3 mars 2025

Rencontre avec Anamaria Vartolomei, star de Mickey 17 aux côtés de Robert Pattinson

Depuis ses premiers pas devant les caméras dans My Little Princess d’Eva Ionesco, Anamaria Vartolomei nous a souvent bouleversés dans la peau de femmes bafouées ou désireuses de reprendre leur destin en main. Après L’Événement d’Audrey Diwan, et Maria de Jessica Palud consacré au traumatisme de Maria Schneider, l’actrice franco-roumaine rayonne aux côtés de Robert Pattinson dans Mickey 17, un récit de science-fiction du Sud-Coréen Bong Joon-ho.

  • Texte par Olivier Joyard

    Photos par Luc Braquet , 

    Réalisation par Rebecca Bleynie.

  • Anamaria Vartolomei, révélation de L’Événement à l’affiche de Mickey 17

    Dans la vie d’une actrice, les rencontres se transforment parfois en films. En septembre 2021, quand L’Événement d’Audrey Diwan remporte un Lion d’or surprise à la Mostra de Venise, sa comédienne principale, Anamaria Vartolomei, est présentée au réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho (Palme d’or à Cannes en 2019) qui officie en tant que président du jury.

    C’est elle qui raconte la suite : “Quelques mois plus tard, j’ai reçu un e-mail de la production de son nouveau film me demandant d’envoyer une vidéo, sans me donner de directions précises. Je lui ai simplement rappelé notre rencontre à Venise. Je n’ai reçu aucune nouvelle pendant assez longtemps. Et puis un jour, lors d’un rendez-vous via Zoom avec lui, il me parle de séquences spécifiques, sans pour autant me dire que j’ai le rôle. J’ai fini par lui demander directement, et Bong Joon-ho me lance alors : ‘Si on discute depuis une heure, ce n’est pas pour rien!’ C’était fou.”

    Dans Mickey 17, Anamaria Vartolomei croise notamment Toni Collette et Robert Pattinson, deux stars du cinéma d’auteur international qui propulsent l’actrice dans une nouvelle dimension. “J’ai toujours été fascinée par Scarlett Johansson, Penélope Cruz et Natalie Portman qui ont réussi à alterner des gros films et d’autres signés par des réalisateurs indépendants”, confie-t-elle.

    “J’étais la plus jeune, j’avais un souci de légitimité. Bong Joon-ho me disait de me détendre.” Anamaria Vartolomei

    Dans ce récit de science-fiction sur la colonisation d’une planète lointaine où certains employés sont “jetables”, elle joue “une femme très pragmatique qui sert ses intérêts”. Sur le tournage qu’elle a vécu comme un “moment joyeux”, Anamaria Vartolomei, qui avait alors 23 ans, a découvert un monde où les comédiens sont choyés, sans manquer de s’inquiéter de la justesse de ses dialogues en anglais. “J’étais la plus jeune, j’avais un souci de légitimité. Bong Joon-ho me disait de me détendre. Un jour, en désignant mon visage, il a dit : ‘Anamaria, le plus important, c’est ce qui se passe là.’” Un César du meilleur espoir féminin, obtenu en 2022, n’a donc pas suffi à apaiser ses angoisses.

    L’expérience d’Anamaria Vartolomei parle pourtant pour elle. À l’âge de 10 ans, elle était choisie devant 500 autres candidates pour tenir le rôle principal de My Little Princess, le film d’Eva Ionesco sur l’enfance de la réalisatrice devant l’appareil photo inquisiteur de sa mère, qui la faisait poser nue. Sorti en 2011, le film a marqué Anamaria Vartolomei, d’abord parce qu’elle y jouait face à Isabelle Huppert. “Isabelle a un fils qui a mon âge, et, sur le tournage, c’était un peu ma maman. Elle m’encourageait, se montrait toujours dans le partage. Si je triturais mon stylo, elle me disait : ‘Ça, c’est bien, c’est naturel, tu devrais le faire pendant la prise.’ Ma famille était présente, j’avais des talons et des perruques, des costumes de fou, c’était Mardi gras.”

    Une actrice franco-roumaine récompensée d’un César

    Née en Roumanie, arrivée en France à l’âge de 6 ans, la petite fille n’avait eu aucun contact avec le milieu du cinéma auparavant. “Via son entreprise dans le bâtiment, mon père travaillait chez une comédienne. Elle l’a orienté vers des castings, car je prenais des cours de théâtre.”

    Anamaria Vartolomei n’avait pas toutes les cartes pour comprendre les enjeux du film d’Eva Ionesco. “Cette fillette me faisait de la peine, explique-t-elle. Aujourd’hui, je sais aussi que j’ai eu la chance de débuter par un film fort. My Little Princess était annonciateur de mes choix à venir. Dès cette première fois, j’ai exploré le thème de la féminité et de la place de la femme dans le système social.”

    Il lui aura fallu attendre presque dix ans pour recroiser un film de cette trempe, L’Événement d’Audrey Diwan, une adaptation d’Annie Ernaux qui raconte l’avortement clandestin d’une jeune femme dans les années 60. “Ce film a été une renaissance et m’a aidée à comprendre que j’ai besoin des personnages que j’incarne au cinéma pour me nourrir en tant que femme.”

    Avant de créer un buzz mondial, Anamaria Vartolomei avait poursuivi sa carrière de comédienne en même temps que des études, ses parents lui demandant de conserver un “plan B”. “Mais à la fac, ça n’a duré qu’une journée. Dans l’amphi, je me suis dit que je n’arriverais jamais à être réellement actrice si je ne me lançais pas à fond.” Le succès de L’Événement lui donne raison et la place qu’elle attendait sur la carte des stars en devenir.

    La Maria Schneider du film Maria

    En 2024, elle retrouve le haut de l’affiche avec Maria, de Jessica Palud, qui raconte le destin brisé de Maria Schneider, l’actrice du Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci. “La dignité et la grande force de cette femme rendent ce qui s’est passé très malheureux”, raconte Anamaria Vartolomei, en référence à la disparition précoce de l’actrice, traumatisée par une scène de viol non prévue lors du tournage face à Marlon Brando. “On l’a réduite à son tour de poitrine et à une scène d’un seul film.”

    Tourner Maria a permis à Anamaria Vartolomei de réfléchir à son désir profond. “Je me suis interrogée sur ma liberté de comédienne. Longtemps j’ai pensé que j’avais choisi ce métier parce qu’il me permet d’être libre, d’incarner plein de personnes différentes. Mais il rend aussi prisonnière du désir et du regard des autres.”

    Après un débat avec le public lors d’une projection de Maria, une introspection s’enclenche. “De retour chez moi, je me suis effondrée en larmes. Au-delà de mon rôle d’interprète, quelle était ma place en tant qu’être humain dans ce métier ? J’ai compris que si l’on décide de prendre en main sa liberté, l’espace s’ouvre. La clé est de rester maîtresse de ses actions et de ses choix, même si l’on décide de beaucoup donner. Mes parents m’ont inculqué l’idée de ne pas faire de compromis, d’être sûre qu’un désir est le mien et qu’il ne m’est pas imposé.”

    L’explosion d’Anamaria Vartolomei grâce au Comte de Monte-Cristo

    Anamaria Vartolomei appartient à la génération des acteurs et actrices ayant émergé durant MeToo, ses interrogations le prouvent. Avant même les révélations de celles qu’elle dit “beaucoup admirer pour leur courage”, Adèle Haenel en tête, elle a été confrontée à des propositions douteuses. “Après le film La Vie d’Adèle, autour de 2015, il y a eu comme une éclosion de personnages sexuels pour de très jeunes femmes. Je n’étais pas à l’aise avec la nudité qui n’était pas toujours justifiée.”

    Elle raconte un casting avec un réalisateur bien plus âgé qu’elle, qui se faisait accompagner ce jour-là par un comédien ivre, au point qu’elle demande à sa mère d’assister à l’entretien. “Le cinéaste m’a quand même posé beaucoup de questions intimes sur ma vie sexuelle, des choses déplacées. Finalement, il a appelé mon agent en disant que j’étais trop gamine parce que j’étais venue avec ma mère…”

    L’héroïne de la série Merteuil

    Aujourd’hui, la jeune femme estime que les actrices sont un peu mieux protégées. Elle enchaîne les rôles, avec un esprit d’aventure que le comédien Félix Kysyl a libéré lors du tournage du biopic De Gaulle : “Je lui parlais du nouveau film de Laura Wandel, L’Intérêt d’Adam, qui parle de maltraitance infantile. J’avais adoré le scénario, mais je trouvais le sujet et le rôle difficiles. Et Félix m’a dit : ‘Si tu as peur, fonce.’

    En plus du film d’Antonin Baudry sur l’ancien président français, qui devrait lui assurer les sommets du box-office après le carton du Comte de Monte-Cristo – où on la retrouvait également –, et du long-métrage de Laura Wandel, on verra Anamaria Vartolomei cette année dans la série Merteuil, tournée pour HBO Max et adaptée des Liaisons dangereuses, avec Diane Kruger, Vincent Lacoste et Lucas Bravo. “Sur le tournage, il s’est passé un truc génial : moi qui avais tendance à intellectualiser mes personnages, la fatigue aidant, je n’avais plus la force de le faire. Cela m’a obligée à être dans l’instant présent. Dans cet état-là, on peut alors se laisser surprendre par une séquence, c’est magique.”

    La bande-annonce du film Mickey 17 (2025).

    “En dehors des plateaux, je me sens comme inutile à la société.” Anamaria Vartolomei

    L’exploration ne fait donc que commencer pour celle qui aime multiplier les tournages. “En dehors des plateaux, je me sens comme inutile à la société”, confie-t-elle. Ambassadrice Chanel, elle sait à quel point le travail doit être protégé contre tout ce qui menace d’empiéter sur lui.

    “Pour notre génération, l’image a pris une dimension si importante qu’elle occulte parfois le talent. Beaucoup d’actrices ou d’acteurs sont contactés par des marques. Quand il y a davantage de communication autour de leur fonction d’icône de la mode qu’autour de leur jeu, cela interroge.”

    Dans sa relation avec la maison de la rue Cambon, la comédienne dit avoir trouvé un équilibre. “J’ai de la chance avec Chanel. Ils ne m’ont jamais mis la pression sur la représentation, les réseaux sociaux. Au contraire, ils aiment la discrétion et sont proches du cinéma. Je vis leur présence comme un soutien. Je m’amuse avec les codes de la mode, mais je refuse qu’ils prennent le pas sur mon travail.”

    Mickey 17 de Bong Joon-ho, avec Robert Pattinson et Anamaria Vartolomei, au cinéma le 5 mars 2025.