Rencontre avec Elsa Zylberstein : “J’adore les rôles de sociopathe”
Loin du ton de son rôle magistral dans le film Simone, le voyage du siècle d’Olivier Dahan, Elsa Zylberstein s’illustre dans la comédie loufoque Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée, désormais disponible sur Netflix. Numéro est allé à la rencontre de l’actrice française, actuellement à l’affiche de Finalement de Claude Lelouch, pour évoquer les rôles qu’elle rêve d’endosser au cinéma et ses envies de désobéissance.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Au mois d’octobre 2022, le journaliste Luc Le Vaillant signe un portrait de l’actrice Elsa Zylberstein en dernière page du quotidien Libération. Il y décrit sa rencontre avec une femme qui semble “issue d’un temps où les stars ne boudaient pas le glamour, où elles entretenaient le mystère, imprimaient la légende et s’ensevelissaient sous un fatras de strass et paillettes”. Lorsque Numéro a réalisé une interview de l’actrice dans le chic hôtel parisien des Jardins du Faubourg, à quelques pas de l’Élysée au mois de juillet 2023, ces mots prennent tout leur sens. Au détour d’un couloir, Elsa Zylberstein impressionne par son charisme et son élégance. Malgré les interviews qu’elle enchaîne, elle défend ses convictions avec fougue et s’emporte parfois même dans la tempête d’idées qu’elle expose d’un ton convaincant.
Elsa Zylberstein : visage à part du cinéma français
Depuis près de trente ans, le regard perçant d’Elsa Zylberstein semble avoir laissé une trace indélébile sur les écrans des salles obscures. De son rôle marquant dans le film Van Gogh (1991) de Maurice Pialat à sa magistrale interprétation de Simone Veil dans le film Simone, le voyage du siècle (2022) d’Olivier Dahan, l’actrice française n’a eu de cesse de marquer l’histoire du cinéma hexagonal. Elle troque les tenues d’époque et les réunions de crise pour se plonger dans le rôle de Madeleine, une contrôleuse de train, dans la comédie déjantée Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée (2023), désormais disponible sur Netflix, du réalisateur belge Olivier Van Hoofstadt, déjà aux manettes de Dikkenek (2006) et Lucky (2020).
Après avoir ému jusqu’aux larmes les quelque 2,5 millions de visiteurs du film Simone, le voyage du siècle (2022), Elsa Zylberstein débarque là où on ne l’attend pas et se lance le défi, celui de faire rire. Si elle s’est déjà largement illustrée dans le registre de la comédie, comme récemment aux côtés de Franck Dubosc et Alexandra Lamy dans le film Tout le monde debout (2018), c’est cette fois-ci dans un film teinté d’un message politique et volontiers politiquement incorrect que l’actrice étonne.
L’interview de l’actrice Elsa Zylberstein, star de Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée
Toujours entre deux tournages, l’actrice française se démultiplie, prêtant sa voix et ses traits à des personnages historiques comme à de pures créations. Dans son calendrier pour les mois à venir : la préparation d’un biopic centré sur le personnage de Simone de Beauvoir. Celle qui fascine autant qu’elle intrigue, déchaîne les passions, faisant passer du rire aux larmes, rêve de tournage aux quatre coins du monde et initie même des projets de longs-métrages quand ils ne viennent pas directement à elle. Rencontre avec l’épatante Elsa Zylberstein.
“L’époque dans laquelle nous vivons est celle d’une société très hygiéniste. On a peur de tout.” Elsa Zylberstein
Numéro : Qu’est-ce qui vous a attirée en découvrant le scénario du film Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée ?
Elsa Zylberstein : J’ai aimé le côté pas politiquement correct et complètement fou de ce projet. J’avais déjà vu Dikkenek (2006) et je trouvais qu’Olivier Van Hoofstadt avait une certaine audace dans le ton qu’il employait. Je suis une grande fan des Frères Farrelly, je parle souvent d’Adam McKay et du film Don’t Look Up : Déni cosmique (2021), dans lequel Cate Blanchett est géniale d’ailleurs. J’ai d’abord vu un film politique en découvrant le scénario de cette comédie. J’ai senti qu’il dénonçait un certain nombre de choses. Le fait que les personnages passent de wagons en wagons, qu’ils rencontrent des communautés… Oser rire des personnes handicapées, d’un arabe qui serait forcément un terroriste en raison d’un costume traditionnel : il y a plein de plaisanteries qui vont très loin dans ce côté absurde. Ce film va vers un rire grinçant et très audacieux. Je n’avais jamais lu de choses comme cela. L’époque dans laquelle nous vivons est celle d’une société très hygiéniste. On a peur de tout et il ne faut pas aller trop loin. Là, le Belge ose tout. Si vous voyez les films des Monty Python ou de Gustave Kervern et Benoît Delépine, ce sont des tons très décalés. Il devrait en y avoir plus.
Sur le plateau de C à vous, vous évoquiez au mois de juillet 2023 à propos du film “une belgitude qui vous plaît”. Quelles sont les différences entre une comédie belge et une comédie française selon vous ?
Quand Benoît Poelvoorde joue dans le film C’est arrivé près de chez vous (1992), on est aussi dans quelque chose qui n’est pas politiquement correct. Les Belges osent cela : aller vers un humour noir, tenter un second voir un quatrième degré. Je trouve cela très intéressant. Il existe aussi dans d’autres films comme Bullet Train (2022) un humour très barré. On ne le retrouve pas trop en France, à part peut-être à l’époque des Nuls.
Quel effet cela fait de se plonger dans le rôle d’une sociopathe ?
J’adore, c’est ma passion ce genre de rôles. En apparence, la femme que je joue dans le film [Madeleine, une contrôleuse de train, ndlr] est super carrée alors nous avons imaginé son look assez strict, avec un costume. Elle a aussi des petits détails amusants, des ongles immenses, une trousse de toilette toujours sur elle… À l’intérieur d’elle, c’est un bordel monstre. Elle a peut-être fait du porno avant, elle vit avec son petit frère qui a 14 ans et qui se radicalise. Elle appelle des mecs sur Tinder, elle cherche l’amour, elle à l’air complètement barrée, elle est à deux doigts de tout plaquer lorsqu’elle rencontre une équipe de rugbymen dans le train. Il y avait une folie chez cette fille que j’avais envie d’endosser et quelque chose à défendre avec ce rôle.
“Je déteste les gens qui obéissent.” Elsa Zylberstein
Le fait de vous voir jouer dans une comédie nous rappelle les pastilles hilarantes de « Mytho » que vous aviez publiées sur Instagram pendant le confinement. La comédie est-il un genre cinématographique dans lequel vous vous projetez pour le futur de votre carrière ?
Je vais vous dire quelque chose de fou, quand j’ai tourné les vidéos de “Mytho”, je ne le faisais pas pour faire rire, je n’essayais jamais d’être drôle. J’ai fait cela car je déteste les gens qui obéissent, je suis une grosse désobéissante. Je me suis dit que j’allais créer un personnage qui n’était pas du tout confiné, qui voyageait, qui partait à New York et qui tournait avec Brad Pitt. Il se trouve que les gens ont beaucoup aimé. Au cinéma, j’ai fait des comédies et j’en referai d’autres. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée était un peu à part, c’est pour cela que j’ai eu envie de le faire. J’ai envie de pouvoir aller là où le vent me porte, d’aller tourner avec Arnaud Desplechin ou Valérie Donzelli s’ils me le proposent.
Quel est le rôle que vous n’avez encore jamais expérimenté et que vous rêveriez d’interpréter à l’écran ?
Je prépare actuellement un film sur Simone de Beauvoir avec Christopher Hampton qui est un grand scénariste. C’est une envie que j’ai depuis 14 ans. Il y a plein d’autres personnages féminins que j’ai envie d’interpréter. Les femmes sont toujours des héroïnes. Quand on regarde les films de Mike Leigh, comme Vera Drake (2004), c’est absolument bouleversant. Ce que je recherche avant tout, c’est l’émotion. Je rêve de travailler avec Quentin Tarantino ou Jane Campion. Tout dépend du regard que les réalisateurs portent sur des personnages, que ce soit des femmes connues ou inconnues. Récemment, on m’a proposé de jouer la comédienne Sarah Bernhardt aux États-Unis, même si je ne sais pas si ce film verra le jour.
Le cinéma est aussi un moyen de se plonger sans cesse dans la vie de nouvelles personnes. Faites-vous ce travail pour vous démultiplier ?
Oui, c’est comme si on se disait : “La vie est trop petite pour moi”. Je me demande souvent, dans le cadre d’un rôle, comment trouver la démarche de quelqu’un, la manière de parler, de se tenir. J’ai fait 25 ans de danse classique et cela m’aide beaucoup pour mes rôles, notamment pour celui de Simone Veil, cela m’a aidé à apprendre à marcher comme elle, chaque mouvement était un travail pharamineux. Mes idoles sont Daniel Day-Lewis, Cate Blanchett, Julian Moore ou encore Meryl Streep. C’est ce cinéma-là qui m’a fait rêver : voir Robert De Niro, Al Pacino ou Dustin Hoffman, soit des acteurs qui sont prêts à brûler leurs ailes en train de jouer. C’est eux qui m’ont animée. Si je veux faire du cinéma, ce n’est pas pour rester sur le trottoir, c’est pour me plonger dans des rôles, devenir une autre. Quand je vois My Left Foot (1989) dans lequel joue Daniel Day-Lewis, ça me sert de moteur. J’ai encore plein de rôles fous à jouer, je n’en suis peut-être qu’à 20 % de ce que je voudrais faire.
“Aujourd’hui, j’entends l’histoire de filles de 13 ou 14 ans qui ont découvert Simone Weil grâce au film.” Elsa Zylberstein
En tant qu’actrice, vous voguez entre différents rôles au cinéma, passant de l’icône Simone Veil à celui de Madeleine, une contrôleuse de train. Quels sont les éléments qui vous font accepter un rôle ?
Je ne me dis jamais à l’avance que je vais faire une comédie ou un drame. C’est généralement un personnage qui va m’amener à un film. C’est aussi l’univers d’un réalisateur. Demain, je pourrais travailler avec les frères Dardenne, que j’adore. Quand j’ai joué dans le film sur Simone Veil, c’était un long-métrage que j’ai voulu. Je trouvais que c’était important, pour la jeune génération, pour la transmission, d’avoir un grand film sur ce personnage historique. Aujourd’hui, j’entends l’histoire de filles de 13 ou 14 ans qui ont découvert Simone Weil grâce au film. Elles m’écrivent des lettres et passent en ce moment leur brevet aux côtés de ce personnage. Je suis tellement heureuse que la jeune génération puisse avoir accès à tout cela.
C’est en quelque sorte un film politique…
Pour moi, le cinéma est politique. Il est important de faire des films dans lequel tu peux apprendre et transmettre, même si cela reste du divertissement. C’est aussi important en tant qu’actrice de pouvoir passer d’un monde à l’autre. Je développe actuellement cinq projets avec ma boîte de production qui sont complètement différents. J’ai acquis les droits d’un livre qui s’appelle Les gens heureux lisent et boivent du café d’Agnès Martin-Lugand pour faire un film sur le deuil, sur l’histoire d’une fille qui va se récupérer. Je développe aussi un long-métrage sur Simone de Beauvoir pour l’année prochaine. Je n’ai pas de limites sur mes envies de cinéma et je ne veux pas m’en mettre. Je veux passer d’un monde à l’autre encore et encore. Je développe enfin un film sur une acupunctrice en zone de guerre qui s’appelle Élise Boghossian, qui va être réalisé par un metteur en scène Syrien.
Vous avez pris 9 kilos pour vous plonger dans le rôle de Simone Veil. Jusqu’où iriez-vous pour un rôle au cinéma ?
Simone Veil était déjà un bon exemple car je peux vous dire que je suis allée loin… J’ai travaillé comme une forcenée, je me suis imprégnée de ses phrases, de ses respirations, de sa démarche…
Après avoir interprété Simone Veil, vous êtes sur le point de vous plonger dans le rôle de Simone de Beauvoir. Comment incarne-t-on de tels mythes ?
C’est intimidant mais c’est moi qui l’ai voulu en développant ce film. Je n’ai pas tellement réfléchi, c’était impétueux, il fallait que je le fasse. Quand tu es en bas de la montagne, tu te dis simplement qu’il faut y aller. J’ai eu besoin d’une année sans tournage, sans aucun autre rôle pour devenir Simone. Cette manière d’être forte, d’être incisive et à la fois bouleversante, c’est tout ce que je suis allée chercher. Ce qui m’a intéressée, c’était aussi de savoir ce qu’il y avait derrière ces êtres. De savoir ce qu’était sa colonne vertébrale. Pour Simone Veil, c’est sa mère qu’elle a perdue et les camps de concentration. Je voulais savoir pourquoi elle était brisée, comment elle était morte à l’intérieur. Mon travail d’actrice était de savoir comme j’allais rendre tout cela visible, comment j’allais réussir à faire croire, à travers mon regard, que j’avais perdu une sœur, que je souffrais.
“J’ai eu la chance de faire quelques séances photo avec Karl Lagerfeld et avec Jean-Baptiste Mondino. Et j’étais très proche de Monsieur Alaïa qui m’a habillée durant des années.” Elsa Zylberstein
Le cinéma américain vous fait-il rêver ?
Ce n’est pas le cinéma américain qui m’attire, mais certains cinéastes. J’ai la chance de connaître Steven Soderbergh, je me dis que j’aurais peut-être un jour la chance de travailler avec lui. Magnolia (1999) de Paul Thomas Anderson est un chef-d’œuvre absolu. Happiness Therapy (2012) de David O. Russell donne envie de travailler avec des mecs comme ça. En tant qu’actrice, il y a certains cinéastes avec lesquels tu es obligée de désirer bosser.
La Fashion Week haute couture s’est achevée il y a quelques semaines à Paris. Y’a-t-il des défilés que vous ne vouliez pas rater ?
Je vais toujours chez Chanel et chez Alexandre Vauthier chez qui il y a un sens du spectacle incroyable. Depuis que je suis toute petite, le vêtement est toujours quelque chose qui me passionne. J’adore les photos de mode, j’ai d’ailleurs eu la chance de faire quelques séances photo avec Karl Lagerfeld et avec Jean-Baptiste Mondino. La mode fait partie de mon métier : il faut savoir quelle paire de chaussures mettre pour un rôle. Tu te sens plus féminine quand tu portes des talons ou plus forte quand tu mets tel ou tel vêtement. J’étais très proche de Monsieur Alaïa qui m’a habillée durant des années. Quand je portais ses robes je me sentais immensément puissante.
Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée (2023) d’Olivier Van Hoofstadt, avec Elsa Zylberstein, disponible sur Netflix. Finalement (2024) de Claude Lelouch, avec Elsa Zylberstein et Kad Merad, actuellement au cinéma.