Rencontre avec Laure Calamy, actrice magistrale de la série Une amie dévouée
C’est l’une des séries les plus puissantes et troublantes de la rentrée. Dans Une amie dévouée, disponible sur la plateforme Max ce vendredi 11 octobre 2024, l’actrice Laure Calamy incarne avec nuances, humanité et intensité une jeune femme qui se fait passer pour une proche d’une victime des attentats du Bataclan dans une association lancée par les survivants. Rencontre avec une comédienne magistrale, qui n’a pas peur des rôles complexes.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Les attentats du Bataclan en 2015 avaient déjà été au cœur de films tels que Novembre (2022) ou Revoir Paris (2022), mais la série Une amie dévouée n’a rien à voir avec tout ce qui a été fait jusqu’à présent sur ce sujet sensible.
Diffusée à partir de ce vendredi 11 octobre 2024 sur la plateforme de streaming Max, la production exigeante, réalisée par Just Philippot (La Nuée, Acide), met en scène la magistrale Laure Calamy (Dix pour cent, Antoinette dans les Cèvennes) dans le rôle d’une femme fan de musique, en mal d’amour et paumée qui se fait passer pour la meilleure amie d’un rescapé du Bataclan et cumule les mensonges tout en devenant l’un des piliers d’une association de victimes. Une partition troublante et pleine d’humanité dont la comédienne nous parle sans filtre.
L’interview de Laure Calamy, star de la série choc Une amie dévouée
Numéro : La série est inspirée d’une histoire vraie racontée dans le livre-enquête La mythomane du Bataclan. La connaissiez-vous avant de rejoindre ce projet ?
Laure Calamy : Non mais quand les deux productrices de la série, Julie Billy et Naomi Denamur, m’ont contactée parce qu’elles souhaitaient adapter le livre d’Alexandre Kauffmann, je l’ai lu et l’ai trouvé passionnant.
Le personnage de Christelle (Chris), qui se fait passer pour une proche de victime auprès d’une association et pour une victime auprès du fonds de garantie, est inspiré de celui de Florence M. alias Flo Kitty, qui a réellement existé… Mais les deux femmes ne sont pas tout à fait les mêmes…
Oui, la série n’est ni un biopic, ni un documentaire ! Même si les faits sont tirés d’une histoire vraie, il était important pour nous de nous éloigner de la vraie Florence et de créer Chris. Comme pour les personnages de l’association, on a essayé d’éviter les stéréotypes. Et le scénario est construit comme un thriller, avec du suspens, une atmosphère de malaise et d’ambivalence. Les curseurs sont poussés pour que cela devienne de la fiction. Si on en était restés aux faits, le résultat aurait sans doute été seulement sordide.
Avez-vous hésité à rejoindre le projet qui parle d’un sujet très sensible ?
Avant de m’engager totalement dans cette série, j’ai ressenti un problème moral à un moment donné. Mais pas sur le fait d’incarner ce personnage. Sur le fait de “fictionnaliser” sur un traumatisme national aussi récent. Même si ça avait déjà été fait dans des films ces dernières années… Avec cette série, on voulait évoquer l’onde de choc de ce traumatisme dans toute sa complexité.
“Il n’est pas question d’une “vilaine manipulatrice”, de “pauvres victimes” et de “héros” dans cette série.” Laure Calamy
Qu’est-ce qui vous a convaincue ?
L’arrivée de l’immense réalisateur qu’est Just Philippot sur le projet a été déterminante. Il y a eu comme une évidence lors de notre première rencontre. On s’est alors rendu compte que nous avions les deux mêmes références en tête (les films Joker et Sans toit ni loi d’Agnès Varda), ce qui n’est nous a sidérés. À partir de là, je savais qu’on ne tomberait ni dans le manichéisme, ni le voyeurisme. Il n’est pas question d’une “vilaine manipulatrice”, de “pauvres victimes” et de “héros”. Ce qui m’a aussi convaincue de l’intérêt de ce projet, c’est la façon le parcours de cette femme suit celui de l’association destinée aux victimes à laquelle elle participe. Les deux entités montent en puissance au fur et à mesure. Et l’acmé, c’’est le concert organisé par Chris pour les victimes qui coïncide avec son arrestation. Ce moment nous réconcilie avec cette histoire car il y a vraiment quelque chose de magnifique dans ce qui est raconté de l’être humain ici. Chaque survivant tente de reprendre le pouvoir sur sa vie.
Chris est un personnage très clivant, dont on peut questionner la morale, mais qu’on finit par comprendre. Quel a été votre regard sur elle ?
Oui, il peut y avoir un rejet face à un personnage qu’on est tenté, d’emblée, de juger pour son manque de moralité. Florence a d’ailleurs été condamnée et elle vient de sortir de prison. Mais elle a vraiment aidé les autres membres de l’association de victimes dans laquelle elle s’est impliquée. Comme elle le dit à sa mère à un moment donné dans la série, “Ils (les victimes des attentats, ndlr) se foutent de la vérité. Ils veulent juste qu’on les aide.” C’est là tout le paradoxe de Chris. Un membre de la véritable association qui a inspiré la série avait même dit d’elle : “Si je n’avais pas su que son histoire était un mensonge et qu’elle était morte, tous les jours, je serais allé sur sa tombe tellement j’adorais cette femme.” Elle a un grand pouvoir d’empathie parce qu’elle-même se vit comme une victime. Elle s’identifie aux vraies victimes car elle a envie d’être à leur place et les comprend. C’est pourquoi on s’attache à elle tout en étant tiraillé en permanence à son égard.
“Avec les réseaux sociaux, tout le monde est amené à construire des faux selfs, à faire croire que sa vie est géniale.” Laure Calamy
Cette série parle de quelque chose de plus grand que le parcours d’une mythomane…
Oui, bien sûr que Chris parle de nous. Elle est comme symptôme du monde d’aujourd’hui. Avec les réseaux sociaux, tout le monde est amené à construire des faux selfs, à faire croire que sa vie est géniale. Chris est une femme marginalisée qui vit dans une très grande précarité et qui a déjà fait, par le passé, des magouilles. Elle veut à tout prix se rendre indispensable, être regardée et être aimée des gens. Peut-être est-elle aussi un symptôme de ce que nous avons ressenti au lendemain des attentats. Tout le monde a eu envie de s’en rapprocher d’une manière ou d’une autre en disant : “Moi, je vivais dans tel quartier” ou “J’ai des amis qui y étaient…” Tout le monde voulait créer du lien, que ce soit par empathie, ou pour des raisons un peu malsaines. Cela reste humain et cette fiction nous permet d’en être le miroir de manière cathartique.
Comment fait-on pour jouer une mythomane ?
Il faut d’abord un bon scénario ! Et puis, ça pose la question de la vérité et du mensonge. Quand je joue, je m’approprie des dialogues, je traverse des situations pour faire apparaître de la vérité. C’est le propre de la fiction. Passer par le faux pour faire apparaître le vrai. En cela, je ne me sens pas éloignée de Chris, même si, avec elle, les conséquences s’avèrent bien plus toxiques ! Il y a des tas de fils à tirer dans la personnalité de Chris pour l’incarner. Tout le monde est amené à mentir et ce, en permanence. Que ce soit sur son état intérieur, pour cacher que l’on souffre parce qu’on s’est fait larguer, ou sur un truc qui nous débecte en nous et qu’on veut masquer. On se montre également différent selon la personne avec laquelle on se trouve : ses parents, son petit ami, un supérieur avec qui ça se passe bien ou un collègue avec qui ça se passe mal. Nous avons tous mille visages. Et ces mensonges et ces visages permettent que l’on fasse société et que l’on avance ensemble. Le parcours de Chris est en ce sens assez universel sauf qu’elle pousse les curseurs à fond.
“On se rend compte qu’à chaque attentat, il y a toujours des fausses victimes, plus ou moins intéressés.” Laure Calamy
Le cas de Chris n’est pas isolé. À chaque tragédie, des personnes s’inventent victimes…
Oui, on se rend compte qu’à chaque attentat, il y a des fausses victimes, plus ou moins intéressés. Chaque mythomane est différent. Certains mythomanes mentent pour des raisons purement vénales. Mais ce n’est pas le cas de Chris. Même si elle galère et qu’elle va demander des subventions au fonds de garantie en se faisant passer pour une victime, ses motivations ne sont purement financières. C’est quelqu’un de très seul, qui veut être aimer. J’ai d’ailleurs découvert qu’il y avait aussi eu une fausse victime aux États-Unis : Tania Head qui a fait l’objet d’un documentaire intitulé The Woman Who Wasn’t There. Elle aussi a fait avancer les choses pour les victimes au sein d’une association, permettant à ce qu’elles soient indemnisées. Elle a eu exactement le même parcours que Chris, participant même à la reconnaissance du statut de victime.
Connaissiez-vous le milieu musical et le Paris underground dans lequel baigne Chris, avant la série ?
Non, pas vraiment. Mais au départ, dans le scénario, le côté “amoureuse du glam rock” et la période londonienne de Chris n’existaient que dans un flashback. Son amour pour la musique m’a donné envie qu’elle devienne une encyclopédie du rock à Philippe Manœuvre, ce qui lui donnait plus de panache et la rendait plus séduisante. On a envie qu’elle devienne notre pote quand elle parle, avec passion, de musique. D’ailleurs, j’en profite pour rendre hommage à Mathieu Descamps, l’ingénieur du son de la série, grand fan de rock, grâce auquel on a ajouté quelques anecdotes et répliques qui ont servi à enrichir le personnage, notamment le passage où Chris parle de Steve Albini.
“Je dis souvent que je suis un peu comme une avocate ou comme une psychologue.” Laure Calamy
Vous aimez les rôles troubles, de femmes très complexes, qui disent quelque chose de la société. Est-ce que le fait que vos parents soient médecin et psychologue vous ont poussée à aller vers ce métier cathartique ?
Oui, tout à fait. Je dis souvent que je suis un peu comme une avocate ou comme une psychologue. Déjà comme spectatrice, j’ai pu vivre un véritable choc en voyant une pièce de théâtre qui s’appelait Le Baladin du monde occidental du dramaturge John Millington Synge. Cette pièce m’a beaucoup marquée et je l’ai vue, en quelque sorte, comme un soin. C’est assez drôle, d’ailleurs, car le thème entre en résonance avec Une amie dévouée. La pièce parle en effet d’un garçon qui ment. Il arrive dans un village en faisant croire qu’il a tué son père et devient fascinant pour toutes les jeunes filles et les gens du village. Sauf qu’un jour, son père arrive et on découvre qu’il est complètement écrasé par ce dernier. Il n’arrive pas à exister sans lui. Symboliquement, c’est assez passionnant.
Vous serez bientôt au cinéma dans Mon inséparable d’Anne-Sophie Bailly et Je ne me laisserai plus faire de Gustave Kervern… Et j’ai entendu dire que vous serez bientôt de retour au théâtre…
Oui, je vais remonter sur les planches, au théâtre Montparnasse, à partir du 23 janvier 2025 dans Peau d’homme ! Il s’agit d’une adaptation de la bande dessinée d’Hubert et Zanzim par Léna Bréban, une amie de longue date, avec des chansons signées Ben Mazué. C’est fantastique ce qu’il a écrit. Tous les éléments sont réunis pour que l’aventure soit très excitante. D’ailleurs les réservations sont ouvertes !
Une amie dévouée (2024), créée par Jean-Baptiste Delafon et Fanny Burdino, avec Laure Calamy et Arieh Worthalter, disponible sur Max le 11 octobre 2024. Mon inséparable (2024) d’Anne-Sophie Bailly, avec Laure Calamy, au cinéma le 25 décembre 2024.