20 fév 2020

Comment “La Petite Sirène” s’est échouée dans les rues de Berlin

Réalisateur talentueux et incarnation d'un cinéma allemand contemporain, Christian Petzold revient avec un nouveau film : "Ondine", sélectionné à la 70e édition de la Berlinale. Inspiré du conte éponyme de Friedrich de La Motte-Fouqué (paru en 1811), qui a lui-même fait naître "La Petite Sirène" de Hans Christian Andersen, le long-métrage puise dans l’imaginaire de la fable pour façonner une histoire d’amour entre deux mondes : l'imaginaire et le réel.

À l’origine, Ondine est une créature aquatique, une nymphe amoureuse d’un humain infidèle. Sous l’emprise d’un sortilège, cette dernière est condamnée à tuer son amant avant de quitter le monde des hommes et de retourner dans la douceur de l’eau. Voilà le départ du film qui, au travers d’une rupture entre une Ondine contemporaine (Paula Beer) et son amoureux Johannes (Jacob Matschenz), rappelle l'enjeu de la légende : "si tu me quittes, je dois te tuer". Plus tard, dans un lac, entre les algues, "Undine" est inscrit sur la pierre d’un arc englouti. Comme un écho lointain du mythe, l'apparition mystérieuse du prénom flotte au-dessus de l’histoire, en présage mortuaire ou douce promesse d’un récit fantasmagorique.

 

Si le conte de Friedrich de La Motte-Fouqué ruisselle par vagues dans le long-métrage de Christian Petzold, il est toutefois maintenu à distance, car réinterprété sur un fond d’urbanisme berlinois et de plongées sous-marines. Saveur verdâtre au goût de rivières et de silures, le parcours de la nymphe moderne revêt le visage de Paula Beer. L’actrice, qui jouait déjà dans Transit ­­—huitième long-métrage de Christian Petzold— succède magnifiquement à Nina Hoss, visage emblématique du cinéma du réalisateur. Quittée par son premier amoureux, Ondine refuse d’abord le destin tragique qui l’incombe et s’éprend d’un autre homme, Christoph, un scaphandrier (Franz Rogowski). Celle-ci oublie alors pour un temps son destin, submergée par cette nouvelle histoire fulgurante qui ancre ses racines dans un étang, là où Christoph travaille.

Copyright Schramm Film Christian Schulz

Avec son neuvième long-métrage, Christian Petzold s’affirme à nouveau comme un génial conteur d’histoires amoureuses. Habitué à faire naître les sentiments dans un contexte politique (la guerre froide avec Barbara, le retour des camps avec Phoenix et la Seconde Guerre mondiale avec Transit), il entoure ici son récit de mythologie. Ondine, historienne de l’urbanisme, évolue toutefois dans l’Allemagne d’aujourd’hui, sans pour autant que l’on puisse dater son histoire. Tout en se parant de clins d’œil à la légende, le film s’affirme comme un objet intemporel, éternel.

 

La présence de l’eau (le lac, l’aquarium, la piscine), en plus d’offrir une palette esthétique, participe à créer une atmosphère onirique envoûtante. Les scènes sous-marines enveloppent le spectateur d’une couverture sonore évanescente, comme une bulle de temps suspendu. Car Christian Petzold est avant tout un cinéaste des sens. Le corps à l’écran est quasi palpable et l’on peut presque sentir le vent sur la peau mouillée. Les brusques embolies du son et le flottement de la caméra participent à créer une expérience immersive et sensible. Ainsi, quand Ondine et Christoph nagent, on retient son souffle avec eux. Lorsqu’ils s’embrassent, on goûte la moiteur de leurs baisers.

 

Délicat et subtil, le film est saisissant par la simplicité avec laquelle il rend compte d’un amour puissant. L’acuité tranquille de la mise en scène porte le récit dans un parfait équilibre entre rêve et réalité. Dépourvu de repères temporels —à l’exception de la mention "deux ans plus tard", qui arrive à la fin du récit­—, les personnages seuls font vivre cette fable moderne, par le biais d’une direction d’acteur qui procède par petites touches. Paula Beer et Franz Rogowski forment par ailleurs un très beau duo dont l’alchimie perceptible ajoute à la beauté du film. 

Ondine de Christian Petzold, avec Paula Beer et Franz Rogowski – Sortie le 1er avril 2020.