Pusher, le film uppercut culte qui a révélé Nicolas Winding Refn, revient au cinéma
Alors que la trilogie Pusher revient au cinéma en version restaurée 4K à partir du 9 juillet 2025, c’est toute une époque que l’on s’apprête à redécouvrir. Les débuts de Nicolas Winding Refn aux côtés de son acteur fétiche Mads Mikkelsen. Le jeune réalisateur danois, prêt à tout pour imposer sa vision, ne cherchait pas à plaire. Il voulait déjà percuter le spectateur, bien avant Drive (2011), Only God Forgives (2013) ou The Neon Demon (2016).
par Alexis Thibault.

Pusher ou la genèse d’un chaos organisé
Il y a des films qui s’imposent sans prévenir. Et Pusher fait partie de ceux-là. En 1996, ce premier long-métrage de Nicolas Winding Refn (Drive, The Neon Demon) débarque sur les écrans tel un uppercut de cinéma cru et viscéral. Une œuvre brutale, inattendue et impossible à ignorer. Près de trente ans plus tard, alors que la trilogie revient dans les salles françaises, en version restaurée 4K, à partir du 9 juillet 2025, Numéro dévoile les coulisses du film qui a propulsé son réalisateur dans la cour des grands…
Le mythe commence avant le premier clap. Enfant des cassettes VHS englouties dans l’arrière-salle d’un vidéoclub new-yorkais, Nicolas Winding Refn, jeune Danois élevé entre Manhattan et Copenhague, grandit dans un environnement où les images font office d’armes. Son père, Anders Refn, est monteur pour Lars von Trier ; sa mère, photographe. Le cinéma devient inévitablement une obsession. En 1999, il rendra d’ailleurs hommage à ses maîtres dans une scène de son second long-métrage, Bleeder. Son acteur fétiche, Mads Mikkelsen, y énumère les patronymes des cinéastes incontournables… derrière le comptoir d’un vidéoclub.
Le réalisateur en herbe a 24 ans lorsqu’il claque la porte de l’école nationale de cinéma du Danemark. L’enseignement y est trop académique à son goût. Pusher reflétera son ambition dévorante malgré un budget de misère.
La trilogie Pusher : une plongée au cœur de la pègre danoise
L’histoire, sera construite avec Jens Dahl, un scénariste croisé à l’école, autour d’un fait divers entendu dans un bar : un dealer qui se fait coincer pour une dette ridicule et finit broyé par le système. Nicolas Winding Refn choisit de tourner caméra à l’épaule, dans les rues de Copenhague, sans autorisation, au plus près des visages et des nerfs. Pusher est entièrement auto-produit, avec de l’argent emprunté et la promesse de ruiner tout le monde si ça ne fonctionne pas.
Anecdote révélatrice de l’urgence du projet ? À quelques jours du tournage, Nicolas Winding Refn décide de virer son acteur principal. Il jette alors son dévolu sur Kim Bodnia, comédien au regard de fauve qui avait été envisagé initialement pour un second rôle. Pour incarner Frank, le petit dealer à la dérive, Refn veut quelqu’un d’instinctif, d’animal, d’incontrôlable. La chimie entre le réalisateur et son acteur devient explosive, et donnera au film une tension presque documentaire.
À sa sortie (en 1996), Pusher est reçu comme un pavé lancé dans la vitrine du cinéma danois. Le public local est dérouté par cette incursion dans un monde crasseux, violent, sans morale ni rédemption. Quant au style brut, inspiré par les frères Dardenne et le Mean Streets de Martin Scorsese, il tranche avec les productions nationales de l’époque. Mais la presse spécialisée, notamment en France et au Royaume-Uni, flaire le talent.

Les débuts d’une grande carrière au cinéma
Le film est projeté au Festival de Cannes en sélection parallèle, et c’est là que le nom de Refn commence à circuler. Certains y voient un Tarantino scandinave, comparaison réductrice, mais révélatrice. Pusher partage avec Reservoir Dogs (1992) un goût du dialogue qui claque, une structure narrative fragmentée, et une fascination pour les losers magnifiques. Mais là où Tarantino injecte du cool, Refn insuffle du chaos.
Peu à peu, le film devient culte. Il circule sous le manteau, se propage comme un virus parmi les amateurs de cinéma de genre. Et surtout, il ouvre la voie à une trilogie qui va consacrer son univers : Pusher 2 (2004) et Pusher 3 (2005), respectivement centrés sur Tonny (interprété par Mads Mikkelsen, encore quasi inconnu à l’époque) et Milo (le parrain serbe de la nuit danoise). Chaque opus approfondit le portrait d’une ville gangrenée par la violence, où les personnages tentent de survivre dans une spirale d’autodestruction…
Revoir Pusher aujourd’hui, en version restaurée 4K revient donc à mesurer à quel point ce film a bouleversé les codes du polar européen. Bien avant la série Gomorra ou le cinéma néo-noir d’Un Prophète de Jacques Audiard. Nicolas Winding Refn avait capté quelque chose de brutalement contemporain : la disparition de la morale dans le monde du crime, le règne de l’absurde, la déshumanisation des petites mains du trafic.
Un portrait magnifique de l’échec
Le héros de Pusher n’a rien du gangster romantique. Il n’est ni loyal, ni malin, ni courageux. Il est lâche et paranoïaque. C’est justement cette médiocrité tragique qui donnera sa force au long-métrage. C’est un monde dans lequel personne ne sauve personne. Caméra à l’épaule, on filme l’urgence en lumière naturelle grâce à des plans serrés sur des visages marqués. Refn impose une esthétique sèche et tendue, loin du glamour hollywoodien. Et pourtant, dans cette rugosité surgit une forme de poésie noire. Un coup d’œil échangé dans une voiture, un rire nerveux dans un snack, une main tremblante sur un téléphone public…
On devine parfois dans Pusher le goût du cinéaste pour les personnages taiseux, les cadrages géométriques et les explosions de violence stylisée. Mais ses films suivants apparaîtront comme des objets formels, presque cliniques, là où son premier reste sale, nerveux et toujours aussi clivant. C’est aussi une œuvre profondément danoise, ancrée dans une réalité sociale que l’on voit peu sur les écrans : les marges de Copenhague, les banlieues métissées, la précarité maquillée sous les néons…
La bande originale, quant à elle, achèvera de sceller l’identité du film. On y retrouve des morceaux électroniques bruts, qui collent à l’énergie destructrice de Frank et de ses complices. Cette attention au son, Nicolas Winding Refn la perfectionnera évidemment plus tard avec Drive ou Only God Forgives, deux films portés par l’acteur Ryan Gosling. Le silence, le sang et les coups de feu.
La trilogie Pusher (depuis 1996) de Nicolas Winding Refn en version 4K restaurée, au cinéma le 9 juillet 2025.