De la musique au cinéma : Nicolas Maury, l’as du mélange des genres
Acteur et réalisateur, connu du grand public pour sa participation à la série Dix pour cent, et des esthètes plus pointus pour ses rôles dans les films de Yann Gonzalez, Nicolas Maury est aussi un artiste musical singulier. Après un premier album à la fois pop et intimiste, romantique et habité, son univers promet de s’affirmer dans un second, aujourd’hui en préparation.
Par Christophe Conte,
Portraits P.A Hüe de Fontenay.

Nœud papillon, Charvet.
Nicolas Maury, un artiste caméléon
Parmi les profils multiples qu’il expose aux autres, ceux de comédien de cinéma et de théâtre, de réalisateur de films et de séries, un est resté dans l’ombre : celui de chanteur. Certes, Nicolas Maury a sorti un (très beau) premier album, La Porcelaine de Limoges, en janvier 2023 chez une major de l’industrie musicale. Il a fait quelques concerts et festivals, mais, aux yeux du public, cette activité nullement secondaire est largement passée inaperçue. Sans doute parce qu’un acteur (ou une actrice) qui chante est toujours suspecté(e) de vouloir capitaliser des attentions attrapées ailleurs pour nourrir un énième caprice narcissique.
“C’est vraiment mon but, comme tout ce que je fais finalement : aider les gens à être un peu moins seuls ou à habiller de lumière leurs désastres.” – Nicolas maury.
Peut-être aussi, plus prosaïquement, que la voie musicale choisie par Maury, la chanson française ultrasensible, souffle à contre-courant de l’air ambiant. Ou que le choix audacieux de travailler avec un musicien issu de la sphère indé, Olivier Marguerit (déjà compositeur de la musique de son premier film, Garçon chiffon en 2020), n’a pas engagé les grands médias à lui accorder une exposition semblable à celles dont bénéficient les associations plus bankables.
“Je sais, tempère-t-il, que la tendance n’est pas tellement aux musiques qui m’intéressent et m’animent, donc, forcément, ce n’est pas capitalisable. J’ai toutefois reçu un très bel accueil de la part de certains musiciens, de chanteuses et de chanteurs, ainsi que de la presse musicale, alors que je pensais me faire foudroyer. Et puis surtout, ce que je trouve très beau, c’est lorsque des gens me disent que mes chansons en porcelaine ont pu les toucher au plus près. C’est vraiment mon but, comme tout ce que je fais finalement : aider les gens à être un peu moins seuls ou à habiller de lumière leurs désastres.”

Des scènes de théâtre aux studios de cinéma
Nicolas Maury est un garçon désarmant, mal connu, dont le personnage mi-émotif, mi-bitchy d’Hervé dans la série Dix pour cent (2015-2020) a peut-être amplifié démesurément l’image du bon copain gay, occultant à mesure des saisons toute une arborescence de gestes artistiques passés et même futurs, marqués par un intense désir de radicalité.
Son premier film comme réalisateur, Garçon chiffon, escamoté dans l’œuf à cause d’une date de sortie maudite (le premier jour de fermeture des salles pour cause de Covid-19) en était un. Une autofiction filmée dont la partie imaginée – un apprenti comédien éconduit par la capitale revient sur les terres limousines de son enfance – servait à dissimuler des vérités intimes sans “drama-queeneries” ni faux-semblants.
L’admirateur d’Ingmar Bergman y croisait le fan précoce de Vanessa Paradis, le Parisien d’adoption retrouvait l’enfant ébréché de Saint-Yrieix-la-Perche, le fils d’entrepreneurs en pompes funèbres y enterrait des rêves trop beaux mais ne renonçait pas aux sentiments.
Dernièrement, il incarne au théâtre Le Prince de Hombourg, du dramaturge allemand Heinrich von Kleist, mis en scène par Robert Cantarella, endossant ce rôle créé à Avignon par Gérard Philipe sous la direction de Jean Vilar. Mais un tel poids ne l’effraie pas. “C’est un rôle fou du répertoire, avec ce soldat qui se trouve entre le réel et le rêve, qui ne sait pas trop s’il est atomisé, anesthésié, ou si la vie est à ce point une torture qu’il préfère être ‘à mi-chemin’, comme il dit. Ce texte assez brumeux, complexe, parfois fatigant, laisse pourtant chaque soir les gens un peu émerveillés, y compris de ne pas tout comprendre, c’est très intéressant.”

Un chanteur qui parle au cœur
Les chansons de Nicolas Maury parlent en revanche directement au cœur. Elles ne s’enrobent d’aucune armure elliptique pour évoquer des choses aussi simples que les palpitations du désir, le coup de foudre amoureux, la découverte du monde lorsqu’on est un provincial sans réseau et les éblouissements en cascade de l’ivresse adulte. À l’origine, les treize chansons sages étaient accompagnées de deux autres sans filtre, crues et cul, qui ont été vendues à part de l’album et ne figurent plus, désormais, dans sa version numérique.
Un choix de la maison de disques, qui redoutait que ces titres salaces et salés capturent toute l’attention, et dont le reste, plus doux et suave, aurait pu pâtir. Nicolas Maury le regrette aujourd’hui. “Je me suis laissé arrondir”, dit-il, lui qui assume d’être à la fois fleur bleue et chardon, qui peut citer Elsa, la chanteuse de son enfance, qu’il aime encore avec autant de fièvre que Pasolini. Sa constitution culturelle, en l’occurrence musicale, est un amas de sensations de chambre d’ado et d’émancipation adulte.

Vanessa Paradis, le double rêvé de Nicolas Maury
L’idole Vanessa Paradis (avec laquelle il a fini joue contre joue dans Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez) était son double rêvé devant le miroir. France Gall ou Michel Berger, les chanteurs de ses parents, dont la simplicité et l’entrain mélodique auront infusé en lui naturellement. Jeune Parisien, il dévore Les Inrocks avec le même appétit de découvertes hors cadre que les Cahiers du cinéma, et ce sont des noms plus confidentiels qui prennent le dessus, du chanteur folk britannique Nick Drake jusqu’à l’Américain Elliott Smith (deux suicidés), tandis que des personnalités en pleine lumière comme Björk ou Damon Albarn affinent son goût pour la pop.
Françoise Hardy et Jane Birkin, dont il a chanté des reprises sur scène avant que l’une et l’autre ne disparaissent, complètent cette cartographie intime et finalement cohérente, dont la résonance diffuse se retrouve dans ses chansons. “Ce sont des lucioles dans la nuit.” Il peut aussi converser des heures à propos de Barbara comme de Roland Barthes, de Marguerite Duras comme de Debbie Harry, sculpter et remodeler sans cesse ce qu’il appelle ses “poupées de soi-même”, autrement dit toutes ces projections ultra personnelles dont il habille les personnages qu’il incarne comme ses performances de chanteur.
“Je me suis laissé arrondir” – Nicolas Maury.
Il y a aussi cette chambre, qui revient régulièrement dans sa parole mélodieuse, obsessionnel lieu de toutes les puissances futures et de toutes les disgrâces aussi. “Cette chambre, qui est celle de l’adolescence mais qui se transforme en chambre mentale avec le temps, est un territoire pas forcément rangé, peut-être même dérangé. C’est ce pays de l’intime, qui peut prendre la forme d’une nef, d’une grotte, peut-être d’une meurtrière lorsqu’on est un peu meurtri, et qui devient quelque chose de plus vaste. La chambre en soi ne grandit pas, mais c’est ce qu’on met à l’intérieur qui permet de mieux respirer. Dans tout mon travail, je tourne autour de cet art suprême qui consiste à maintenir en vie cet endroit-là.”
Une nouvelle série pour Arte et HBO à venir
Ces dernières années, il a accueilli en ces lieux malléables un nouvel occupant, le musicien et chanteur de BB Brunes, Adrien Gallo, dont il a adoré l’album solo, Là où les saules ne pleurent pas (2021), en bien des aspects proche du sien. “Quand ma mère a entendu un de ses morceaux à la radio, elle pensait que j’avais sorti un nouveau disque. [Rires.] Il a une voix plus aiguë que la mienne, mais, avec Adrien, on est comme des frères de musique. En plus, sur son album, il chante en duo avec Vanessa, on avait tout pour se rapprocher.”
Comme avec Olivier Marguerit, leur collaboration a commencé sur écran, Gallo étant invité à composer la musique de la série Les Saisons que Nicolas Maury vient de terminer pour Arte et HBO. Quatre épisodes qui suivent, à intervalles de dix ans, le parcours amoureux d’une femme avec deux hommes depuis les années 90. “Je commence toujours à tourner une fois que la musique est composée, et dans la série, il y a des thèmes chantés, des arias, comme à l’opéra, selon les personnages.”
“Ce sera un album de désirs au pluriel, avec peut-être moins de mélancolie.” – Nicolas Maury.
En parallèle sont donc nées des chansons pour un projet d’album encore embryonnaire “mais dont la météorologie générale tend vers le plaisir et, encore une fois, le désir. Ce sera un album de désirs au pluriel, avec peut-être moins de mélancolie. Je ne sais pas quand il sortira, mais ce n’est pas le plus important. Je préfère le moment indicible, indécidable, où les choses se composent, fomentent. Mais je réfléchis aussi à une autre forme de sortie que celle qui prévalait encore lorsque j’ai fait le premier album, sans doute parce que j’ai été un peu traumatisé. De toute façon, les seuls artistes qui m’intéressent sont ceux qui ralentissent le temps, et ceux-là ne sont pas compatibles avec les décideurs du marketing et de la communication.”
La série Les saisons de Nicolas Maury n’a pas encore de date de sortie officielle.