21 juil 2025

Pourquoi il faut voir Sorry, Baby, le film A24 sur le pouvoir de l’amitié face aux traumas

Avec Sorry, Baby, Eva Victor défend un excellent premier film. À la fois réalisateur·e, scénariste et rôle principal du projet, iel défend une épopée douce-amère sur la guérison et l’amitié. Porté par Naomi Ackie (Blink TwiceMickey 17) et Lucas Hedges, le drame a conquis les cœurs du Festival de Cannes – et le nôtre. Chronique.

  • par Jordan Bako.

  • La bande-annonce du film Sorry, Baby (2025).

    Issa Rae de la série Insecure, Quinta Brunson de la sitcom Abbott Elementary ou plus récemment Benito Skinner du dernier bijou Prime Video Surcompensation… Ces dernières années, on ne compte plus de nombre de vidéastes humoristiques plébiscités par la toile qui ont créé des séries inspirées par leurs sketchs. Une nouvelle garde de la scénarisation sérielle qui a décidé de passer des petits écrans des smartphones au petit écran de la télévision. Mais ce n’est pas la trajectoire qu’a choisie de prendre Eva Victor

    Eva Victor, un.e cinéaste adoubé.e par Barry Jenkins

    Né·e à Paris quelques années avant de prendre le large pour le soleil de Los Angeles, Eva Victor se fait d’abord connaître pour sa prose. En effet, iel rédige d’abord des articles sur le site d’information féministe Reductress ainsi que pour le média The New Yorker. Iel parvient ensuite à la renommée sur la toile par les saynètes imprégnées d’ironie publiées sur Twitter pendant le confinement en 2020.

    Pas encore cinéaste, l’écrivain·e joue dans des séries (Billions, Super Pumped) et attire l’attention de la réalisatrice Jane Schoenbrun. Cette dernière l’invite notamment à découvrir le tournage de son long-métrage d’horreur, I Saw the TV Glow.

    Mais le regard d’Eva Victor tape également dans l’œil d’un certain Barry Jenkins, réalisateur du sublime Moonlight (2017). Plutôt que de l’exhorter à passer par la série ou par le court métrage, le cinéaste encourage Eva Victor à directement coucher ses idées pour un scénario de long-métrage. Il ira même jusque se porter garant du résultat final, en étant co-producteur du film à travers sa société Pastel (avec A24).

    Quelques années auparavant, c’était le bouleversant Aftersun (2022) de Charlotte Wells qui avait le droit à un pareil honneur. Et tout comme la réalisatrice écossaise, Eva Victor a reçu les lauriers du Festival de Cannes pour son premier long-métrage Sorry, Baby en 2025. Le film avait eu le droit à un accueil tout aussi chaleureux lors de sa première en janvier, au prestigieux festival de cinéma indépendant Sundance.

    Sorry, Baby, un premier film réussi

    En plus de réaliser et scénariser le projet, Eva Victor choisit de camper le rôle principal de Sorry, Baby. Iel se plonge dans la peau d’Agnès, un personnage qui vit au milieu des cîmes enneigées de la Nouvelle-Angleterre. Sa meilleure amie, Lydie (brillante Naomi Ackie, récemment aperçue dans Blink Twice et Mickey 17) lui rend visite, des années après avoir fait les quatre cent coups pendant leur doctorat en lettres. Si c’est d’abord par ces tendres retrouvailles qu’Eva Victor nous emmène dans le récit, le·a cinéaste tisse en filigrane les rémanences du traumatisme tapies en Agnès. 

    Divisée en cinq chapitres, l’intrigue de Sorry, Baby revient aux moyens de flashbacks sur la guérison d’Agnès. De ses débuts en tant que doctorant·e (on croise les couvertures de Baldwin, Woolf et Nabokov) à l’évènement traumatisant qui marque le film, subtilement capturé hors champ par Eva Victor. Le spectateur saisit donc toute la brutalité de ce qui vient de se produire, sans se retrouver face à du trauma porn (la pornographie du traumatisme dans la langue de Molière, une tendance des réalisateurs à forcer son public à contempler les violences les plus graphiques sans que cela ne motive le récit).

    Une narration intelligente portée par Naomi Ackie

    Eva Victor est recroquevillé·e dans une baignoire, dans les bras de sa meilleure amie, lorsqu’iel lui relate les violences qu’iel a subies. Iel évite ainsi l’écueil de faire d’Agnès une victime que l’on suit avec pitié. Dans Sorry, Baby, on ne perd jamais du regard ce personnage, écrit avec des failles et un humour mordant.

    Plutôt que de le·a réduire à ses blessures, la caméra préfère suivre Agnès dans ses splendeurs comme dans ses misères. Elle nous emmène dans ses rencontres fortuites : un chaton, un voisin qui devient plus qu’un voisin incarné par Lucas Hedges (Lady Bird, Manchester by the Sea) ou un cuisinier qui lui offre un sandwich en pleine crise d’angoisse… 

    Si Sorry, Baby est porté par une réalisation et des choix de casting intelligents, c’est avant tout la virtuosité de l’écriture d’Eva Victor qui nous hante à la sortie du film. Un premier long-métrage franchement réussi – qui ne présage que le meilleur pour son avenir au septième art…

    Sorry, Baby (2025) d’Eva Victor, au cinéma le 23 juillet 2025.