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Mostra de Venise 2025 : Jim Jarmusch remporte le Lion d’or
Six ans après The Dead Don’t Die, le réalisateur indépendant culte Jim Jarmusch revient avec un film présenté à la Mostra de Venise, Father Mother Sister Brother. Un long-métrage en forme de triptyque qui met en scène Adam Driver et Cate Blanchett. Notre chronique de cette production qui vient d’être couronnée du Lion d’or.
par Olivier Joyard.

Father Mother Sister Brother, le nouveau film de Jim Jarmusch couronné à la Mostra de Venise
Son visage, sa tignasse et son look sont reconnaissables entre mille, au point que Jim Jarmusch reste encore aujourd’hui l’un des rares cinéastes rockstars que le vingtième siècle a eu la bonne idée d’inventer. Droit dans ses bottines à 72 ans, le réalisateur de Down by Law et Stranger Than Paradise, les deux films indés des années 1980 qui l’ont fait connaitre, revient après six ans d’absence – son précédent long-métrage The Dead Don’t Die datait de 2019. Produit par Saint Laurent et CG Cinéma, le très attendu Father Mother Sister Brother est présenté en compétition à la Mostra de Venise, avec au casting Adam Driver, Cate Blanchett, Tom Waits, Indya Moore, Charlotte Rampling ou encore Vicky Krieps.
Un long-métrage porté par Adam Driver et Cate Blanchett
Le film, qui vient de remporter le Lion d’or, se déploie en trois parties distinctes, avec à chaque fois de nouveaux décors, personnages et intrigues. Un découpage en sketches assez risqué qui était déjà celui d’A Night on Earth (1991) et de Coffee and Cigarettes (2003). La première partie se déroule au bord d’un lac du Nord Est des États-Unis, quand un patriarche pas très net, une sorte de punk bougon et vénal, reçoit ses deux enfants qui manifestement n’ont pas souvent mis les pieds chez lui.
Sur le ton de la comédie – Adam Driver excelle en fils beaucoup trop poli pour son père incarné par Tom Waits -, Jarmusch décortique ce qui reste des liens d’une vie quand elle fait des membres d’une même famille des étrangers.

Un road trip dans Paris
La même dynamique cruelle occupe le deuxième acte situé à Dublin, sans doute le moins réussi. Une mère offre le thé à ses deux filles et quelque chose d’un vide existentiel pince-sans-rire se construit sous nos yeux. La satire est juste, mais un peu attendue. Il faut attendre la troisième partie, franchement géniale, pour que Father Mother Sister Brother finisse par serrer le cœur, dans les pas d’un frère et d’une sœur, deux jumeaux qui viennent de perdre leurs parents.
Situé à Paris, ce troisième acte (sobrement intitulé Sister Brother) emmène Skye et Billy dans un road trip entre Pigalle et le 11e arrondissement de Paris, au volant d’une voiture old school, lookés comme jamais. Ils rejoignent leur destination du jour, l’appartement qu’ont occupé leurs parents avant de décéder dans un accident d’avion.
Les deux orphelins parcourent quelques photos, discutent de ce qui leur reste dans une existence soudain transformée. Ils se disent qu’ils s’aiment. Le propos est d’une simplicité totale. Cette simplicité émeut et impressionne. Jim Jarmusch reste à la bonne distance, caresse ses personnages pour les regarder dans des moments décisifs.

Une attention minutieuse au monde
Father Mother Sister Brother a beau raconter des histoires de famille, c’est avant tout un film sur le lien – distendu ou à la vie à la mort, visible ou invisible – et la manière dont le cinéma rapproche les corps et les êtres par temps de catastrophes. Dans une réalité violente, celle que nous connaissons au quotidien, le réalisateur de Dead Man filme une forme de paix, la possibilité du zen.
Tenir ensemble dans un plan, c’est déjà exister en tant que groupe, couple, duo, trio, coûte que coûte, semble nous dire Jarmusch qui livre ici l’un de ses films les plus contemplatifs. Où les visages et les paysages sont captés avec une égale intensité, celle d’une attention minutieuse au monde. Celui-ci va si mal qu’il faut absolument le regarder comme une aube.
Une bulle de mélancolie bouleversante
On pense parfois à l’un des films les plus incompris de Jim Jarmusch, Paterson, où Adam Driver jouait un chauffeur de bus happé par la pratique de la poésie. Nous sommes à la limite du mièvre, sans jamais l’atteindre. Plutôt dans une extrême délicatesse, une élégance.
Father Mother Sister Brother est-il pour autant chef-d’œuvre ? Sans doute pas. Ni même un très grand Jarmusch, sans que cela ne pose problème. On admire la liberté du geste, sa maitrise tranquille, la manière dont le film fabrique sa propre bulle de mélancolie et de réconfort. Par les temps qui courent, c’est bouleversant.
Father Mother Sister Brother de Jim Jarmusch, au cinéma le 7 janvier 2026.