Davido: ambassador of afrobeats
Fer de lance de l’afrobeats, mouvement mariant rythmes africains et productions pop, le Nigérian Davido est aujourd’hui une star mondiale, qui fédère autour de son album A Better Time les plus grands rappeurs américains. Fort de sa popularité, il s’est récemment positionné en porte-parole du mouvement politique opposant la jeunesse de son pays aux forces de l’ordre. Numéro a photographié le chanteur dans les rues de Lagos.
Par Delphine Roche.
Davido chante la joie, les plaisirs du flirt et de l’amour… parfois aussi, il enjoint les haters et les concurrents de tout poil à fermer leur grande bouche et à se taire. Tel était le message assumé de son titre Fem, un tube qui reste immédiatement en tête dès qu’on l’a entendu une fois. En octobre dernier, le morceau connaissait un destin singulier et glorieux : la jeunesse nigériane l’adoptait comme hymne de ses manifestations contre les violences policières, à travers le mouvement #EndSARS, qui ne s’est pas seulement déployé comme un hashtag sur les réseaux sociaux, mais de façon très concrète, dans les rues des grandes villes du pays, en mettant en jeu l’intégrité physique des manifestants. Pop star aux 19 millions d’abonnés sur Instagram, David Adedeji Adeleke, de son vrai nom, rejoignait bientôt lui-même le mouvement. Le 18 octobre, il défilait dans la capitale Abuja, et se retrouvait même en première ligne, à tenter d’arrêter la charge des policiers qui tiraient… à balles réelles. “C’était vraiment fou, explique Davido, la voix étranglée d’émotion. La police tirait vraiment… C’est difficile pour moi d’évoquer ce souvenir. Nous ne faisions rien de mal, nous étions en train de manifester pacifiquement, et le fait qu’ils réagissent aussi violemment… c’était vraiment triste.” Impliqué de fait dans le mouvement, le chanteur utilisait un peu plus tard sa célébrité pour porter en haut lieu les revendications du peuple (ne plus se faire harceler et brutaliser gratuitement par la police). Reçu par Femi Gbajabiamila, président de la Chambre des représentants, Davido trouvait dans cet événement diffusé en direct sur Internet un nouveau rôle qui lui vaudrait autant de louanges que de critiques. “J’ai juste voulu profiter de l’opportunité que j’avais, grâce à ma célébrité, de porter la parole du peuple en haut lieu. C’est tout”, explique-t-il avec une pointe de lassitude.
Le statut de star aux 19 millions d’abonnés sur Instagram peut donc également avoir ses revers. Davido est un des leaders de la scène afrobeats actuelle – née en Afrique de l’Ouest, surtout au Nigeria, et portée en Angleterre par sa diaspora – qui revisite des rythmiques et des instrumentations africaines en y injectant l’efficacité des productions pop contemporaines. Fils d’un homme d’affaires nigérian très fortuné, il est né à Atlanta en 1992, et a commencé des études supérieures aux États-Unis avant de se lancer définitivement dans la musique. “J’avais un groupe de hip-hop au lycée, puis j’ai évolué vers le R’n’B, et finalement vers l’afrobeats”, poursuit-il. En 2011, il se fait connaître avec Back When, une collaboration avec le rappeur nigérian Naeto C, qui devient un hit national. Puis, la même année, Dami Duro enfonce le clou, et son premier album Omo Baba Olowo conclut joliment cette percée en 2012. Les années suivantes, Davido s’impose déjà sur la scène mondiale comme une pointure avec laquelle il faudra désormais compter, avec ses singles imparables Fia, Fall, If, ou encore Gang d’Aya Nakamura, la Malienne née à Bamako, qui a grandi en Seine-Saint-Denis avant de devenir l’artiste francophone féminine la plus écoutée du monde, avec qui il collabore en 2018.
À grands pas, l’afrobeats conquiert le monde en passant par les États-Unis et l’Angleterre, devenant un genre musical en pleine croissance, porté notamment par Davido, Wizkid et Burna Boy. Sa dynamique est comparable à celle de la pop latine, qui développe un dialogue entre stars hispanophones du monde entier (l’Espagnole Rosalía, les Colombiens J Balvin et Maluma, le Portoricain Bad Bunny…), qui ont connu le succès avec des productions pop puissantes et imparables, ensemencées par les sonorités ou les rythmes propres à leur culture, sans jamais verser dans les travers du folklore ou de l’exotisme. Surtout, alors que la Colombienne Shakira, pour gagner un public international à l’aube de l’an 2000, décidait de devenir blonde et de chanter en anglais, aujourd’hui la pop latine s’exporte en espagnol. De la même façon, les stars de l’afrobeats mêlent actuellement l’anglais et le yoruba sans s’autocensurer. Figure de proue du mouvement qui ne cesse de prendre de l’ampleur, Davido se sent investi d’une mission pour faire grandir ce genre qui met enfin l’Afrique, mère originelle du blues, de la soul, du rap, du R’n’B… au cœur de la musique populaire et globale. “Tous les musiciens africains ont une responsabilité : ils doivent faire de la musique de qualité, montrer au monde la richesse de notre son. Ce son est le nôtre et nous devons le mener aussi loin que possible.”
Si bien que lorsque paraît le deuxième album de Davido, en 2019, intitulé A Good Time, le casting de rêve qu’il réunit atteste de la puissance de ce style musical, et de sa capacité à unifier l’Afrique et sa diaspora mondiale au cœur d’un dialogue créatif fructueux. Blow My Mind réunit Davido et le chanteur R’n’B Chris Brown, tandis que D&G célèbre la marque Dolce & Gabbana avec le concours de la voix envoûtante de Summer Walker. Les rappeurs d’Atlanta et de New York Gunna et A Boogie wit da Hoodie rencontrent le Nigérian Dremo sur Big Picture, le tout sur une production épurée et rythmée. En novembre de l’année dernière, un nouvel album de Davido venait soutenir à point nommé le moral du pays endeuillé par une fusillade atroce intervenue à Lagos un peu plus tôt, toujours dans le cadre des manifestations contre les violences policières. Intitulé, comme un souhait brûlant émis par l’artiste, A Better Time, il déroule lui aussi une litanie de stars, et se permet de diversifier encore son son, en allant puiser du côté des légendes du rap telles que Nas en personne, ou le producteur Hit-Boy (couronné de plusieurs récompenses aux Grammy Awards, notamment pour le tube planétaire de Jay-Z et Kanye West, Niggas in Paris). Les artistes nigérians Ckay, Bella Shmurda et Tiwa Savage cohabitent sur le brillant opus avec Nicki Minaj et le rappeur américain Lil Baby.
Pour délivrer cet album plus abouti encore que le précédent, Davido a travaillé chez lui, dans le studio qu’il a aménagé dans sa maison à Lagos, invitant de nombreux producteurs à lui rendre visite. Immobilisé, comme de nombreux Terriens, par la pandémie, le chanteur a mis à profit cette période pour se montrer plus prolifique que jamais. “Je fais de la musique tous les jours, continuellement, poursuit-il. Je n’avais pas vraiment l’intention de faire un nouvel album, mais je me suis finalement aperçu que j’avais vraiment beaucoup de nouveaux morceaux qui me plaisaient.” Le phrasé de Davido s’impose sur chacun des titres de A Better Time pour dessiner la continuité d’une signature vocale bien imprimée dans les oreilles des fans du monde entier depuis les singles Fia, Fall et If. Quant à l’avenir politique de son pays, la star se voit-elle endosser durablement le rôle de conciliateur, de porte-parole, voire un rôle plus proéminent ? “Je ne pense pas pouvoir répondre à cette question aujourd’hui, conclut-il. Pour l’heure, je reste focalisé sur ma musique.”