Le vampire : démon effrayant ou sangsue attachante ?
Plus d’un siècle après le film originel de F.W Murnau, le remake de Nosferatu orchestré par Robert Eggers arrive en salles ce 25 décembre 2024. Avec une Lily-Rose Depp au sommet de son art et un Bill Skarsgård dans la peau d’une bête aux crocs acérés, le long-métrage s’inscrit dans une longue tradition de représentation du vampire au grand écran. À l’occasion de la sortie du film, Numéro braque ses projecteurs sur les multiples facettes de ce monstre : tantôt meurtrier, tantôt amant et véritable star de cinéma.
par Anna Prudhomme.
En 2019, la Cinémathèque française levait le voile sur une exposition d’envergure intitulée “Vampires, de Dracula à Buffy”. Dédiée aux créatures assoiffées de sang, l’institution retraçait l’histoire des vampires à travers l’histoire du cinéma. En effet, la figure du vampire a débarqué à l’écran bien avant l’ère du cinéma couleur, créature mystérieuse et terrifiante, le monstre a envahi par la suite d’autres sphères de représentation.
Une créature de cauchemar assoiffée de sang
Du Dracula de Bram Stoker – réédité en 2019 à la Pléiade – au Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau réalisé en 1922 qui fait l’objet d’un remake en 2024, le vampire s’est imposé dans l’histoire comme un monstre qui provoque terreur et effroi. Il incarne la peur de la société pour l’étranger, et demeure symptomatique des croyances obscurantistes d’un Moyen-Âge frappé d’épidémies sordides.
Le vampire naît dans les romans gothiques de la fin du XVIIIe siècle avec le mythe de Dracula, mythe qui retrace l’histoire d’un comte hématophage massacrant des tonnes d’innocents dans son château de Transylvanie. Mi-homme, mi-mort, le vampire n’a ni reflet ni âme, se transforme en animal et hypnotise ses victimes. En véritable Antéchrist, la créature aux dents tranchantes est immortelle sauf empalement ou décapitation. Elle symbolise le tiraillement entre superstition et progrès scientifique.
Un symbole érotique
Mais rapidement cette conception monstrueuse du “vampire épouvante” se transforme : il est sexualisé et devient un objet de fantasme. Dès 1910, Theda Bara, sex-symbol du cinéma muet est qualifié de “Vamp”, un diminutif de vampire qui enracine l’érotisme de ce personnage de fiction dans la pensée commune. Béla Lugosi, acteur brun ténébreux au teint fardé incarne quant à lui le vampire de studio par excellence. Du Dracula de Tod Browning en 1931 au Plan 9 from Outer Space, épopée kitsch d’Ed Wood sortie en 1959, l’acteur hongrois ne cessera d’incarner un suceur de sang… véritablement humain.
Gagnées par la révolution sexuelle, les sociétés occidentales se libèrent peu à peu et avec elles, le vampire devient une figure à la libido excessive. Ainsi, Christopher Lee incarne un comte phallocrate au sex-appeal magnétique (et assassin) dans les versions de Dracula produites par la société anglaise Hammer. Ces œuvres sexistes et lubriques réduisent souvent les femmes à des corps nus voire à de petits déjeuners. Mais les années hippies sonnent le glas de la transgression, et les réalisateurs imaginent alors des vampires de plus en plus libertaires.
Dans Vampyros Lesbos (1973), du réalisateur espagnol Jesús Franco, la figure du vampire est une comtesse lesbienne turque le jour et stripteaseuse la nuit. Pour le Français Charles Matton, dans son long-métrage Spermula (1976), les vampires deviennent une horde de femmes : elles débarquent sur Terre pour libérer les hommes trop rigides dans leur désir sexuel. Dans les années 80 frappe l’épidémie du sida, le vampire associé depuis toujours à l’hémoglobine est alors instrumentalisé par les campagnes sanitaires de prévention, plus tard, sur d’autres affiches, il devient le confident et le conseiller des jeunes en matière de sexualité.
Le vampire, un phénomène de culture pop
Les vampires inondent toutes les sphères : les séries à succès, les déguisements d’Halloween, la politique (sous forme de caricatures) ou l’art contemporain avec Basquiat, Wes Lang et Niki de Saint Phalle. Dans le best-seller d’Anne Rice, Entretien avec un vampire (1976), le monstre se dévoile encore davantage et s’exprime à la première personne. Il force l’empathie du lecteur et marque un tournant pour la figure du suceur de sang.
Le vampire en sort sensiblement grandi, un humain qui a, lui aussi, des soucis. Il incarne un membre d’une minorité en pleine crise identitaire qui cherche à s’intégrer dans True Blood (2008-2014) et Being Human (2011-2014), un ado éternel qui n’assume pas vraiment sa famille dans la saga Twilight et un hôtelier débordé dans le film d’animation Hôtel Transylvanie (2012.
Désormais adulé par des adolescents qui s’identifient à cette nouvelle génération de vampires sentimentaux, le monstre devient une icône de la pop culture qu’on voit apparaitre dans les bandes dessinées, les mangas, les jeux vidéo et même les publicités. Au cinéma aujourd’hui, on le retrouve dans les films de genre à gros budget comme dans les longs-métrages d’auteur iranien. De Jim Jarmusch à Julie Delpy en passant par Tim Burton et Olivier Assayas : le vampire reste surnaturel, mais à l’époque moderne… il est cool.
Nosferatu (2024) de Robert Eggers, avec Bill Skarsgård et Lily-Rose Depp, au cinéma le 25 décembre 2024.