15 oct 2025

Rencontre avec François Civil : “La musique est devenue mon refuge”

François Civil s’impose une fois de plus comme l’une des voix les plus singulières du cinéma français. Dans Deux pianos, le nouveau film d’Arnaud Desplechin au cinéma ce mercredi 15 octobre 2025, il incarne un pianiste virtuose aux côtés de Charlotte Rampling et Nadia Tereszkiewicz. Avec ce nouveau projet, l’acteur explore une nouvelle facette de son jeu, intense et poétique.

  • propos receuillis Nathan Merchadier.

  • La bande-annonce du film Deux pianos (2025).

    À 35 ans, François Civil confirme une fois de plus qu’il figure parmi les acteurs les plus versatiles – et talentueux – du cinéma français. Près d’un an après le succès tonitruant de L’Amour ouf (2024), la sortie de Deux pianos offre une nouvelle occasion de mesurer l’étendue de son jeu, à la fois sensible et physique.

    Deux pianos, le nouveau film d’Arnaud Desplechin

    Ce mercredi 15 octobre 2025, le comédien ténébreux est à l’affiche de Deux pianos, le nouveau film d’Arnaud Desplechin. Tourné à Lyon, le long-métrage met en scène un pianiste virtuose hanté par les fantômes de son passé, aux côtés de Charlotte Rampling et de Nadia Tereszkiewicz. L’occasion, pour l’acteur, de se confier à Numéro sur ce ses choix de carrière et la manière dont il se réinvente constamment à l’écran.

    L’interview de François Civil

    Numéro : Comment Arnaud Desplechin vous a-t-il présenté le film Deux pianos ?

    François Civil : J’avais eu vent de ce projet et je crois que c’est Roschdy Zem qui m’en a parlé le premier. Il m’avait glissé au détour d’une conversation qu’Arnaud Desplechin écrivait un scénario en pensant à moi. J’ai alors cru que ce n’était qu’une rumeur. Et puis un jour, mon téléphone a sonné et c’était lui. Son cinéma me touche profondément, il est d’une culture immense, à la fois littéraire et cinématographique. C’est quelqu’un d’impressionnant. Lors de notre rencontre, il m’a confié qu’il traversait une phase de doute : il ne savait pas encore quel âge donner à ses personnages, ni quelle direction exacte prendre. Il avait besoin d’échanger. 

    Qu’est-ce qui vous a séduit dans le personnage de Mathias Vogler ?

    Ce qui m’a rassuré, c’est d’apprendre que le personnage était un musicien. C’est tout ce que je savais au début, mais c’était suffisant, car la musique occupe une place essentielle dans ma vie. J’y ai vu un point commun, une porte d’entrée. Ce personnage est à la fois complexe et bouleversant. Comprendre pourquoi il est parti au Japon il y a huit ans a été une vraie énigme. Et ce que j’aime chez Arnaud Desplechin, c’est qu’il ne livre pas toutes les réponses. Il laisse des zones d’ombre, des interstices dans lesquels on peut projeter nos propres souvenirs, nos émotions. C’est un cinéma qui pense et qui fait penser.

    La musique est devenue une façon de rendre l’adolescence plus étincelante.” François Civil

    Le piano est au cœur de ce récit. Quelle relation entretenez-vous avec la musique et cet instrument plus particulièrement ? 

    C’est assez drôle, j’ai découvert récemment que mon arrière-grand-mère, du côté de ma mère, était pianiste dans les cinémas. Elle accompagnait en improvisation les films muets, je trouve ça magnifique. Le lien entre le piano et le cinéma existait donc déjà dans ma famille, et d’une certaine façon, je viens y ajouter ma petite pierre. 

    Il me semble d’ailleurs que vous avez reçu une éducation musicale relativement importante…

    Enfant, j’ai pris des cours de piano au conservatoire, j’adorais l’instrument, mais je détestais le solfège… Un jour, ma mère m’a demandé si je voulais arrêter. J’ai fondu en larmes et j’ai dit oui. C’était la première fois que je faisais un vrai choix. Un thème d’ailleurs très présent dans le film. Comme mon personnage, j’avais tendance à laisser la vie décider à ma place. Plus tard, à l’adolescence, j’ai redécouvert la musique autrement. Je me suis mis à la basse, dans un groupe de funk. On jouait dans une cave du quartier, reprenant les lignes basses de Bootsy Collins, Larry Graham, Stuart Zender et même Jamiroquai… La musique est devenue mon refuge, une façon de rendre l’adolescence plus étincelante.

    Charlotte Rampling est une véritable icône, et le mot n’est pas galvaudé avec elle.” François Civil

    Le film réunit un casting impressionnant (Nadia Tereszkiewicz, Charlotte Rampling). Comment s’est construite la dynamique entre vous sur le tournage ?

    Arnaud Desplechin voulait préserver le mystère de chacun. Pendant la préparation, je lui ai proposé de faire une lecture collective du scénario, et il m’a répondu surtout pas. Pour lui, il fallait que chaque acteur garde son propre secret. Ce flou, cette zone d’incertitude entre les personnages, c’est ce qui fait la beauté du film. Deux pianos, au fond, pose la question de l’identité. “Qui sommes-nous vraiment ? Sommes-nous nos souvenirs, nos fantasmes, ou ce que nous sommes en train de devenir ? Et surtout, qu’est-ce qu’on est pour l’autre ?” Mathias, mon personnage, n’est jamais le même selon la personne qu’il a en face de lui : l’enfant qu’il découvre, Nadia son ancien amour, Elena qu’il admire, ou son agent, avec qui il partage une tendresse teintée d’agacement. Et j’ai eu la chance d’avoir en face de moi des acteurs formidables, qui m’ont beaucoup nourri.

    Était-ce impressionnant de vous retrouver face à un monument du cinéma comme Charlotte Rampling ? 

    C’est une véritable icône, et le mot n’est pas galvaudé avec elle. Charlotte Rampling a une présence incroyable à l’écran, que ce soit dans Swimming Pool (2003), 45 ans (2015) ou plus récemment dans Dune (2021). Son jeu est à la fois précis et fascinant, et je l’admire énormément. Dans la vie, elle est d’une simplicité, d’une gentillesse et d’un humour formidables. Elle m’a dit quelque chose qui m’a beaucoup parlé. Selon elle, être acteur, c’est un mélange de discipline et de sauvagerie. La discipline, c’est le respect des contraintes, être à l’heure, connaître son texte, respecter le cadre de la scène… La sauvagerie, c’est ce qui permet de tout donner, de se laisser traverser par l’imprévu, de refuser le contrôle absolu entre action et coupé. J’ai immédiatement connecté avec cette idée.

    Mon personnage possède la poésie du piano, mais aussi le corps d’une brute.” François Civil

    En quoi le tournage de ce film était-il différent de ceux de vos projets précédents ? 

    Travailler sur ce projet, c’était comme entrer dans le cerveau d’Arnaud Desplechin et dans son univers si particulier. Son cinéma d’auteur a sa propre voix, très différente de celle d’un Gilles Lellouche ou d’un autre réalisateur. Le film fonctionne comme un réseau complexe de thématiques et de relations, souvent conflictuelles, avec des situations presque fantastiques. Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est que contrairement à beaucoup de mes autres tournages, dans lesquels on filmait des groupes, ici ce sont des solitudes qui se rencontrent. Durant le tournage, je vivais selon un rythme assez monacal. Je me levais, répétais mes scènes, retournais à mon petit appartement-hôtel où j’avais demandé un piano et me couchais tôt. Cette solitude m’a permis de me plonger pleinement dans le film et de m’imprégner de son univers.

    Ces derniers temps, on parle souvent de l’émergence d’une nouvelle masculinité. Avez-vous le sentiment que les canons de beauté chez les hommes sont en mutation ?

    Je ne sais pas si j’ai un regard précis sur la question de la masculinité ou les canons de beauté masculins car ce n’est pas vraiment un sujet auquel je suis confronté dans ma vie quotidienne. Pour ce personnage, ce qui m’intéressait, ce n’était pas de savoir s’il correspondait à une idée de “héros” masculin traditionnel. Car au contraire, sa noblesse réside dans le refus du combat, dans le choix de l’exil plutôt que de l’affrontement. Il ne se bat pas pour une femme, et ce refus fait partie de ce qui définit le personnage. Pour autant, il y a aussi chez lui des moments de brutalité, d’animalité, notamment dans son rapport à l’alcool ou au corps. Mathias est ainsi construit dans une dualité fascinante. Il possède la poésie du piano, mais aussi le corps d’une brute.

    Je vais bientôt commencer une série avec Kit Harington.” François Civil

    Vous serez prochainement à l’affiche du film Dumas, Diable Noir de Ladj Ly, et on vous verra aussi à l’écran aux côtés de Kit Harington (Game of Thrones) dans un film sur la révolution française…

    Cette année, j’ai tourné un film avec Thomas Lilti aux côtés de Léa Drucker et Karim Leklou, une expérience que j’ai adorée. Quant au film de Ladj Ly, nous le tournerons l’année prochaine, donc je ne peux pas encore trop en dire, mais j’ai trouvé le scénario absolument extraordinaire. En parallèle, je vais bientôt commencer une série avec Kit Harington et Mirren Mack, une adaptation de A Tale of Two Cities de Charles Dickens, qui se déroule pendant la Révolution française. J’y incarne un personnage assez mystérieux, pris dans un triangle amoureux avec une jeune femme ayant fui Paris dans sa jeunesse. C’est un récit rempli de secrets et de mystères à démêler, et même si je me retrouve parfois à explorer des thèmes similaires, chaque projet apporte sa propre intensité et ses nuances.

    Deux pianos (2025) d’Arnaud Desplechin, actuellement au cinéma.