Le clan de Christophe Honoré : Camille Cottin
Depuis ses débuts en tant qu’auteur il y a une dizaine d’années, la liberté radicale de Christophe Honoré s’est affirmée au cinéma comme dans ses mises en scène au théâtre et à l’opéra. Nouveau pavé dans la mare, le film “Chambre 212” mise sur une théâtralité appuyée, servie par un casting de rêve. Toute la semaine, Numéro infiltre le clan de Christophe Honoré et dresse un portrait intime de ses membres. Aujourd’hui : Camille Cottin.
Les familles du cinéma français mettent parfois beaucoup d’énergie à ne pas communiquer. Il y a encore un an, voir Camille Cottin dans un film de Christophe Honoré aurait semblé gentiment farfelu, pour peu qu’on imagine l’actrice révélée par Connasse sur Canal Plus – et devenue star avec le rôle principal de Dix Pour Cent – incapable de se transporter ailleurs. Il se trouve que le contraire est en marche. Avec Chambre 212, c’est comme si Camille Cottin avait toujours appartenu à l’univers du cinéaste des Chansons d’amour. Son rôle de prof de piano entichée d’un (trop) jeune élève met en avant une part sentimentale teintée de folie, trop peu exploitée chez elle. “Cette femme cristallise beaucoup sur une rencontre, elle s’obsède pendant des années, glisse la comédienne. J’ai pu cristalliser, moi aussi. C’est vrai qu’il m’arrive de convoquer des souvenirs pour jouer.” Son envie de se “décentrer” jusqu’à Christophe Honoré se résume en une formule suspendue : “Ce que j’ai aimé ici, c’est la poésie du scénario. Il n’y a pas tant de poésie dans le cinéma aujourd’hui.”
“Il y a un vase communiquant entre les personnages que je joue et la personne que j’ai envie d’être.”
Loin de l’image de la grande gueule que l’on peut se construire avant de la rencontrer, cette comédienne pudique ne cesse de craindre que les cinéastes qui la choisissent puissent se “rendre compte” qu’il se sont trompés, voire changer d’avis. Ce n’est évidemment jamais le cas, mais l’implication et le désir de l’actrice semblent passer par cette épreuve du doute. On perçoit aussi chez Camille Cottin un grand besoin d’expansion, comme si sa carrière prenait désormais un autre sens, celui qu’elle a pleinement choisi. Le moment s’y prête. La quatrième saison de Dix Pour Cent, tournée à la fin de l’année, sera la dernière. Elle devra dire au revoir à Andréa Martel, l’agent artistique féroce et drôle – et par ailleurs, le seul personnage de lesbienne en prime time à la télévision française – qu’elle a façonné avec la créatrice Fanny Herrero depuis 2015. “Je n’ai pas l’image de moi-même comme une femme forte, alors qu’Andréa peut se définir ainsi. Sa féminité ne s’appuie pas sur la vulnérabilité, elle ne va pas jouer de ses charmes pour obtenir ce qu’elle veut. Cette féminité plait aux réalisatrices qui la projettent sur moi – d’ailleurs, je travaille beaucoup avec des femmes. Finalement, il y a un vase communiquant entre les personnages que je joue et la personne que j’ai envie d’être. Andréa refuse la séduction dans les rapports professionnels, elle dit ce qu’elle pense. Son côté direct, son image de femme désirante et non pas objet de désir, cela m’a touché. Je peux dire qu’elle m’a influencée.”
Face aux soubresauts de l’époque, Camille Cottin s’est rendue compte au fil des rôles et des rencontres d’une forme de responsabilité qui peut être la sienne : incarner des personnages féminins variés et contemporains, alors que l’imaginaire du cinéma et des séries en France ne prend que très lentement le virage inclusif post-MeToo. “Mon féminisme n’est pas parti d’un militantisme, mais je crois que l’on finit par dessiner une trajectoire à travers des choix. Je me souviens qu’il y a quelques années, j’avais fait lire à ma sœur, qui est très consciente de ces enjeux, un scénario que j’avais plutôt aimé. Elle m’avait montré tout le ‘‘male gaze’’ (regard masculin objectivant les personnages féminins, NDLR) dans ce texte. Je suis plus éclairée aujourd’hui. J’ai revu récemment Thelma et Louise (1991) et j’ai été impressionnée par ce film, réalisé par un homme, qui évoquait il y a presque trente ans le viol, la difficulté de la justice, le harcèlement, avec beaucoup de force. Maintenant, ça ne va pas du tout m’amuser de jouer une femme enfermée dans un cliché de la féminité soumise. Je recherche des personnages inspirants.”
Dans la liste des expériences nouvelles et intenses, le tournage de Chambre 212 s’est placé tout en haut. Un choix technicoartistique a déboussolé et captivé la comédienne. “Le film a été tourné en pellicule, ce qui met une certaine tension. Nous enchainions deux prises en général, rarement plus. Cela rend le moment plus solennel. J’ai pensé au théâtre ou a priori, tu ne vas pas t’arrêter : si quelque chose ne va pas, tu tiens bon. Quand on tourne avec une caméra numérique comme c’est souvent le cas aujourd’hui, cela ne coute pas cher, alors on multiplie les prises. Hannah Schygulla (grande actrice allemande réputée pour ses rôles chez Rainer Werner Fassbinder, NDLR) m’avait marquée sur le plateau du Mystère Henry Pick. Elle disait : ‘‘Le cinéma a changé. Avant, nous étions bien plus concentrés. On attendait des heures mais quand la caméra tournait, il n’y avait pas un bruit, c’était le recueillement’’. J’ai aimé me plonger dans cet état.”