30 mai 2025

Rencontre avec Angelina Woreth, l’un des plus beaux espoirs du cinéma français

L’an dernier, dans Leurs enfants après eux, fresque sur les premières émois de l’adolescence adaptée du prix Goncourt de Nicolas Mathieu, l’actrice Angelina Woreth crevait l’écran aux côtés de Paul Kircher. Cette année, c’est le bouleversant Qui brille au combat de Joséphine Japy qu’elle illumine. Rencontre, entre Cannes et Paris, avec l’étoile montante du cinéma français.

  • propos recueillis par Nathan Merchadier

    et Violaine Schütz.

  • Après avoir marqué les esprits dans Les Rascals (2023), où son incarnation subtile d’une adolescente d’extrême droite a séduit critiques de cinéma et spectateurs, Angelina Woreth continue de tracer sa route dans le paysage du cinéma français. 

    En suivant les pas de son père, scénariste et réalisateur, l’actrice parisienne de 25 ans impressionnait à l’écran dans Leurs enfants après eux, une adaptation audacieuse du prix Goncourt de Nicolas Mathieu par les frères Boukherma, sortie au cinéma en 2024.

    Angelina Woreth, révélation magnétique de Leurs enfants après eux

    Dans ce récit poignant qui dépeint avec tendresse les premiers émois de l’adolescence, elle incarne avec fougue Stephanie, la fille d’un notable un peu perdue qui fait chavirer le cœur d’Anthony, un fils d’ouvrier brillamment incarné par Paul Kircher

    Au gré de ballades à moto dans une Lorraine sinistrée suite à l’extinction des hauts-fourneaux à la fin des années 90, les réalisateurs à l’origine de la comédie horrifique Teddy (2020) réussissent le pari de capturer ce moment charnière au cours duquel des jeunes gens à fleur de peau naviguent à vue, sans trop de repères.

    Autre moment de grâce ? Angelina Woreth joue une adolescente dont la vie est perturbée par le handicap de sa soeur dans le bouleversant Qui brille au combat, présenté au Festival de Cannes 2025. Un récent subtil et tendre inspiré de la vie de sa réalisatrice : Joséphine Japy. Rencontre, entre Cannes et Paris, avec une étoile montante du cinéma, prête à embrasser à l’écran toutes les émotions.

    L’interview d’Angelina Woreth, actrice du film Qui brille au combat

    Numéro : La projection, au Festival de Cannes, du film Qui brille au combat, était riche en émotions…

    Angelina Woreth : Oui. Pour moi, c’était une deuxième projection. Je l’ai vu une première fois à Paris, quelques jours avant. Et c’était hyper émouvant d’être là, de savoir qu’il y avait la maman de Joséphine (Japy, la réalisatrice du film) dans la salle, ainsi que sa sœur. On arrivait au bout du film mais c’est, en même temps, le début de quelque chose aussi. On montrait le film au monde.

    Comment avez-vous vécu votre Festival de Cannes ?

    Franchement, on a été hyper bien reçus. Je suis contente et reconnaissante d’être là. C’est la troisième fois que je viens. J’étais venue la première fois pour un court métrage à la Semaine de la Critique, il y a quelques années, déjà. Ensuite, il y a eu Ma vie ma gueule en 2024. Et maintenant, le film de Joséphine Japy. C’est un peu la première fois où je me sens complètement légitime par rapport à un long-métrage. Car j’ai un rôle qui a un peu plus de poids. C’est un premier film pour Joséphine. Mais c’est aussi une sorte de première fois pour moi. Et puis le Festival de Cannes, j’adore ça ! C’est intense mais j’aime l’effervescence. C’est un boost d’adrénaline.

    Est-ce que vous connaissiez l’actrice et réalisatrice Joséphine Japy avant de tourner dans son long-métrage ?

    Non, nous ne nous connaissions pas et on ne s’était jamais croisées. On s’est rencontrées, on a fait un essai où on a passé en revue des scènes hyper importantes du film. Et j’ai senti que ça s’était hyper bien passé. Alors que des fois, tu fais des essais ou tu rencontres un réalisateur et ça ne se passe pas bien. Tu sors de la pièce et tu ne dis pas : « J’ai kiffé ». Alors que là, c’était fluide. On ne s’est vues qu’une seule fois (ce qui est rare à mon niveau) et elle m’a rappelée en me disant : « J’aimerais que ça soit toi qui joue le rôle inspiré par moi dans le film. Est-ce que tu acceptes de le faire ? »

    Saviez-vous dés le départ que Joséphine Japy s’inspirait de son histoire et de celle de sa sœur, souffrant d’un handicap, dans ce film ?

    Oui, elle m’a dit tout de suite que l’histoire s’inspirait de son histoire familiale et par sa sœur. Elle m’a raconté son histoire très rapidement. Je savais que c’était la vie de Joséphine. Et c’était évident dès le départ que je jouais un rôle qui était elle-même, plus jeune. On s’est parlées de femme en femme. Mais après, pendant le tournage et tout, elle a vraiment traité le film comme une fiction, pas comme un biopic. Ça reste quand même romancé, et fictionnalisé. Donc quand on parlait de mon rôle, on parlait de Marion, et non de Joséphine. Donc il y avait quand même une distance qui était saine par rapport à ça.

    Est-ce que ça ajoute une pression supplémentaire de savoir que l’on joue un rôle inspiré de la vie de la réalisatrice qui vous dirige ?

    En fait, Joséphine Japy, c’est quelqu’un de tellement doux et de tellement bienveillant. Franchement, je ne dis pas ça de tout le monde. Mais elle m’a mise à l’aise tout de suite et à aucun moment, je n’ai ressenti une pression de sa part. Elle m’a laissé faire mon truc et m’a fait confiance. Il n’était pas question que je lui ressemble à tout prix et que je l’imite. Ça s’est fait assez naturellement, déjà, parce que l’on ressemble physiquement. Elle m’a guidée, mais avec beaucoup de douceur et de tendresse.

    Vous dégagez en effet quelque chose de similiaire… Une discrétion teintée de mystère et de douceur…


    C’est un peu comme une grande sœur pour moi. Elle me dit tout le temps que je suis elle, mais cinq ans avant ou dix ans auparavant. On se ressemble sur plein de choses, mais en même temps, on est aussi très différentes.

    J’aimerais beaucoup passer derrière la caméra.” Angelina Woreth

    Est-ce qu’en tant que jeune actrice, ça change beaucoup d’être dirigée par une actrice et réalisatrice ?

    Je pense qu’évidemment, le female gaze, c’est important. Et en même temps, c’est aussi parce que c’est Joséphine Japy que le film est tel qu’il est. Ça aurait été un autre long-métrage si ça avait été une autre femme comme Catherine Breillat qui l’aurait réalisé. Tous les female gazes sont différents. De la même manière que toutes les femmes sont différentes. Mais je pense que le regard féminin existe, bien sûr. Il y a une certaine sensibilité qui est peut-être différente.

    Pensez-vous à la réalisation ?

    Oui, j’aimerais beaucoup passer derrière la caméra. J’ai écrit un court métrage, mais pour l’instant, je n’ai pas encore assez confiance en moi pour aller plus loin. En tout cas, c’est quelque chose qui me plaît et j’aime bien faire du montage. J’y pense assez souvent, mais je ne voudrais pas réaliser avant que ça soit une idée qui a bien mûri.

    “Je me demande toujours pourquoi on me propose des rôles mélancoliques.” Angelina Woreth

    Qu’est-ce qui vous a le plus touchée dans Qui brille au combat ?

    La façon dont le film reste toujours lumineux et ne tombe pas dans le pathos et quelque chose de très sombre. Ce n’est pas pour tien qu’il s’appelle Qui brille au combat. Il y a quelque chose de dur qui arrive mais il y a aussi de la joie et de la résilience dans tout ça. C’est une vraie famille.

    Vous parlez de lumière mais j’ai l’impression que l’on vous propose toujours des rôles avec beaucoup de mélancolie et une certaine gravité…

    C’est vrai. Et je me demande tout le temps pourquoi. Non, on me le dit pas, mais je fais le constat que effectivement, j’ai que des rôles. Je n’ai fait qu’une seule comédie (Cette musique ne joue pour personne). Je pense que je dégage ça. Pourtant, je suis quelqu’un d’assez joyeux dans la vie. Mais c’est vrai que j’ai quelque chose d’assez dur en moi que les gens doivent ressentir…

    Mais au moment d’accepter un rôle, privilégiez-vous les drames aux comédies ?

    Je suis ouverte à tout jouer. Tout m’intéresse. J’aimerais beaucoup tourner une grosse comédie, très grand public, qui peut toucher tout le monde. Ça, ça me plairait beaucoup parce que moi, j’adore Brice de Nice par exemple. C’est toute mon enfance. Je connais ce film par cœur. Je ne dis pas que je vais faire Brice de Nice 5, mais ça me plairait de sortir des rôles mélancoliques (que j’adore, par ailleurs). J’adorerais aussi jouer dans un film fantastique. En France, on n’en a pas beaucoup, mais ça commence à arriver.

    Vous avez incarné aussi des personnages complexes ou difficiles comme dans Les Rascals où vous prêtiez vos traits à une adolescente d’extrême droite…

    Pour être honnête, je ne suis qu’au début de ma carrière, donc je n’ai pas toujours un choix immense. Il y a évidemment des projets que je refuse mais pour les films dans lesquels j’ai joué, j’ai toujours eu la chance d’avoir des rôles qui me touchaient profondément. Dans Les Rascals, je me suis confrontée à un personnage qui ne me ressemblait pas du tout et c’était intéressant de trouver l’humanité dans ce rôle. D’essayer de comprendre pourquoi elle se retrouve dans cette situation… Cette ouverture sur le monde permise par le cinéma est passionnante.

    La bande-annonce du film Leurs enfants après eux (2024).

    En décembre 2024, vous creviez l’écran dans le film Leurs enfants après eux, adapté du prix Goncourt de Nicolas Mathieu. Quelle a été votre réaction en découvrant pour cet ouvrage ?

    J’ai découvert le récit de Nicolas Mathieu à sa sortie en 2018 car on me l’avait offert mais j’ai surtout été bouleversée par le livre quand je l’ai relu pour travailler sur le film. Très rapidement, j’ai vu des images et le potentiel du long-métrage. Et j’ai aimé que les personnages ne soient pas traités de manière moralisatrice.

    Comment décririez-vous le personnage de Stéphanie que vous interprétez ? 

    C’est une jeune femme qui vit un moment de bascule entre l’adolescence et l’âge adulte. C’est aussi le personnage le mieux né de l’histoire et qui ressent paradoxalement un immense complexe de classe. Elle possède une grande ambition qui va la pousser à s’extraire de sa condition pour ne pas reproduire la vie de ses parents et échapper au déterminisme social. C’est aussi un personnage qui doute, comme n’importe quelle jeune fille de cet âge-là. Elle est très sensible et va découvrir le désir, l’amour mais aussi vivre une immense désillusion en arrivant à Paris et en se rendant compte que finalement, parfois, le destin nous colle à la peau. Elle découvre enfin que pour échapper à ce destin, il faut vraiment en vouloir…

    “Ça me dérange lorsqu’il y a de la violence dans les films, même si c’est important de la représenter.” Angelina Woreth

    Dans le film, vous faites équipe avec Paul Kircher. Comment s’est passée votre rencontre ? 

    J’avais regardé Le Lycéen avant de passer le casting donc j’admirais déjà Paul et il y a tout de suite eu une belle alchimie entre nous. Nous étions assez complices et je trouve que dans le film, le rapport de force qui se crée entre Stéphanie et le personnage d’Anthony est très intéressant. Paul est un acteur assez imprévisible qui a quelque chose de l’enfant et en même temps du vieil homme. Il est vraiment entre les deux et on ne sait jamais trop ce qu’il va faire.

    Dans le film des frères Boukherma, une place importante est occupée par la violence. Le cinéma doit-il selon-vous être extrême pour procurer des émotions ?

    Ça me dérange lorsqu’il y a de la violence dans les films, même si c’est important de la représenter. Mon personnage ressent pour sa part une forme de violence à travers la désillusion quand elle éprouve en arrivant à Paris. Mais c’est quelque chose d’assez intérieur. Dans le film, Stéphanie existe beaucoup à travers les yeux et le regard fantasmé d’Anthony et une grande partie de son caractère reste assez mystérieux. Afin de réussir à l’incarner au mieux, je me suis nourrie de toute cette violence qu’elle vit et qui est très bien décrite dans le roman. 

    Je ne voulais pas réellement devenir actrice.” Angelina Woreth

    Leurs enfants après eux se déroule dans une époque assez similaire que celle du film Les Rascals. Que ressentez-vous en vous plongeant dans l’atmosphère si spéciale des années 80 et 90 ?

    On baigne dans les années 1990 depuis que l’on est enfants. À travers les films, la musique, le style vestimentaire… C’est quelque chose qui fait partie de notre culture. Sur le tournage du film, j’ai trouvé que les décors étaient particulièrement marquants car on y trouve une myriade de références aux goûts des différents personnages. Ce qu’il y a de fondamentalement à cette époque, c’est l’absence de réseau social. Cela crée forcément des enjeux différents et une certaine forme d’insouciance par rapport au monde extérieur. Pour les jeunes d’aujourd’hui, c’est très facile d’avoir accès à l’information, même si tu n’es pas en train de lire Le Monde ou de regarder les news car nous sommes dans un flux constant. Je pense qu’à l’époque, il était peut-être plus simple de pouvoir rêver plus grand. 

    Quelle enfance avez-vous vécue ? 

    J’ai eu une enfance très joyeuse car j’ai grandi avec deux sœurs et des parents artistes, notamment un père qui fait du cinéma. Je suis souvent allée sur les plateaux et j’ai toujours admiré ce monde-là. Mais en réalité, je ne voulais pas réellement devenir actrice. Pendant longtemps, je ne savais pas ce que j’allais faire car j’étais franchement nulle à l’école si bien que je me suis déscolarisée à l’âge de seize ans. À l’origine, mes parents étaient très réfractaires à cette idée mais comme mon père a pu faire des films toute son existence et vivre de cela sans faire d’études, je pense qu’il a compris qu’il y avait un moyen de faire autrement. Puis j’ai aussi été assez privilégiée pour me permettre d’arrêter les études, parce que j’avais des parents qui me soutenaient. Alors, je me suis inscrite en école de théâtre et aujourd’hui je suis très contente d’avoir eu ce parcours. Je pense même pouvoir affirmer que ça a bien marché.

    J’ai toujours aimé m’habiller.” Angelina Woreth

    Beaucoup de spectateurs établissent un parallèle entre Leurs enfants après eux et un autre succès cinématographique de ces dernières semaines : L’Amour ouf. Êtes-vous la prochaine Adèle Exarchopoulos ?

    C’est une superbe actrice que j’admire énormément. Mais j’essaie de m’imposer en tant que “moi-même” et c’est déjà un grand défi. 

    Quels sont les comédiens avec qui vous rêvez de tourner ?

    Travailler avec Agnès Jaoui dans Ma vie ma gueule, c’était déjà un immense honneur. Sur le tournage du film, elle était tellement gentille, avenante et simple. Sinon, je n’ai pas forcément d’actrices qui me viennent en tête, parce que cela dépend souvent des projets. En règle générale, tous les acteurs m’intéressent et je reste ouverte à toutes les rencontres que ce métier me permettra de faire.

    Vous êtes ambassadrice Dior. Comment évoqueriez-vous votre rapport à la mode ?

    J’ai toujours aimé m’habiller même si je ne suivais pas tous les défilés. Cela doit venir de ma mère qui est dingue de vintage et de vêtements d’archives. Elle a été costumière, designer et elle aussi a fait de la maroquinerie pendant trente ans… Je lui pique tout le temps des vêtements. J’ai grandi avec des femmes aussi, notamment avec deux sœurs. On était toutes dingues de mode à la maison. Ma grand-mère aime beaucoup s’habiller aussi. Elle est très coquette.

    Et à quel point les costumes vous aide à entrer dans un rôle ?

    Je pense que le costume est très important. Notre façon de nous habiller, c’est comme ça que l’on s’expose au monde et c’est comme ça que l’on dit qui l’on est. Avoir les cheveux hyper longs, une frange et du vernis dans Leurs enfants après eux m’a aidée à entrer dans une autre époque et dans un autre âge : l’adolescence. Ce ne sont pas du tout les habits que je porte aujourd’hui. Pour le rôle de Marion dans Qui brille au combat, c’était également essentiel. On a beaucoup travaillé sur ses looks en essayant de trouver une allure cool, mais ambivalente, qui ne fasse pas trop « fausse teenager ». Car je trouve qu’un mauvais costume, ça sort d’un film. D’ailleurs, si je n’étais pas comédienne, j’aimerais bien être costumière. Ma marraine est costumière. Et je trouve ça génial comme métier.

    Leurs enfants après eux (2024) de Ludovic et Zoran Boukherma, disponible sur Canal VOD. Le film Qui brille au combat de Joséphine Japy n’a pas encore de date de sortie.