De victimes à puissantes, les femmes glorifiées par la photographe Pamela Tulizo
La Maison européenne de la photographie, à Paris, met à l’honneur Pamela Tulizo, photographe congolaise émergente. Elle nous invite à dépasser les clichés omniprésents dans la représentation de la femme africaine, et laisse entrevoir toute la complexité de son identité, dans sa série Double identité. À voir jusqu’au 13 mars 2022.
Par Chloé Bergeret.
La tête haute, le regard digne qui fixe le spectateur, la femme congolaise photographiée par Pamela Tulizo intrigue. Son corps est divisé en deux parties bien distinctes par une ligne qui la traverse de haut en bas : sur la moitié droite, elle est vêtue d’une veste fuchsia tachée, son visage est couvert de suie et de larmes. Sur la moitié gauche, elle porte un tailleur bleu immaculé, son visage est impeccablement fardé et orné d’une boucle d’oreille argentée. Un corps scindé en deux, illustrant la double identité de la femme africaine. Pauvre et souffrante aux yeux des médias, notamment occidentaux, la première suscite la pitié tandis que la seconde, apprêtée, confiante et maîtresse de sa propre vie, provoque l’admiration. Baptisée Double Identité (2020), la série dont cette image est issue – exposée jusqu’au 13 mars à la Maison européenne de la photographie – est signée de la photographe et journaliste de formation Pamela Tulizo. À 28 ans, cette jeune photographe congolaise, basée à Goma, en République démocratique du Congo, a conquis l’an dernier le jury du prix Dior de la photographie et des art visuels pour jeunes talents, dont elle est devenue la troisième lauréate grâce à ce projet puissant. Depuis sa création en 2017, ce prix n’avait jamais récompensé une artiste aussi engagée. À travers treize portraits, tous incarnés par une seule et même femme, l’artiste expose la condition de la femme africaine tiraillée entre deux forces opposées : ses aspirations à la liberté et à l’émancipation professionnelles, d’une part, et le poids de la société patriarcale et inégalitaire dans laquelle elle vit, d’autre part,.
Pamela Tulizo déplore la représentation des femmes congolaises, notamment dans la presse, et critique le regard occidental souvent victimaire porté sur l’Afrique. À travers son travail, elle s’applique à nuancer ce regard en insistant sur l’ambivalence de la position de la femme africaine. Une dualité matérialisée à travers le corps même de son modèle, en utilisant de forts contrastes : les couleurs joyeuses des vêtements traditionnels s’opposent à la froideur de la terre battue ou des graviers au sol, tandis que la peau sombre de la mannequin congolaise se heurte aux pages blanches des journaux occidentaux, porteuses d’un jugement parfois négatif, collées sur son visage et son torse. Dans certaines de ses images, Pamela Tulizo introduit aussi le miroir, qui ouvre des mondes parallèles : une femme contremaître, belle et élégante, ou une femme professeure… autant de réalités si peu visibles dans les médias, mais pourtant bien réelles, qui dépassent la simple réflexion. Une invitation à traverser le miroir des préjugés et des idées toutes faites. Par son travail très coloré, l’artiste cherche à réhumaniser toutes les femmes africaines et à leur donner une place de premier plan. Consciente des difficultés qu’elles rencontrent encore en Afrique et particulièrement en République démocratique du Congo, – Goma étant tristement renommé pour son nombre colossal de viols et d’agressions sexuelles dans un contexte de conflits frontaliers et de guerres civiles –, Pamela Tulizo fait le choix de montrer une toute autre réalité. À l’aide du logiciel Photoshop, elle insère des silhouettes féminines dans des paysages vides, les dédouble dans une même image, ou encore les transforme tantôt en femmes d’affaires, tantôt en médecins. Autant de manières de se réapproprier l’images de la femme africaine et de nous inciter à aller au-delà des apparences et des stéréotypes pour s’ouvrir à un autre récit.
Si le propos de Pamela Tulizo est éminemment social, sa pratique reste bien loin du documentaire. La vingtenaire lui préfère la photographie de mode, dont elle détourne habilement les codes – maquillage, vêtements, accessoires – afin de montrer, avant même la beauté, la force intérieure et le courage de la gent féminine. Le vêtement joue à ce titre un rôle capital pour l’artiste et devient un espace d’expression, tout comme pour le photographe camerouno-nigérian Samuel Fosso dont la riche rétrospective occupe actuellement le reste des espaces de la MEP. Chez Pamela Tulizo, l’habit permet l’émancipation et porte le poids de la lutte des femmes congolaises pour leur liberté. Ces deux dernières années, la passionnée de mode va jusqu’à prendre le vêtement comme support plastique : pour sa dernière série Enfers paradisiaques (2021), inspirée par la pandémie de Covid-19, elle conçoit elle-même des robes sculpturales ornées des produits de première nécessité en République démocratique du Congo tels que du maïs, du charbon, des haricots rouges ou de bidons pour l’eau, avant de photographier son modèle vêtu de ces créations renversant sciemment les codes de la photographie de mode. Porteur direct du message de Pamela Tulizo, le vêtement se fait le miroir des inégalités persistantes entre le Nord et le Sud : quand en Europe ou aux États-Unis, on se précipite sur le papier toilette dans les supermarchés, l’Afrique compte ses réserves d’eau potable. C’est justement aux femmes de sa région du Kivu, parmi celles qui souffrent le plus de ces inégalités, que la photographe fait porter ses robes, avant de faire front à leurs côtés pour défendre leurs droits, lors de manifestations ou de rassemblements. En faisant le choix de devenir journaliste, et surtout photographe, Pamela Tulizo a conquis sa liberté d’expression dans un monde dominé par les hommes. Aujourd’hui, son travail enjoint toutes les femmes d’Afrique et d’ailleurs à suivre son exemple.
La série Double identité de Pamela Tulizo est exposée à la MEP dans l’espace « le Studio », au sein de l’exposition Face to Face, jusqu’au 13 mars.
Maison européenne de la photographie, 5 rue de Fourcy, Paris 4e.