Rencontre avec Leïla Bekhti : “Ne pas accepter de vieillir voudrait dire que je n’accepterai pas la vie”
Dans Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan, la solaire et bouleversante Leïla Bekhti incarne Esther, une mère courage qui refuse que son fils, Roland, né avec un handicap, ne se tienne pas debout. L’occasion de rencontrer l’une des actrices françaises les plus talentueuses, adulées et attachantes de sa génération.
propos recueillis par Violaine Schütz.
L’interview de l’actrice Leïla Bekhti, mère courage poignante de Ma Mère, Dieu et Sylvie Vartan
Numéro : Qu’est-ce qui vous a touchée quand vous avez découvert le scénario de Ma Mère, Dieu et Sylvie Vartan ?
Leïla Bekhti : Je me souviens avoir été bouleversée à plein d’endroits différents. Aussi bien en tant que mère, qu’en tant que fille. J’ai aimé cette histoire d’une famille qui reste soudée malgré les épreuves. Esther choisit de mettre de la joie dans tout. Même dans le drame. Le film parle de résilience, d’émancipation, de transmission. Des sujets qui me touchent. Sourire, toujours.
Est-ce que ce long-métrage vous a fait réfléchir à votre place et votre rôle de mère ?
Oui beaucoup. Car être parent est un éternel apprentissage. On peut passer d’une intime conviction à un doute abyssale. Quel paradoxe d’apprendre aux êtres qu’on aime le plus à se débrouiller sans nous. Finalement, être parent, c’est toujours se demander à quel moment tenir la main et à quel moment la lâcher. On a tendance à sacraliser nos parents. Mais il ne faut pas oublier qu’eux aussi ont dû apprendre à le devenir. En grandissant, il y a plein de choses que l’on comprend. C’est aussi un film qui apprend l’indulgence. Chacun fait du mieux qu’il peut.
Et un hommage à votre mère ?
Oui, c’est indéniable. Ma mère occupe une place si grande qu’une vie entière ne suffirait pas pour la remercier de tout ce qu’elle a fait.
“L’idée de jouer un personnage sur 50 ans est une vraie chance pour un acteur.” Leïla Bekhti
Ce film qui parle d’une mère courage ressemble à un hommage à toutes les mères, que vous avez déjà qualifiées de super-héros sans capes. Mais il peut parler à beaucoup d’autres personnes… Notamment à celles et ceux qui n’ont pas d’enfants…
Oui, ce film pose de vrais questions universelles : comme s’émanciper en tant que parent mais aussi en tant qu’enfant. Pour moi, ces sujets peuvent parler à chacun de nous. Nous sommes tous l’enfant de quelqu’un. La famille est un sujet tellement cinématographique, passionnant. J’ai aimé l’écriture de ce film qui oscillait entre drame et comédie .
Le sujet du handicap était déjà au centre de l’un de vos précédents films, La Nouvelle Femme, dans lequel vous jouez une célèbre courtisane parisienne, qui, en 1900, cache le handicap de sa fille...
C’est vrai, mais dans La Nouvelle femme, il s’agissait d’une femme qui n’acceptait pas le handicap de son enfant et le cachait. Il n’y avait pas la dimension de sécurité affective. Lili d’Alengy, mon personnage, n’a aucun lien avec sa fille. Pour moi, c’est surtout l’histoire d’une femme qui part à la rencontre de sa maternité.
Vous vous êtes lancée dans un défi fou dans Ma Mère, Dieu et Sylvie Vartan : interpréter le personnage d’Esther de l’âge de 30 à 85 ans…
Oui et c’était vertigineux. J’ai été traversée par le doute, la peur mais l’excitation a pris le dessus. L’idée de jouer un personnage sur 50 ans est une vraie chance pour un acteur. En tout cas pour moi. Et puis raconter un personnage aussi riche, aussi singulier était particulièrement inédit pour moi.
“Tahar m’a aussi beaucoup aidée. Je dis souvent que j’ai un coach bénévole à domicile.” Leïla Bekhti
Quelle a été la préparation, tous les matins, pour devenir – physiquement – Esther ?
C’est une préparation de quatre heures tous les matins. L’équipe de prothèses a été extraordinaire. On a fait énormément d’essais. On s’est vu plusieurs fois avant, et puis il a fallu que je travaille sur le corps, comme les pas qui glissent de plus en plus et les gestes qui deviennent moins alertes, et le regard qui se voile. Et pour cela, j’ai convoqué plein de souvenirs. J’ai beaucoup pensé à ma grand-mère avec qui j’ai eu la chance de vivre. C’était hyper intéressant à travailler parce que dans la contrainte, il fallait que je trouve aussi une sorte de liberté. Il ne fallait pas qu’elles m’empêchent de pouvoir raconter le personnage tel qu’il était.
L’expérience a dû être intense…
Oui, c’était très intense, mais le personnage d’Esther est très intense (rires). C’est ce qui fait son charme. Et en même temps, c’était très joyeux. J’étais épuisée à la fin de la journée, mais je prenais beaucoup de plaisir.
Dans le film Monsieur Aznavour, Tahar Rahim – votre compagnon – apparaît aussi métamorphosé. Avez-vous échangé avec lui sur ce type de rôle qui implique une transformation physique ?
Je me suis inspirée beaucoup d’Esther (telle qu’elle est décrite par Roland Perez dans son livre). Je me suis inspirée de ma maman et de ma grand-mère. Mais pour être tout à fait honnête, Tahar m’a aussi beaucoup aidée. Je dis souvent que j’ai un coach bénévole à domicile. J’ai de la chance. En tout cas, on se soutient beaucoup. Tahar, est un acteur très, très, très exigeant. Du coup, ses conseils m’ont beaucoup nourrie et me nourrissent beaucoup.
“Je crois qu’à mon endroit, ne pas accepter de vieillir voudrait dire que je n’accepterai pas la vie.” Leïla Bekhti
Le fait de vieillir fait peur à beaucoup de femmes et à beaucoup d’actrices. Est-ce que le fait de vous voir prendre de l’âge à l’écran a été cathartique ?
Très sincèrement, je n’y ai pas pensé. Le fait que l’on m’offre ce rôle qui court de ses 30 à 85 ans était une opportunité si merveilleuse que je ne me suis pas focalisé sur autre chose. Et puis, je crois qu’à mon endroit, ne pas accepter de vieillir voudrait dire que je n’accepterai pas la vie. Et la vie, aujourd’hui, en ce qui me concerne, elle est associée à mes enfants, à ma famille. Ne pas vouloir vieillir, ce serait nier tout ça. En fait, la première fois que j’ai découvert le film, je me suis surtout demandé : “Est-ce que c’est crédible ? Est-ce que mes pas sont justes ?”
Et c’est très réussi… J’ai d’ailleurs lu que la première fois que Sylvie Vartan, qui joue son propre rôle dans le film, vous a vue, elle ne vous a pas reconnue… Vous semblez en effet avoir fait passer la vérité du personnage avant toute coquetterie…
Je n’ai jamais fait de retour au réalisateur en disant : “Attends, là, mon visage n’est pas joli sur ce plan”. J’adore être hyper glam sur un tapis rouge, m’amuser avec mes looks, et j’adore la mode, qui permet de peut raconter plein d’histoires. Mais c’est vrai que sur un tournage, la priorité quand j’interprète un personnage, c’est d’être au plus près de sa vérité. Je ne ferai jamais en sorte, pour pour moi, Leïla, d’être différente de ce que doit être le personnage. Je suis actrice et je suis là pour raconter un personnage et une histoire.
“Faire ce film m’a donné envie de porter plus de couleurs.” Leïla Bekhti
Roland Perez, l’auteur du livre Ma Mère, Dieu et Sylvie Vartan dont le film est adapté décrit sa mère comme un vrai personnage de fiction, capable de dépasser ses montagnes en se prenant pour Claudia Cardinale et en étant coiffée comme une actrice de Dynastie…
Quel plaisir d’interpréter un tel personnage ! Esther est hyper singulière et haute en couleur, dans tous les sens du terme. Les looks qu’elle porte sont aussi fabuleux que son tempérament. Ils font partie intégrante de son identité. Ils m’ont beaucoup aidée d’ailleurs à entrer dans le personnage, à le construire. J’ai aimé porter des vêtements des années 70 avec ces couleurs vives, ces imprimés et ces coupes originales. Faire ce film aujourd’hui m’a donné envie de porter plus de couleurs.
A quel point les costumes vous aident, en règle générale, à entrer dans un personnage ?
Souvent, sur les tournages, j’ai besoin de voir les vêtements du personnage. Au début, quand on commence à chercher le personnage, après avoir parlé avec le metteur en scène, les essais costumes sont une phase importante pour moi. Avec les vêtements du personnage, on comprend ses origines sociales mais aussi ce qu’il veut raconter. On se dit alors : qu’est-ce que veut dire le personnage en s’habillant de cette manière-là ? Concernant Esther, elle semble, avec ses looks, vouloir infuser de la joie quoi qu’il en coûte. Elle apporte toujours du sourire dans les larmes. Ses vêtements m’ont en tout cas beaucoup aidée à entrer dans le personnage, à le construire.
“J’aime de plus en plus la mode, et surtout les créateurs qui la façonnent.” Leïla Bekhti
En parlant de mode, vous êtes ambassadrice du label Ami…
Oui, c’est vrai, j’aime de plus en plus la mode, et surtout les créateurs qui la façonnent. Alexandre (Mattiussi d’Ami, ndlr) est un ami depuis presque 10 ans, et c’est très naturellement que nous avons décidé de travailler ensemble. Chez Ami, il excelle dans l’art de mixer le féminin et le masculin, et inversement. Je me sens toujours à la fois très à l’aise et très élégante quand je porte ses créations. Comme lors des derniers César, par exemple. On partage par ailleurs les mêmes valeurs, l’amour de la famille.
Vous êtes aussi proche Pieter Mulier et d’Alaïa…
Chez Alaïa aussi, d’ailleurs, c’est une histoire de famille. J’ai rencontré Azzedine quand j’ai débuté ma carrière d’actrice, et il a été d’une grande bienveillance envers moi. J’admirais son travail et son regard sur les femmes. Aujourd’hui, Pieter a réussi à raconter sa propre histoire de la maison et à l’ancrer dans une modernité inouïe. J’adore Pieter, c’est un poète, ses collections sont aussi merveilleuses à regarder qu’à porter.
On va vous voir dans le prochain film de Jean Pierre Jeunet, Changer l’eau des fleurs. Pourriez-vous nous parler de ce long-métrage dans lequel vous jouerez la garde-cimetière d’une petite ville de Bourgogne ?
C’est l’adaptation d’un livre, Changer l’eau des fleurs de Valérie Perrin. Et ce qui est assez beau dans cette histoire, c’est que cette femme qui est gardienne de cimetière va retrouver vie au milieu des morts. Ce portrait de femme m’a touchée au cœur. Elle va traverser le deuil, le chagrin, l’amour. Ça parle de renaître de ses cendres après des épreuves. La vie encore une fois.
Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan de Ken Scott, avec Leïla Bekhti et Jonathan Cohen, au cinéma le 19 mars 2025.