6 jan 2023

Les confessions de Ramzy Bedia : “Je ne dis pas ce que je pense, j’agis souvent par pure provocation”

Dans Youssef Salem a du succès, nouveau film de Baya Kasmi en salle le 18 janvier, Ramzy Bedia incarne un écrivain raté qui s’inspire en secret de sa famille pour son nouveau roman. En lice pour le prix Goncourt, le romancier doit alors affronter son clan qui se retourne contre lui. Numéro a rencontré l’ancien acolyte d’Éric Judor, qui évoque son amour pour James Brown, ses déconvenues en boîte de nuit et ses selfies avec les forces de l’ordre…

Propos recueillis par Alexis Thibault.

Ramzy Bedia a déjà 50 ans. Et il n’a pas vu le temps passer. Autrefois brancardier stupide de la série H sur Canal+ (1998), le père de famille se qualifie désormais de “vieux briscard qui aime jouer des rôles de voyou à la gueule défoncée”. Entre-temps, l’acolyte d’Éric Judor a expérimenté la fiction absurde pour Quentin Dupieux, la comédie potache ou le thriller noir hors piste avec Terminal Sud (2019). Membre d’à peu près toutes les bandes de potes du cinéma français, Ramzy Bedia, en digne héritier de Jerry Seinfeld, ne trouve le repos que dans les éclats de rire : “Je veux toujours faire marrer les gens, glisse-t-il sourire aux lèvres. Dans la rue, des types me croisent, éclatent de rire, puis disparaissent sans un mot. C’est con mais ça me remplit de joie.” Dans Youssef Salem a du succès, nouveau film de Baya Kasmi, en salle le 18 janvier, il incarne un écrivain raté qui s’inspire en secret de sa famille pour son nouveau roman. Lorsque son ouvrage accède à la reconnaissance, ses proches se retournent immédiatement contre lui. Mais l’acteur ne produit pas l’effet comique. La cinéaste – César du meilleur scénario en 2011 pour Le Nom des gens – l’invite au contraire à adresser des passes décisives à ses partenaires de jeu dont Noémie Lvosky et sa propre sœur Melha Bedia. Rencontre.

 

Numéro: Bien le bonjour.

Ramzy Bedia : Ah ! Numéro ! Le magazine des beaux gosses ! Je vais enfin pouvoir frimer auprès de mes potes.

 

La consécration ?

N’exagérez pas non plus. [Rires] Mais à chaque fois que je passe devant une affiche dans la rue je me dis que ce magazine n’est pas pour moi.

 

Je suis le dernier journaliste que vous devez vous farcir aujourd’hui. Vous reste-t-il un peu de courage pour répondre à mes questions ?

Il m’en reste. Enchaîner les interviews est plutôt une bonne nouvelle, cela signifie que le film plaît beaucoup. D’ordinaire, je n’apprécie pas vraiment ça. Non seulement c’est fatigant, mais en plus on me pose toujours les mêmes questions : “Pouvez-vous me pitcher le film ?” Celle-là, c’est l’une des pires et elle arrive une fois sur deux. Il y a aussi : “Racontez-moi une anecdote de tournage.” En général j’invente quelque chose de toutes pièces pour faire plaisir. [Rires.]

 

“Youssef Salem a du succès” ©2022 DOMINO FILMS-FRANCE 2 CINEMA

Quel trait de caractère votre entourage vous reproche-t-il le plus ?

De n’en avoir rien à foutre… En famille, j’agis souvent par pure provocation en adoptant la position du type qui s’oppose à tout, qui a toujours des avis contraires. Je ne dis pas ce que je pense, je veux juste alimenter les polémiques pour mettre le bordel. Ça me fait marrer ! [Rires.] Très vite les : “Oh, mais toi tu ouvres toujours ta gueule de toute façon”, commencent à fuser. Je n’ai jamais vraiment réussi à me concentrer sur les choses sérieuses. Les dîners avec des producteurs autour d’une table ronde me gonflent profondément.

 

Dans Youssef Salem a du succès, vous incarnez un écrivain en lice pour le prix Goncourt. Quelle est votre scène favorite du film ?

La scène qui se déroule dans la cuisine de mes parents, lorsque mes frères et sœurs me confrontent après avoir découvert qu’ils avaient inspiré mon roman… D’abord parce qu’elle est drôle, mais surtout parce que c’est un copié-collé de ma propre vie : lorsque ma sœur me frappe et m’engueule, elle joue comme si nous étions vraiment à la maison. [Rires.] Le père de Youssef Salem me rappelle le mien. Lorsque nous étions enfants, il était très à cheval sur notre éducation, à tel point qu’il a continué de travailler après sa retraite pour me payer l’école. Mon père voulait à tout prix que je réussisse, il n’était pas question de médiocrité ni que je me mette à vendre du shit en bas des tours. Aujourd’hui, j’ai 50 ans, mais à l’époque le mot “intégration” était l’un des plus importants.

 

Vous avez débuté le cinéma à la fin des années 90. De quel rôle êtes-vous le plus fier ?

Je suis fier de tout ce que j’ai fait, mais sur mon lit de mort je me souviendrai surtout de mes films avec Éric Judor. Notre séparation a été le moment le plus difficile de ma carrière. J’ai été marié vingt ans avec ce mec et, du jour au lendemain, c’était fini. Je n’avais plus aucun automatisme, je devais réfléchir tout seul et je ne riais plus autant. En duo, on ne voyait pas passer les journées de promotion ! Nous étions des amis, des frères, mais notre relation professionnelle devait s’arrêter. C’était pour le mieux. Mais ne vous inquiétez pas, cela ne nous empêche pas de partir en vacances ensemble.

“Youssef Salem a du succès” ©2022 DOMINO FILMS-FRANCE 2 CINEMA

Quelle obsession a façonné votre vie ?

Ma réponse va vous sembler niaise, mais je suis obsédé par la gentillesse. J’aime rencontrer des bons garçons, et je sais les reconnaître. Les gens bien me bouleversent.

 

La gentillesse vous obsède-t-elle parce que vous n’avez pas toujours été quelqu’un de bien ?

Peut-être… Lorsque j’ai accédé à la notoriété, je suis un peu parti en sucette. Lorsque vous passez de “zéro franc” à “beaucoup de francs”, vous vrillez et dépensez votre argent n’importe comment. J’étais accueilli à bras ouverts dans les boîtes de nuit alors que quelques mois plus tôt, j’étais le seul qu’on dégageait à l’entrée. La célébrité change votre vie. Je débarquais où je voulais avec dix têtes cassées sans aucune fille et on nous laissait entrer. Et puis un policier qui vous demande un selfie, c’est quand même improbable. En général, quand je croisais des flics, je finissais plutôt en garde à vue… Attention, je ne dis pas du tout que tous les policiers sont des connards. S’il arrivait quelque chose à mes enfants, c’est eux que j’appellerais en premier.

 

Le film vous propulse sur un plateau de télévision face à un  journaliste qui évoque le nombre démentiels de coquilles dans votre ouvrage et insinue que “vous n’êtes pas allé assez longtemps à l’école”. En 2008, Éric Zemmour insinuait quelque chose de similaire sur le plateau de Thierry Ardisson. Cette scène est-elle une référence à votre accrochage avec l’essayiste ?

Je m’en souviens très bien. Zemmour avait dit que “je ne lisais pas assez de livres”. Maintenant que vous me le dites, c’est effectivement la même scène, mais la référence n’est pas volontaire. Je crois même que Baya Kasmi, la réalisatrice, n’a jamais vu cet extrait de l’émission d’Ardisson. Une situation qui reste malheureusement dans l’ère du temps. La notion de “film universel” est parfois utilisée comme alibi pour que le cinéma d’auteur puisse rassurer et attirer de nouveaux spectateurs. Youssef Salem a du succès s’éloigne de toute polémique et évoque simplement une famille qui s’aime. Le film aurait pu sortir il y a quinze ans, il aurait été d’actualité.

 

Si vous organisiez un dîner avec vos idoles, qui souhaiteriez-vous convier à votre table ?

J’inviterais l’acteur James Gandolfini [le personnage principal de la série Les Sopranos], James Brown, parce que c’est la classe incarnée et qu’il arrive à me rendre beau quand je danse sur ses morceaux, et l’écrivain Charles Bukowski, qui me ferait fermer ma gueule un repas entier. Mais, entre nous, je donnerais n’importe quoi pour un dîner avec ma maman. Même un mauvais sandwich sur un banc, ça m’irait très bien.

 

Youssef Salem a du succès de Baya Kasmi avec Ramzy Bedia, le 18 janvier au cinéma.