Comment la photographe Lee Miller a inspiré Civil War, le road trip à travers les fusillades américaines
Deux ans après Men, Alex Garland présentait en avril 2024 son nouveau film Civil War, véritable claque portée par Kirsten Dunst (Melancholia) et Wagner Moura (Narcos). Dans un futur proche, une guerre civile met l’Amérique à feu et à sang. Le personnage principal de ce long-métrage s’inspire notamment de Lee Miller, illustre journaliste et photographe de guerre.
Par Alexis Thibault.
Lee Miller : le modèle devenue reporter de guerre
La photographie fera le tour du monde. Lee Miller apparaît dans le cadre, assise dans la baignoire d’Adolf Hitler, au sein de son appartement de Munich. Une image fascinante capturée par le reporter David Sherman et elle-même, en avril 1945. À l’époque, Lee Miller a 38 ans et officie alors pour le Vogue britannique en tant que correspondante de guerre. Longtemps modèle pour le magazine puis muse de l’artiste Man Ray, elle est désormais une tête-brulée qui débarque sur les champs de bataille armé d’un appareil photo, pour immortaliser l’horreur de la guerre et distribuer des saillies ironiques. “J’ai pris quelques photos des lieux et passé une bonne nuit de sommeil dans le lit d’Hitler, dira-t-elle alors. J’ai même ôté la crasse de Dachau de sa baignoire…”
Le 9 octobre 2024, Lee Miller apparaîtra sous les traits de Kate Winslet dans un biopic d’Ellen Kuras. Un long-métrage résolument féministe qui s’inspire de l’ouvrage Les Vies de Lee Miller, écrit par le propre fils de la photographe, Antony Penrose, et publié en France en 1994. Au mois d’avril, elle inspirait déjà un autre long-métrage : le Civil War d’Alex Garland porté par une certaine Kirsten Dunst.
Civil War : un road trip terrifiant entre les fusillades américaines
“– Si je prenais une balle dans la tête. Là, maintenant. Prendrais-tu une photo de mon corps étalé sur le sol avant de reprendre la route?
– Évidemment…”
Voilà des dizaines d’année que Lee (Kirsten Dunst) documente la guerre. Toute sorte de conflits armés. Et le pire, c’est que la majeure partie des ses clichés sont sublimes. Une beauté étrange, triste, sombre et embarrassante. Lorsqu’elle fait la rencontre de Jessie (Cailee Spaeny), photojournaliste débutante qui souhaite la suivre dans ses pérégrinations, elle n’a d’autre choix que de confronter la jeune femme à l’horreur du monde et de sa profession…
Deux ans après Men, le cinéaste britannique Alex Garland livre un thriller explosif avec Civil War. Une claque monumentale d’1h50, qui sort au cinéma le 17 avril 2024. Passé par le genre horrifique – le scénario de 28 jours plus tard en 2022 – et la science-fiction (l’excellent Ex Machina avec Oscar Isaac ou Annihilation avec Natalie Portman, plus controversé), il envisage un futur dystopique dans lequel une guerre civile, dont on ne connait pas vraiment l’origine, met les États-Unis à feu et à sang.
Une équipe de journalistes se lance alors dans un road trip de plusieurs centaines de kilomètres à travers le pays pour rejoindre la Maison-Blanche et décrocher une interview exclusive du Président – dictateur – américain. Plutôt que d’éviter les coups de feu, ils les pourchassent.
Le film des studios A24 au budget colossal
Avec Civil War, Alex Garland rend hommage aux photographes de guerre Lee Miller et Don McCullen. Dans son film ultra violent, les corps s’écrasent au sol sans aucune giclée de sang. Mais l’horreur de la guerre est bien présente. La caméra du Britannique nous propulse directement sous les balles, aux côtés de témoins neutres et impuissants, tantôt à couvert, à l’abri d’une carcasse de véhicule carbonisé, tantôt en plein dans l’axe d’un sniper, en danger de mort, parce qu’il faut bel et bien s’offrir un cliché sensationnel. Qu’on se le dise, Civil War frappe par son réalisme.
D’autant qu’Alex Garland s’est adjoint les services de Ray Mendoza, ancien membre de la Navy Seal qui a notamment chorégraphié une séquence finale éblouissante nécessitant près d’une cinquantaine de cascadeurs. Quant à Kirsten Dunst, journaliste apathique, et l’acteur Brésilien Wagner Moura, qui incarne un reporter devenu accro à l’adrénaline, tout deux se souviennent d’un tournage éprouvant. La première a souffert de stress post-traumatique pendant deux semaines, marquée par les tirs des armes chargées à blanc. Le second a fondu en larmes pendant une demi-heure après le tournage d’une des scènes les plus terribles du long-métrage…
Si Civil War et son budget de soixante millions de dollars – le plus gros budget alloué par les studios A24 – est si efficace c’est parce qu’il s’inspire notamment du documentaire Under the Wire (2018). En 2012, la correspondante de guerre du Sunday Times, Marie Colvin, et le photographe Paul Conroy arrivent en Syrie pour raconter l’histoire des civils piégés à Homs, ville assiégée et soumise aux attaques militaires incessantes de l’armée syrienne. Autre source d’inspiration, le film soviétique d’Elem Klimov, Requiem pour un massacre (1985). En 1943, en Biélorussie, un jeune villageois, Fliora, déterre le fusil d’un soldat mort et s’engage chez les partisans contre l’envahisseur allemand.
Alex Garland signe un chef-d’œuvre qui interroge le rôle de la presse
Il est parfois aisé d’employer le terme chef-d’œuvre. Mais force est de constater que Civil War ne souffre d’aucune anomalie. Réalisation, photographie, montage, son… Alex Garland maitrise son sujet de bout en bout et chaque scène, chaque dialogue, chaque plan – qui rappellent parfois le brillant jeu vidéo The Last of Us –, sert son propos du début à la fin du long-métrage. Et quel propos ? D’abord un manifeste éclairé à quelques mois des élections américains, dans un pays fracturé et ultra violent. Ensuite une réflexion sur la place de la presse en marge des conflits armés.
Documenter le réel permet-il de l’altérer ? Quel est le prix à payer pour obtenir une information ? Photographier la guerre a-t-il un impact sur les décisions géopolitiques ? Dans le cas contraire, à quoi bon la documenter ? Véritable film choc, Civil War n’est pas un film alarmiste mais exprime cependant la crainte d’une escalade. Il a déjà pris la tête du box-office nord-américain dès son premier week-end d’exploitation et s’offre donc la première place devant Godzilla x Kong – le Nouvel Empire. Un blockbuster brillant qui emprunte plutôt la voie d’une Kathryn Bigelow (Démineurs, Zero Dark Thirty).
Lee Miller (2024) d’Ellen Kuras, avec Kate Winslet, au cinéma le 9 octobre 2024.