6 nov 2025

Golshifteh Farahani, l’actrice iranienne qui a conquis le cinéma français

Partie de son Iran natal pour se réfugier en France en 2008, l’ensorcelante Golshifteh Farahani a construit une carrière cinématographique remarquable, entre cinéma d’auteur et succès grand public. La magnétique actrice, ambassadrice Cartier, s’est en effet illustrée dans les films intimistes de Louis Garrel ou de Christophe Honoré, aussi bien que dans des blockbusters comme Pirates des Caraïbes ou Exodus – Gods and Kings. Elle démontrera l’étendue de son brillant talent prochainement dans Les Clochettes de Kaboul (dont la sortie est prévue pour 2025) un film fort évoquant la résistance au pouvoir des talibans.

  • par Olivier Joyard

    portraits par Natasha Kot , 

    réalisation par Rebecca Bleynie.

  • Rencontre avec Golshifteh Farahani, star du film Les Clochettes de Kaboul

    Pour les dieux, ma vie est comme Hunger Games : ça ne s’arrête jamais. Je suis une série qui dépasse toutes les limites.” Il n’aura pas fallu dix minutes pour que Golshifteh Farahani prononce cette phrase en forme d’autoportrait un peu perché, celui d’une accro à l’intensité. L’actrice vue dans une soixantaine de films depuis un quart de siècle nous passionne tout de suite, à la hauteur de sa réputation lyrique.

    Celle qui a quitté son Iran natal en 2008 pour se réfugier en France – après avoir connu des ennuis avec les autorités – connaît une de ces carrières rares, impossibles à circonscrire. À 42 ans, elle a déjà fait son chemin à Hollywood avec Ridley Scott (Mensonges d’État en 2008, Exodus Gods and Kings en 2014) ou dans Pirates des CaraïbesLa vengeance de Salazar (2017), côtoyé de près le génie zen de Jim Jarmusch (Paterson, 2016), traversé un cinéma d’auteur français varié – Marjane Satrapi, Louis Garrel, Christophe Honoré, Alain Chabat, Eva Husson, Arnaud Desplechin

    Récemment, elle crevait l’écran chez Julia Ducournau, dans le rôle d’une femme protégeant sa fille contre un mystérieux virus. “Pour moi, Alpha est l’un des meilleurs films dans lesquels j’ai tourné, même si certaines personnes, je crois, ne l’ont pas bien compris. Car il n’a rien de facile.” Sur le tournage, Golshifteh Farahani a fait face à la forte personnalité de la réalisatrice de Titane, pour son plus grand plaisir. “Avec certains, on peut avoir des discussions, proposer. Mais c’est beau aussi de s’abandonner à une créatrice qui sait exactement ce qu’elle veut et n’en déroge pas. Avec Julia, c’est biblique. C’est écrit. C’est le destin. Elle nous emporte dans le monde qu’elle veut créer.

    Une chose qui casse le dos d’un autre être humain, elle m’arrive trois fois et je reste debout.” Golshifteh Farahani

    Golshifteh Farahani évite la facilité comme la peste, même si elle doit vivre des moments hors norme. “Une chose qui casse le dos d’un autre être humain, elle m’arrive trois fois et je reste debout. Je suis résiliente. Je perds mes bras, mes jambes, je suis une grande handicapée de l’âme, mais aussi une championne paralympique.” Les métaphores de l’ambassadrice Cartier sont limpides.

    Rien ne semble devoir l’arrêter dans une vie faite de zigzags, de grands chambardements, à l’image de celui qu’elle affirme traverser intérieurement en 2025. Pour nous l’expliquer, elle commence par une question. “Quelles sont les grandes étapes de l’école en France, déjà ?” On lui déroule la succession de la maternelle, du primaire, du collège et du lycée.

    À l’échelle de ma vie, j’en suis à la fin du collège et je dois passer au lycée. Cela fait des années que je ressens un besoin de changement. Mais c’est dur de laisser les habitudes derrière. Dur de se dire qu’on est la reine, la plus grande de la cour de récré, et qu’on va redevenir petite. Le premier livre de ma vie, il faut que je le ferme et que j’en commence un autre qui, ​​pour l’instant, est vide. Cela peut faire peur.

    Avant, j’étais parfois dans le devoir et le service. Là, je crois que je me rapproche de la vie dont j’ai vraiment envie.” Golshifteh Farahani

    L’actrice, qui multiplie les projets depuis ses débuts, est en train d’apprendre à dire non. “Avant, j’étais parfois dans le devoir et le service. Là, je crois que je me rapproche de la vie dont j’ai vraiment envie. J’ai déjà entendu cette voix, mais c’était un coup de tonnerre dans le lointain. Maintenant, le bruit est là, tout proche. Et je dois passer à l’action. C’est quand on trahit nos propres décisions que la vie se retourne contre nous.

    Tourner les films qui lui paraissent indispensables, auprès de cinéastes capables de la faire avancer, ne pas tout céder au travail pour autant, voilà à quoi pourrait ressembler la nouvelle existence de Golshifteh Farahani. “Pour moi, le temps est devenu beaucoup plus cher”, résume-t-elle. Si le moment du bilan est loin d’être venu, l’actrice aime revenir sur certaines étapes importantes de son parcours.

    Une carrière cinématographique remarquable

    Il y a eu, par exemple, la rencontre avec Arnaud Desplechin pour Frère et Sœur (2022). “Avec lui, c’était dingue car j’avais l’impression de participer à un atelier. Son niveau de finesse dans sa façon de diriger, c’était juste au-delà.Golshifteh Farahani se souvient aussi de l’adaptation théâtrale d’Anna Karénine, mise en scène par Gaëtan Vassar en 2016. Un tournant. “C’est là que mes cheveux ont commencé à blanchir. Chaque soir, pendant le monologue, c’est comme si je les sentais changer de couleur.

    L’actrice, dont les parents travaillaient dans le milieu culturel de Téhéran, a aussi croisé la route du génial cinéaste Abbas Kiarostami (Palme d’or à Cannes en 1997 pour Le Goût de la cerise) avec qui elle a tourné Shirin en 2008, un film montrant des visages féminins dans la pénombre d’une salle de cinéma. Le souvenir du grand homme l’amène à évoquer la situation de son pays, où le mouvement “Femme, vie, liberté a été loin de la laisser indifférente.

    Longtemps, je n’ai plus eu aucun rapport avec le cinéma iranien, mais après dix-huit ans d’exil, tout ce qui m’intéresse, c’est l’Iran. Les cinéastes iraniens, les gens, je les trouve intelligents, je les trouve beaux. Ce qui se passe là-bas au niveau culturel est incroyable. J’ai envie de connaître la nouvelle génération. Ce que j’aimerais un jour, si le régime change, c’est être responsable d’un festival, faire ce cadeau à la jeunesse iranienne et à tous les Occidentaux qui n’ont pas connu l’Iran. Créer un échange fructueux.

    Le sens de l’aventure guide le quotidien de Golshifteh Farahani qui, récemment, a séjourné en Amazonie. “C’était pour me guérir”, élude celle qui aime aussi trouver refuge à Ibiza, un lieu essentiel dans sa vie. “En Europe, je ne vois aucun endroit où autant d’étrangers se retrouvent pour vivre ensemble. Ibiza appartient à tout le monde.” Est-ce là-bas que l’actrice répète ses rôles, comme une parenthèse enchantée avant de retrouver les plateaux ? La réponse permet de comprendre sa méthode de travail atypique.

    “Donner de la beauté à ce monde, c’est y ajouter de la bonté.” Golshifteh Farahani

    Même son rapport à Cartier, avec qui elle travaille depuis 2012, n’est pas pour Golshifteh Farahani une simple question d’image. Avec la grande maison de joaillerie française, l’ambassadrice a tissé une relation au long cours. “D’abord, je dois dire que j’aime l’or, les diamants. Je suis comme un oiseau attiré par ce qui brille. Les pierres conservent une mémoire. Avec Cartier, je n’ai donc pas seulement un rapport avec une maison. Travailler avec eux, c’est vraiment Les Mille et Une Nuits. Tous les événements qu’ils imaginent, chaque dîner, tout est réfléchi. Pour eux comme pour moi, donner de la beauté à ce monde, c’est y ajouter de la bonté.”

    Prochainement, Golshifteh Farahani montrera l’étendue de son talent dans Les Clochettes de Kaboul, un film qui raconte une forme de résistance au pouvoir des talibans. Et ensuite ? Rien n’est encore sûr. Car rien n’est jamais écrit avec elle. C’est sans doute ce qui la rend inoubliable.

    Les Clochettes de Kaboul (2025) de Chabname Zariab n’a pas encore de date de sortie.