Le Livre des solutions : Michel Gondry révèle les secrets de son film avec Pierre Niney
Quelquelques mois après sa diffusion au cinéma, le film de Michel Gondry Le Livre des solutions avec Pierre Niney et Blanche Gardin, est diffusé ce mardi 19 mars 2024 sur Canal+. Le long-métrage s’inspire d’un véritable cahier que le réalisateur français commence à remplir vers 2003, peu avant le tournage d’Eternal Sunshine of the spotless mind, et dans lequel il griffonne les potentielles solutions aux problèmes qu’il rencontre. Le cinéaste braque sa caméra sur Marc, – son alter ego – qui s’enfuit avec toute son équipe de tournage pour échapper à ses producteurs. Sans jamais verser dans le drame, l’autoportrait évoque les troubles bipolaires rencontrés par Michel Gondry.
propos recueillis par Alexis Thibault.
Le Livre des solutions, le dernier film de Michel Gondry avec Pierre Niney et Blanche Gardin
Le Livre des solutions, diffusé ce mardi 19 mars 2024 sur Canal+, est sans doute le film le plus personnel de Michel Gondry. Il s’agit d’une fable inspirée d’un véritable cahier que le sexagénaire commence à remplir vers 2003, et dans lequel il griffonne les potentielles issues aux problèmes qu’il rencontre.
Le cinéaste a choisi Pierre Niney pour incarner Marc – son alter ego – qui s’enfuit avec toute son équipe de tournage (dont sa monteuse campée par Blanche Gardin) dans un petit village des Cévennes afin d’achever son film, chez sa tante Denise. Sans jamais verser dans le drame, l’autoportrait évoque notamment les troubles bipolaires rencontrés par Michel Gondry.
Un peu distrait, comme perdu dans ses pensées, mais très précis dans ses réponses, le réalisateur Michel Gondy défendait il y a quelques mois son film. Il venait tout juste de s’endormir, avant qu’on le rencontre. Là, recroquevillé sur le canapé d’une chambre d’hôtel, en pleine journée promotionnelle. Les interviews ont évidemment pris un peu de retard, pourtant, aucun journaliste ne se plaint. Au contraire, la situation est plutôt amusante. Tout est pardonné. Peut-être parce qu’on ne retient toujours que le meilleur de sa filmographie – Eternal Sunshine of the spotless mind en 2004 ou La Science des rêves en 2006.
Peut-être parce qu’il tourne des clips pour la fine fleur de l’industrie musicale depuis la fin des années 80 sans jamais avoir eu besoin d’enchaîner autant d’interviews pour les défendre (Etienne Daho, Lenny Kravitz, Björk, Neneh Cherry, Daft Punk, Radiohead, Kanye West). Peut-être parce qu’il a, dans son attitude, quelque chose de Willy Wonka, le chocolatier fantasque de Roald Dahl…
L’interview de Michel Gondry
Numéro : Je suis vraiment navré qu’on vous réveille à cause de moi…
Michel Gondry: Ah ! Vous êtes au courant ? Les micro-siestes sont parfois une merveille… Allons-y, je vous écoute !
Lorsque vous étiez petit, qu’aperceviez-vous depuis la fenêtre de votre chambre ?
Il y avait un lampadaire, une haie avec des feuillages et un petit boulevard, très calme, car j’habitais à Versailles. Je rêve très souvent que je retourne dans cette maison pour y habiter avec toute ma famille. J’y ai vécu jusqu’à mes 18 ans donc j’en garde forcément des souvenirs et des moments chaleureux. C’est comme cela que l’on forge un peu sa personnalité non ?
Faut-il être nostalgique d’une certaine époque pour réaliser de bons films ?
Non, pas spécialement, non. Moi, c’est vrai que je le suis un peu, mais ce n’est pas forcément une qualité. Et puis non, à tout bien réfléchir, il n’y a pas besoin d’être nostalgique pour ça.
“Tendre”, “enfantin”, “rêveur”… N’en avez-vous pas un peu marre que les journalistes accolent toujours les même termes vides de sens à vos œuvres ?
Je préfère ne pas trop y penser… Mais il y en a un qui m’embête vraiment, c’est “bricolage”. Ça donne l’idée que je ne travaille pas en détail, que c’est vite fait bien fait et je pense que ce n’est pas le cas. Tout ça parce que j’ai tourné La Science des rêves, un film avec beaucoup de carton, et que je fais parfois des choses un peu manuelles et pas spécialement figurées.
Certaines critiques vous blessent-elles encore malgré votre expérience ?
Oui, un peu, surtout lorsqu’il s’agit d’attaques personnelles. Parfois, on sent dès le départ que le journaliste ne m’aime, qu’il avait déjà jugé le film avant de l’avoir vu, et qu’il prendrait presque du plaisir à me descendre…
“Je tiens à préciser que ce qu’il y a dans Le Livre des solutions n’est pas vrai à 100%. Certains journalistes n’ont rien compris au film…”
Votre nouveau long-métrage, Le livre des solutions, s’inspire en partie de vos propres souvenirs. Est-ce difficile de tourner un film qui prend votre mémoire pour scénario ?
Non, au contraire, ça facilite les choses parce qu’on sait exactement comment ça s’est déroulé et quelles en étaient les raisons. On se souvient du contexte de chaque moment. C’est vrai que parfois, ça paraît un petit peu fin, un peu maigre par rapport à la substance du souvenir, mais cela reste plus facile que d’imaginer une autre réalité. En revanche, je n’essaie pas d’imiter les personnes qui ont existé. Dans Le Livre des solutions, il y a une actrice, Françoise Lebrun, qui joue le rôle de ma tante. Et bien je n’ai pas du tout cherché à représenter ma véritable tante. Ça s’est super bien passé justement parce que, grâce à son jeu et à ses sentiments, elle a vraiment retrouvé l’esprit de ma tante sans avoir besoin de regarder des images ou de l’entendre parler. Un copier-coller de la réalité, ce n’est pas franchement intéressant.
Le film questionne notamment le rapport d’un artiste à ses propres échecs. Comment avez-vous appris à les accepter ?
Il faut toujours aller au bout de ses projets, même s’ils conduisent à un échec. Parce qu’il n’y a que comme ça qu’on peut apprendre et évoluer. Et à la limite, les échecs nous enseignent davantage que les réussites. Vous allez me dire qu’on préfère évidemment réussir, mais au contraire, il faut utiliser l’échec comme une motivation plutôt que comme un frein.
Le personnage de Marc, incarné par Pierre Niney, est très anxieux et souvent apeuré. Quelles peurs précises vous ont empoisonné la vie ?
La peur de mourir.
Ah… Je ne m’attendais pas à un exemple aussi imparable.
À force de tourner des clips de musique, j’ai quand même acquis une certaine confiance. En général, je retombe toujours sur mes pieds. Alors que c’est toujours avec la peur qu’on tourne un film. On a l’impression que c’est une catastrophe en permanence.
Le personnage de Pierre Niney, directement inspiré de vous, est très attachant malgré ses défauts… car il est drôle. Fallait-il impérativement proposer un personnage humoristique pour contrôler le propos du film ?
Il ne fallait pas qu’il soit drôle. En tout cas, ce n’est pas quelque chose que j’ai pensé vraiment à l’avance. En revanche, quand j’ai écrit le film, j’ai essayé de trouver ce qui était vraiment absurde, et donc drôle, dans toutes ces acrobaties que j’ai pu réellement faire. Mais tourner une comédie n’a jamais été mon but premier. Cela dit, avec le recul, je crois quand même que cela aurait été très lourd d’en faire quelque chose de dramatique… C’est mon fils qui m’a poussé à écrire sur ce sujet. Plus on en parlait tous les deux, plus nous nous rendions compte à quel point certaines scènes de ma vie étaient ridicules… et donc très drôles.
L’une des scènes phares montre Marc composer la bande originale de son film en temps réel avec des musiciens qui suivent alors les mouvements de son corps. Comment vous est venue cette idée improbable ?
C’est tout simplement la réalité. Je l’avais fait deux ou trois fois auparavant pour pour illustrer les films que je tournais et leur donner une certaine texture. Le compositeur me confiait son studio pendant une demi-heure et je dirigeais alors les musiciens comme ça. Je leur expliquais que chaque partie de mon corps représentait un instrument et que mes positions indiquaient s’il fallait jouer plus grave, plus aigu et plus ou moins fort. Pierre Niney a fait exactement la même chose. J’ai fait ça avec 80 musiciens pour The Green Hornet (2011) et cela a créé des choses abstraites, certes, mais vraiment fortes.
Vous avez récemment déclaré à propos de Pierre Niney : “J’ai pensé naturellement à lui pour le rôle principal. Pour que je puisse m’identifier à un comédien, il ne faut pas qu’il dégage trop de testostérone. Pierre me semble équilibré de ce point de vue.” Que vouliez-vous dire par là ?
Il y a plein d’acteurs que j’aime beaucoup, mais je pense que si ça avait été à quelqu’un de trop “masculin”, il m’aurait paru trop antipathique et je n’aurais pas vraiment su quoi en faire. Parce qu’il fallait quand même provoquer le ridicule sans le vouloir. J’ai donc cherché quelqu’un qui correspondait à mon spectre.
Les choses agressives, sombres et repoussantes ne font pas partie de mon esthétique.
Y-a-t-il du bon, selon vous, dans la mégalomanie ?
Non, c’est foncièrement négatif. En revanche, il faut se battre pour ses idées, il faut y croire, tout en évitant que les gens associent cela à de la mégalomanie. Mais parfois, on est obligé de passer par là. Parce que vous mettez votre idée à exécution, même si les gens pensent que vous avez tort.
Et l’égocentrisme ? Permet-il de réussir dans le milieu artistique ?
Non… Mais je tiens vraiment à préciser que, ce que l’on voit dans le film concernant la créativité et le comportement de Marc n’est pas vrai à 100% et ne correspond pas du tout à ce que moi j’ai traversé en temps normal. Ça c’est une crise. Mes tournages sont très calmes et ils se passent très bien.
Qui a pensé cela ?
J’ai lu un ou deux articles qui faisaient l’amalgame et c’était assez énervant de voir qu’ils m’accusaient de défendre cette manière de travailler. Ils n’ont rien compris au film. Je voulais montrer un état mental bien précis qui fait que l’on agit de façon plus ou moins rationnelle. Et ça inclut certaines bonnes idées mais tout de même une grande majorité de mauvaises.
Le film s’ouvre par un improbable enchevêtrement de câbles de télévision, une fois encore vous ne pouvez vous empêcher d’inclure des mécanismes et des machines dans votre film. D’où vous vient cette fascination ?
J’aime bien les machines, c’est graphique.
Graphique ?
Oui, on peut les inclure en série, elles se ressemblent donc toutes, et cette addition crée un rythme. Elles suivent alors une chorégraphie. Et puis bon, voilà, j’ai toujours aimé fabriquer des choses… En revanche, je suis très énervé contre le remplacement par des machines des gens qui travaillent dans les supermarchés où tous les distributeurs sont automatiques, il n’y a plus aucun contact humain. Et puis, avec ça, on rallonge la durée du boulot avant la retraite… sous prétexte qu’il n’y a pas assez de gens pour payer les retraites. Moi, je pense que les machines, elles devraient payer pour les retraites ! [Rires] Si je filme les machines avec un regard bienveillant, c’est parce que les choses agressives, sombres et repoussantes ne font pas partie de mon esthétique. Je chercherai toujours les côté joyeux des automates. Un peu comme dans Les Temps modernes de Charlie Chaplin.
Quel film sorti récemment auriez-vous aimé réaliser vous-même ?
Yannick de Quentin Dupieux. Il est excellent et réussit en une heure et sept minutes à nous emmener dans une histoire intense. On ne sait pas comment tout cela va se terminer. Va-t-il tuer des gens ? Comment se comporte-t-on devant quelqu’un qui a un flingue braqué sur nous ? Sommes-nous obligés de lui faire des compliments ? Et puis, l’acteur, Raphael Quenard, est exceptionnel.
Le Livre des solutions (2023) de Michel Gondry, avec Pierre Niney et Blanche Gardin, diffusé le 19 mars 2024 sur Canal+.