Nouvelle Vague : le film-hommage à Godard sera-t-il au palmarès du festival de Cannes ?
Réjouissante comédie sur le tournage d’A bout de Souffle et réflexion ambiguë sur l’art du cinéma, le film Nouvelle Vague du réalisateur de Before Sunrise se pose parmi les favoris pour la Palme d’or au Festival de Cannes 2025.
par Olivier Joyard.

Une salle hilare et émue devant un film en noir et blanc en compétition ? Au Festival de Cannes, ça n’arrive pas tous les jours. Le vétéran américain Richard Linklater, une vingtaine de réalisations au compteur (dont la trilogie débutée avec Before Sunrise, le superbe Boyhood ou plus récemment le très réussi Hitman) l’a fait avec son film Nouvelle Vague. Ce dernier raconte comme une cavalcade le tournage du chef-d’œuvre de Jean-Luc Godard, A bout de souffle.
Nouvelle Vague, un film en hommage à Godard
Ce film emblématique sort en 1959 à l’heure du cinéma-révolution, dans les pas d’une revue, les Cahiers du cinéma, qui regroupe alors à Paris la fine fleur de la critique et des réalisateurs en devenir. Parmi eux, François Truffaut, Claude Chabrol, Éric Rohmer, Jacques Rivette. Mais aussi un certain Jean-Luc Godard, l’homme aux lunettes noires et à l’accent suisse trainant. Celui qui ne cédera jamais sur son désir de faire cinéma arraché à la fois à l’histoire des formes et à la vie de celles et ceux qui le fabriquent.
Godard est mort en 2022, à l’âge de 91 ans. On le retrouve ici bien vivant. Il n’a pas encore trente ans et se déplace comme un cliché ambulant. Mais un cliché génial, débitant des citations de grands cinéastes et d’auteurs chéris, marchant sur les mains, refusant de travailler dans les règles de l’art.
Richard Linklater le regarde avec admiration et une forme de distance amusée. Et ce, tandis que Godard convainc à la fois un producteur (Georges de Beauregard), des comédiens (Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg) mais aussi un chef opérateur passé par l’armée (Raoul Coutard), d’embarquer avec lui pour un tournage sans scénario écrit à l’avance, ni lumière artificielle, ni maquillage, ni horaires fixes. Les prises s‘enchainent… ou pas. Si l’inspiration n’est pas là, tout le monde restera au café.

Le cinéma mis en abyme à Cannes
En faisant défiler les grands noms du cinéma bouillonnant de l’époque – de Suzanne Schiffman à Robert Bresson, en passant par Roberto Rossellini et Jean-Pierre Melville -, Richard Linklater malaxe une matière fétichiste. Mais il saisit également une époque où naissait ce qu’on a appelé le “cinéma moderne”. Pour les cinéphiles, cela équivaut à boire du petit lait. C’est aussi très pédagogique, tant le film détaille une anti-méthode.
C’est la part la plus réjouissante du film Nouvelle Vague qui dégomme toute velléité nostalgique pour rappeler ici et maintenant qu’une certaine manière de faire du cinéma a existé. Contrairement au ton plus parodique de Michel Hazanavicius, qui dressait le portrait du Godard de la fin des années 1960 dans Le Redoutable (présenté à Cannes en 2017), Linklater montre le travail concret d’un tournage.
Celui-ci consiste à régler des problèmes immédiats avec la réalité, qui s’obstine à ne rien rendre facile, mais aussi avec les émotions envahissantes. Celles que Godard voulait toujours laisser entrer dans le processus de l’art, même si elles provoquent une forme de chaos.

Richard Linklater dépasse-t-il le maître ?
Au-delà de cette surface brillante et très plaisante, il existe un film peut-être plus secret et plus ambigu. Il s’enclenche quand le personnage de Jean-Luc Godard (joué par l’excellent Guillaume Marbeck) cite T.S. Eliot : “Les poètes immatures imitent, les poètes murs volent”. Godard, lui, revendiquait le vol. De Nicholas Ray à Bogart, jusqu’à Bergman, il s’est inspiré partout pour ce film. Il a même construit son cinéma pendant plusieurs décennies en prise directe avec d’autres images, d’autres formes.
Qu’essaie vraiment de faire Richard Linklater, pour dépasser l’exercice de re-création ? Si son film est tourné en noir et blanc, il n’utilise pas la manière de filmer branlante instaurée par Godard sur A bout de souffle, ni les sauts d’images, les fameux « jump-cuts », inventés au montage par la suite. Le réalisateur américain ne se voit donc pas du côté de ceux qui copient.
Appartient-il lui aussi aux voleurs, aux bandits de grand chemin du cinéma ? Linklater vole à Godard non seulement l’histoire de son tournage, ses mimiques, sa légende, mais aussi le titre de l’un de ses films. Nouvelle Vague de Jean-Luc Godard, avec Alain Delon est sorti en 1990. Ce qu’il désire profondément, c’est peut-être lui voler son âme, celle de l’un des grands créateurs du vingtième siècle. Ou alors capturer quelque chose de son génie pour le restituer à un monde qui ne le voit plus.
Que faut-il penser du film ?
L’ambition est noble, cohérente, y compris au regard de la leçon proférée par Godard lui-même. Mais le film n’est pas assez fou pour vraiment y parvenir. On y voit plutôt la démonstration en actes que le cinéma n’a plus trouvé la clef pour rester l’art révolutionnaire qu’il a été. Richard Linklater a l’élégance de ne pas en faire tout un plat, c’est son talent et sa limite.
Nouvelle Vague de Richard Linklater. En compétition au Festival de Cannes 2025. Sortie le 8 octobre.