9 déc 2024

Rencontre avec Noémie Merlant : “Avec des films qui parlent de sexe, il y a quasiment tout à faire”

En 2019, son très beau rôle de femme libre dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma imposait la jeune Noémie Merlant parmi les talents à suivre du cinéma français. C’est dans un nouveau rôle de femme sensuelle et émancipée des conventions qu’on la retrouve en 2024 sur grand écran dans Emmanuelle, remake du film culte des années 70, où elle incarne l’héroïne, personnage troublant à la recherche de son désir. Talentueuse interprète, elle passe également cette année derrière la caméra et dévoiler ce mercredi 11 décembre 2024 son premier long-métrage, Les Femmes au balcon, porteur d’un même regard engagé pour dénoncer l’oppression du patriarcat.

propos recueillis par Olivier Joyard.

photographies par P.A Hüe de Fontenay.

Noémie Merlant en robe brodée asymétrique en matière technique, brassière et legging en maille, gant et chaussures, Louis Vuitton © P.A Hüe de Fontenay.
Noémie Merlant en robe brodée asymétrique en matière technique, brassière et legging en maille, gant et chaussures, Louis Vuitton © P.A Hüe de Fontenay.


Révélée en 2019 par le superbe Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, césarisée en 2023 pour son rôle dans L’Innocent, la comédie de Louis Garrel, Noémie Merlant crève aujourd’hui l’écran dans Emmanuelle, passionnant remake par Audrey Diwan du film érotique culte des seventies. Rencontre avec celle qui vient aussi de réaliser son premier long-métrage, Les Femmes au balcon, qui sort au cinéma le 11 décembre 2024.

L’interview de l’actrice et réalisatrice Noémie Merlant

Numéro : Comment le jeu d’actrice est-il arrivé dans votre vie ?

Noémie Merlant : J’ai un rapport à la création depuis que je suis petite, grâce à ma famille. Très tôt, je créais des petits spectacles et des projets d’arts plastiques. Mes parents étaient agents immobiliers, mais pratiquaient en autodidactes la musique pour mon père, la peinture pour ma mère. Je vivais à Rezé, à côté de Nantes. Je suis arrivée à Paris à l’âge de 17 ans, pour travailler comme mannequin. Mon père ne voulait pas que je fasse des études. [Rires.] Il estimait que cela ne servait à rien. Lui, il s’était fait tout seul. Un jour, il a vu passer un article sur le Cours Florent et m’a conseillé de me lancer. Quand j’ai mis les pieds là-bas, je me suis sentie au bon endroit.

Noémie Merlant en robe longue en matière technique, ceinture et chassures, Louis Vuitton © P.A Hüe de Fontenay.
Noémie Merlant en robe longue en matière technique, ceinture et chassures, Louis Vuitton © P.A Hüe de Fontenay.

Avec des films qui parlent de la quête du désir, de sexe, de notre rapport à la nudité, il y a quasiment tout à faire, ou à refaire !

Noémie Merlant

Dans Emmanuelle, votre personnage, en mission pour contrôler la qualité d’un grand hôtel de Hong Kong, se trouve en difficulté avec son plaisir sexuel…

Le film est un voyage à travers le regard et le corps d’Emmanuelle, pour aller chercher son plaisir. Je connais des femmes qui n’ont jamais joui, d’autres qui ne savent jouir que seules. Moi, d’ailleurs, c’est souvent le cas. Faire plaisir à l’homme a longtemps été ancré en nous, même si cela commence à changer. C’est pourquoi le film me parle : comment cette jeune femme arrive-t-elle à exprimer son désir ? D’abord, Emmanuelle est très figée, dans ses mouvements et à travers ses vêtements, sa coiffure. Petit à petit, les poses sont plus détendues. Elle n’est plus celle qui vérifie et contrôle de façon robotique. Elle découvre, elle est curieuse.

L’érotisme d’Emmanuelle passe du froid au chaud, de façon douce. Comment avez-vous travaillé avec la réalisatrice Audrey Diwan ?

Quand on tourne un film avec de l’érotisme, c’est comme une relation amoureuse, il faut du dialogue et un sens des limites de la part de chacun. Dans une scène, Emmanuelle se prend en photo pendant qu’elle se masturbe. On avait un peu répété, mais j’ai pu improviser, pour ressentir par moi-même. Je rassurais Audrey, qui avait peur de me voler quelque chose. Dans le film, je me sentais comme une artiste. Je n’étais pas une comédienne qui fait ce qu’on lui dit. La caméra me suivait et, dans ce cocon, je pouvais aller loin. J’avais été initiée à la réflexion sur le plaisir féminin à l’écran par Céline Sciamma. Avec des films qui parlent de la quête du désir, de sexe, de notre rapport à la nudité, il y a quasiment tout à faire, ou à refaire !

Noémie Merlant en cardigan sans manches en maille, haut en coton, jupe en matière technique et chaussures Louis Vuitton © P.A Hüe de Fontenay.
Noémie Merlant en cardigan sans manches en maille, haut en coton, jupe en matière technique et chaussures Louis Vuitton © P.A Hüe de Fontenay.

Me poser des questions sur les relations humaines, le rapport au temps, à la mort, à la féminité est venu à travers des rencontres.

Noémie Merlant

Portrait de la Jeune fille en feu hier, Emmanuelle aujourd’hui… votre carrière dessine des portraits d’héroïnes habitées par les enjeux contemporains de l’émancipation féminine.

Depuis quelques années, j’ai la chance de pouvoir choisir mes rôles. Alors je me dirige vers des personnages féminins en quête de leur désir et de liberté.

Cela vient-il de votre éducation ?

Quand j’étais plus jeune, je n’étais pas spécialement cultivée ni politisée. Me poser des questions sur les relations humaines, le rapport au temps, à la mort, à la féminité est venu à travers des rencontres. Céline Sciamma m’a aidée à percevoir les enjeux différemment, d’autant que le mouvement MeToo est arrivé à peu près au même moment que son film Portrait de la jeune fille en feu. J’ai commencé à regarder des documentaires, j’ai découvert Delphine Seyrig, Simone de Beauvoir…

Noémie Merlant en redingote en cachemire, robe longue en velours et chaussures, Louis Vuitton © P.A Hüe de Fontenay.
Noémie Merlant en redingote en cachemire, robe longue en velours et chaussures, Louis Vuitton © P.A Hüe de Fontenay.

Mon film a été tourné dans un but libérateur et cathartique, pour parler de sujets sérieux

Noémie Merlant

Votre premier long-métrage, Les Femmes au balcon, une comédie horrifique, est nourri de cette prise de conscience ?

Les Femmes au balcon raconte la sensation de ne plus voir que ce qui ne va pas. Et beaucoup de choses ne vont pas dans cette société patriarcale. Je passe par le surréalisme. Une fille écrit un livre et se réveille dans un monde utopique et dystopique, où il n’y a que des figures masculines oppressives. Elle entre en action. J’évoque des choses graves, comme les agressions, mais avec humour. Quand j’ai commencé à prendre conscience de ces problèmes, je me suis rendu compte à quel point ils étaient quotidiens. Parfois, entre copines, on se dit: “Ils se sont tous passé le mot aujourd’hui.” J’aime faire réfléchir tout en rassemblant, en créant un dialogue. Mon film a été tourné dans un but libérateur et cathartique, pour parler de sujets sérieux.

Emmanuelle (2024) d’Audrey Diwan, avec Noémie Merlant et Naomi Watts, actuellement au cinéma. Les Femmes au balcon (2024) de Noémie Merlant, au cinéma le 11 décembre 2024.