5 mar 2020

Comment François Truffaut s’est introduit à Hollywood

Aujourd'hui sort en librairie “L'Amie Américaine” de Serge Toubiana, qui retrace la vie d'Helen Scott. Fidèle amie de François Truffaut, elle l'a accompagné et a diffusé ses films aux États-Unis, des “Quatre Cent Coups” (1959) jusqu'à la mort du cinéaste, en 1984. Retour sur la vie romanesque d'une femme de l'ombre. 

François Truffaut, Alfred Hitchcock et Helen Scott, le 14 juin 1962 Photo Philippe Halsman. Magnum

Le scénario est parfait pour toi ! Ma première réaction a été de penser qu’il est trop américain pour être réalisé par toi, mais les nombreuses nuances qui s’y prêtent vont si bien à ton talent que j’ai changé d’avis”. Ce sont les mots qu’écrit Helen Scott à François Truffaut en lui proposant le scénario de Bonnie & Clyde. Finalement réalisé par l’Américain Arthur Penn, le long-métrage est d’abord passé sur le bureau du célèbre metteur en scène français. Helen Scott, l’une des plus proches collaboratrices du cinéaste, souhaitait en faire un “À bout de souffle américain – et mentionne même le nom de Jean-Paul Belmondo pour camper le terrible Clyde Barrow. Dans un livre intitulé L’Amie Américaine, publié aujourd’hui aux éditions Stock, Serge Toubiana, l’ancien directeur de la Cinémathèque et ex-rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma, rend hommage à la femme qui a ouvert les portes d’Hollywood à l’un des pionniers de la Nouvelle Vague française. 

 

1. “Vous m’avez reconnue et j’en ai été très touchée.”

 

Après le triomphe au Festival de Cannes de son premier film, Les Quatre Cent Coups, François Truffaut part à la conquête de l’Amérique. C’est à cette occasion qu’il rencontre la francophile Helen Scott, qui dédiera sa vie à la diffusion outre-Atlantique des films de la Nouvelle Vague. Demeurée dans l’ombre des artistes qu’elle a accompagnés, sa vie pourrait toutefois faire l’objet d’un friand roman d’aventure. 

 

“Notre seul point commun est notre enfance pourrie et notre adolescence lamentable”

 

Le père d’Helen Scott – ou Reswick de son nom de jeune fille – est un journaliste d’origine ukrainienne ayant migré aux États-Unis au début du XXe siècle puis expédié en URSS pour couvrir les années révolutionnaires. Dès son plus jeune âge, elle connaît alors une enfance troublée par la méfiance et la discrimination. Il faut attendre l’adolescence pour que la jeune femme découvre Paris, dans les années 1930, où elle apprend le français et finit par intégrer un réseau de la Résistance. Parfaitement bilingue, elle conserve de ses années passées en France une nostalgie pour tout ce qui est français. De retour aux États-Unis, elle ne trouve pas le repos, virée de l’ONU en 1948 à cause de son engagement communiste, blacklistée et harcelée par le FBI. Boulimique, hypertendue et accro aux amphétamines, elle peine à jouir d’une vie sociale épanouie… 

 

La vie d’Helen Scott connaît un second souffle en 1960, alors qu’elle travaille au French film office à New York. Invité par le Cercle des critiques pour recevoir le prix du meilleur film étranger, François Truffaut croise son chemin, et ne la quittera plus pendant 25 ans. C’est elle qui fera rayonner la Nouvelle Vague sur les écrans américains. Aujourd’hui encore, Helen Scott repose au cimetière Montmartre, à quelques mètres de François Truffaut. Leur correspondance témoigne de la force de leur amitié : “En dépit de l’écart d’âge et d’idées, et ne sachant rien de mon passé, vous m’avez "reconnue" et j’en ai été très touchée” écrit-elle au cinéaste. Au lendemain d’une dispute, il lui déclare : “Notre seul point commun est notre enfance pourrie et notre adolescence lamentable”. En 1965, elle va jusqu’à suivre le cinéaste sur le tournage de Fahrenheit 451, unique film de François Truffaut en anglais. Lorsque le clap de fin est donné, elle s’installe définitivement à Paris. 

https://youtu.be/UlQ1C54coaY

2. “Je suis peut-être née pour vous complémenter. Laissons aux autres le soin de vous complimenter !” 

 

Pour les cinéphiles du monde entier, la rencontre entre Alfred Hitchcock et François Truffaut est devenue culte. En 1966 paraît aux éditions Robert Laffont une série d’entretiens entre les deux brillants cinéastes, intitulé Le Cinéma selon Alfred Hitchcock. Le Français y pose pas moins de cinq-cent questions au maître du suspense, dans le but de décortiquer l’oeuvre du cinéaste anglo-américain. Ils y abordent notamment les circonstances entourant la naissance de chaque films, l’élaboration et la construction du scénario, les problèmes de mise en scène particulières à chaque film ou encore l’estimation par Hitchcock du résultat commercial et artistique de chaque film par rapport aux espoirs initiaux. 

 

Encore une fois, sans Helen Scott, le projet n’aurait pu voir le jour. Malgré son succès outre-Atlantique, François Truffaut ne maîtrisera jamais la langue de Shakespeare, d'autant qu’Alfred Hitchcock ne connaît pas non plus celle de Molière. Jonglant entre le français et l’anglais, riant aux plaisanteries en les traduisant, l’interprète et traductrice a su donner à cette longue discussion son caractère joyeux et intime. “Je suis peut-être née pour vous complémenter – laissons aux autres le soin de vous complimenter !” confie-t-elle sur le ton de la plaisanterie aux deux géants du cinéma.

3. Les États-Unis et François Truffaut : une passion intarissable 

 

Le récit de Serge Toubiana se nourrit de multiples histoires sur les films, ceux qui existent comme ceux qui n’ont jamais vu le jour. S’y dressent les portraits de cinéastes tels que Jacques Demy ou Elie Wiesel, qu’Helen Scott fréquentait également. Une fois installée à Paris, elle continuera son rôle de passeuse de la Nouvelle Vague, tout en accueillant plusieurs réalisateurs américains, jusqu’à sa mort en octobre 1987.  

 

Grâce à son travail, la filmographie de François Truffaut continue, aujourd’hui encore, à fasciner les États-Unis. De son vivant, le cinéaste se voit remettre l’Oscar du film étranger pour La Nuit Américaine en 1974. Et son influence plane sur le cinéma américain durant des décennies. En témoignent les nombreux remakes de ses propres oeuvres : Paul Mazursky rend hommage à Jules & Jim dans Willie et Phil (1980), tandis que Blake Edwards adapte L’Homme qui aimait les femmes trois ans plus tard. Même les renards de Wes Anderson, dans Fantastic Mr. Fox, écoutent la musique de La Nuit Américaine, pour rythmer leurs escapades nocturnes.