa Seydoux, magistrale, se glisse dans la peau d’une ancienne chirurgienne qui a quitté son métier pour se consacrer à un homme dans la force de l’âge (Viggo Mortensen) qui passe le plus clair de ses journées à souffrir. De nouveaux organes surgissent dans ses entrailles, que son amie lui retire lors de performances publiques auxquelles assistent des passionnés des expérimentations sur le corps. Du pur Cronenberg, en effet. Le réalisateur de eXistenZ et Crash – deux films très différents qui reviennent pourtant en mémoire ici – s’entête avec panache à remixer ses éternelles obsessions. Son film est bavard, parfois dur – on y voit un infanticide – et d’une austérité fondamentale, mais jamais froid : les opérations filmées comme des scènes sexuelles où les incisions et les découpes auraient remplacé la pénétration classique (« Surgery is the new sex », entend-on comme un mantra), les moments de tendresse entre des personnages caressés par le scalpel, tout cela donne à Crimes of The Future une aura dans laquelle Léa Seydoux, Viggo Mortensen mais aussi Kristen Stewart baignent avec force.

Cronenberg montre des êtres qui perdent le contrôle et veulent s’affirmer en tant qu’artistes. Lui qui parait si prompt à contrôler chaque parcelle de son film fait plutôt le trajet inverse : il dresse en filigrane son autoportrait en créateur pour qui le plus difficile reste de s’abandonner. D’où la nécessité intime d’aller le plus loin possible, là où il se coupe, sans peur du ridicule – après tout, on dit bien “coupez” pour stopper une scène sur un plateau. Cronenberg filme ce qui apparaît quand on ouvre un corps et peut-être quand on lui ouvre la tête : une beauté douteuse, insaisissable mais réelle. 

 

Le presque octogénaire s’intéresse aussi à ce que le monde contemporain a de toxique pour celles et ceux qui y habitent. Ses personnages capables de manger du plastique sont comme les voitures-balais des excès destructeurs pour l’environnement de toute une civilisation. Le tournage en Grèce, berceau de la pensée occidentale, prend alors tout son sens. Et Crimes Of The Future, à la fois primitif et d’une extrême sophistication, s’installe parmi les meilleurs films de Cannes 2022.

 

Crimes of the Future de David Cronenberg en compétition officielle et en salles.  

Kristen Stewart et Viggo Mortensen dans Crimes of the future